Pourquoi les routiers sont-ils en grève ?

Les négociations salariales annuelles dans la branche du transport routier sont l’occasion pour les syndicats de salariés de revisiter un grand classique de la théorie de la lutte des classes : la grève préventive destinée à faire pression sur le patronat. Le recours à ce moyen d’action en dit long sur le climat social du secteur. 

Une grève préventive d’envergure nationale 

Alors que les deux séances de la négociation salariale annuelle de branche doivent se tenir mardi 20 et jeudi 22 janvier, l’intersyndicale du transport routier CGT, CGT-FO, CFTC et CFE-CGC appelle les quelque 650000 salariés du secteur à une grève reconductible à compter de dimanche 18 janvier au soir. Des blocages sont prévus dans “une cinquantaine” d’endroits stratégiques en France : routes et infrastructures de transport, dépôts de carburants, centrales d’achats et sites industriels importants. Les chauffeurs de cars ainsi que les salariés de la logistique (notamment dans le stockage, la magasinage ou le traitement des commandes), sont eux aussi encouragés à se joindre au mouvement des routiers. 

L’enjeu est clair pour les responsables de l’intersyndicale : une mobilisation réussie leur permettra d’engager dans les meilleures conditions un bras de fer avec le patronat du secteur. Cette manière rude de procéder peut certes sembler commune, puisque la grève est toujours un moyen de peser sur les employeurs. A y regarder de plus près, il s’avère toutefois que la grève est bien plus souvent déclenchée en réaction à une action patronale que comme préalable à une négociation. Dans ce dernier cas, le pari effectué par les syndicats est plus risqué – la mobilisation se fait “à froid” – mais peut justement s’avérer d’autant plus payant qu’il est risqué – l’épisode de mai-juin 1936 en fournit un parfait exemple. 

Des revendications conséquentes 

Chiffres à l’appui, l’intersyndicale dénonce la “paupérisation et la smicardisation rampantes” de la profession. Sur les quatre coefficients de rémunération qu’elle compte, un seul est supérieur au SMIC. En outre, depuis deux ans, aucune augmentation générale des salaires n’a eu lieu dans le secteur. Les représentants des salariés exigent des améliorations dans le domaine des salaires : taux horaire minimum à 10 euros afin d’atteindre au moins 100 euros de pouvoir d’achat supplémentaires tous les mois et généralisation du treizième mois. A côté de ces revendications, les syndicats réclament par ailleurs une amélioration de la protection sociale complémentaire des routiers et la tenue de négociations sur la pénibilité et la gestion des fins de carrière. 

Les représentants des salariés estiment que les efforts demandés aux employeurs sont justifiés au regard des exonérations fiscales et sociales importantes dont ils bénéficient. Selon des calculs patronaux, au total, au titre du CICE, le transport a économisé 1,7 milliards d’euros d’impôts, soit 4,2 % de sa masse salariale. De la même manière, étant donné son importance économique et le nombre de salariés qu’il rassemble, ce secteur fera partie des grands gagnants du pacte de responsabilité. Enfin, les transporteurs n’auront pas à supporter l’écotaxe, finalement abandonnée en rase campagne par le gouvernement. En plus de ces exonérations, les syndicats affirment que la baisse du prix du gasoil offre des marges de manoeuvre aux entreprises. 

Les patrons routiers ont le pied lourd… sur les freins 

Le délégué général de la FNTR, l’un des principaux syndicats patronaux du secteur, a fait savoir à l’AFP que ces revendications et explications ne lui semblaient pas pertinentes : “Ce que l’on peut regretter, ce sont les revendications des organisations syndicales, qui sont en décalage avec les réalités économiques des entreprises”. Principale mise en cause : la concurrence sauvage en provenance des pays de l’Est. Nicolas Paulissen précise que les employeurs proposeront 1 ou 2 % d’augmentations salariales. Il est peu probable que l’Union TLF ou l’Otre, les deux autres grandes organisations de transporteurs routiers, fassent preuve d’une attitude plus conciliante envers les syndicats de salariés. 

Au fond, ne dit-on pas que l’on a les syndicats que l’on mérite ? Les patrons routiers ne semblent pas faire preuve de moeurs maniérées. Ainsi, dans le cas du pacte de responsabilité, ils n’ont pas jugé nécessaire de négocier un accord qui viendrait, au moins théoriquement, constituer une contrepartie en termes d’emploi à l’argent public qu’ils recevront. Pour être tout à fait objectif, il convient néanmoins d’admettre que les transporteurs routiers n’adoptent pas uniquement une posture malthusienne en matière de dialogue social. En 2011, un accord en matière de complémentaire santé a été signé dans la branche. Mais les négociations salariales ou les questions d’emploi sont des enjeux bien moins consensuels car plus coûteux. 

Quels scenarii possibles ? 

A ce stade, trois scenarii semblent possibles. Dans le premier, le mouvement de grève est un échec : le patronat aura alors beau jeu de renvoyer les syndicats dans les cordes et d’imposer ses volontés. Dans le second, le mouvement de grève est plutôt une réussite et le patronat décide de calmer le jeu, en améliorant ses propositions. Il trouvera alors sur sa route des partenaires avec qui trouver un accord, du côté de la CFDT (28,5 % des voix dans le secteur) et de la CFTC (11,5 %). La CGT (23.5 %) et la CGT-FO (20 %) ne seront pas satisfaites du compromis mais n’oseront pas s’aventurer seules dans un mouvement ayant peu de chances d’aboutir. 

Dans le dernier scenario, la grève est là encore une réussite mais les organisations patronales choisissent l’affrontement. Cette issue est tout aussi probable que la précédente, à la fois parce que les employeurs pourraient refuser de payer mais aussi parce que la FNTR, l’Union TLF et l’Otre ont en tête l’échéance du calcul de représentativité de 2017 et veulent apparaître comme fermes dans la défense de leurs adhérents. Dans un tel contexte, la CFDT, qui avait timidement organisé des blocages d’infrastructures routières à la mi-décembre 2014, pourrait être tentée de rejoindre l’intersyndicale, pour une radicalisation de la grève. 

Autant le dire clairement : ce dernier scenario n’est peut-être pas celui dont la France a actuellement le plus besoin… 

 

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