Pour qui roulent vraiment les adversaires de la loi travail?

La mobilisation contre la loi travail donne lieu à un superbe déferlement de postures faciles, à l’instar d’Anne Hidalgo, ce matin sur France Inter, qui expliquait sans rire que le plafonnement des indemnités de licenciement n’était pas une mesure “humaniste”. Cette ancienne inspectrice des affaires sociales, qui cumule sa retraite avec ses indemnités de maire, surfe sur une vague de velours: le bien, l’humanité, c’est défendre le droit du travailleur contre le capital, alors que la loi travail fait tout le contraire. Y a-t-il idée plus belle, plus simple, plus gentille à défendre dans les dîners en ville? 

Le droit du travail et le capital

Pour comprendre la perversité de cette idée, il faut évidemment relever ses non-dits et mesurer “pragmatiquement”, comme dirait Anne Hidalgo, l’impact exact de ses conséquences. À ce jeu, il apparaît vite que les revendications hostiles à la loi travail font toutes le bonheur du grand capital et de la rente face à l’émergence d’une catégorie d’entrepreneurs étouffés par les normes sociales en vigueur. 

Mettons les pieds dans le plat: le sujet de la loi travail consiste bien à diminuer une part des garanties et des protections obtenues par les salariés au fil des décennies. Ce qu’on appelle ici la flexibilité vise à réduire le coût concret du travail et non son coût économique. Moins de règles, moins de protection, pour une optimisation du salaire. 

En remettant ainsi en cause, très marginalement au demeurant, les protections des salariés, le gouvernement donne un coup de pouce aux entreprises qui sont le plus pénalisées par l’épaisse couche de réglementation existante. Compte tenu de la structure du capital en France, ce sont les petites entreprises qui en seront les principales bénéficiaires, bien entendu, car ce sont elles qui n’ont pas les moyens techniques de maîtriser toute la réglementation et ses évolutions incessantes, et ce sont elles qui sont le plus handicapées par les innombrables freins que le Code du Travail introduit dans l’exécution du contrat. 

On ne peut ignorer ici qu’une partie importante du foisonnant code en question fut dictée et rédigée par les patrons des grandes entreprises eux-mêmes, trop heureux d’imposer des règles qui sont autant d’avantages comparatifs sur les petites entreprises du secteur. Contrairement à l’idée la plus largement répandue, ce n’est pas le grand capital qui est ennemi de la protection des salariés, c’est le petit capital! parce que c’est lui qui dispose du moins de marges pour optimiser les salaires. 

Quand une entreprise à la main du grand capital est gênée par sa masse salariale, elle se délocalise et le problème est réglé. Cette souplesse-là n’existe pas pour les petites entreprises. 

Les puristes de la protection des salariés ne peuvent donc ignorer les conséquences concrètes de leur opposition à la loi: elle leur donne bonne conscience, mais elle constitue un soutien évident, dans l’après crise 2008, à l’hégémonie du grand capital sur notre organisation économique. 

Combattre la loi travail ou conserver un capitalisme de la rente

Et c’est probablement là le fond du problème. Il existe un non-dit absolu dans la vision latente du monde portée par les adversaires de la loi travail: un monde de grandes entreprises policées, réglementées, leur convient infiniment mieux qu’une France parsemée de petites entreprises qui se font concurrence. Et lorsque le gouvernement annonce des mesures qui pourraient favoriser cette dernière, la “gauche” se hérisse le poil en imaginant son jardin à la française idéal perclus de mauvaises herbes, de plantes foisonnantes, d’arbustes incongrus qui vont gâcher la vue. 

Sans surprise d’ailleurs, ce sont majoritairement des fonctionnaires qui se battent contre la loi. Ceux-là nourrissent une sainte horreur naturelle pour le monde auxquels ils n’appartiennent pas: pour tous ces petits entrepreneurs (forcément poujadistes, c’est même un pléonasme), ces petites entreprises (forcément insalubres et dangereuses, des zones de non-droit) qui sont incontrôlables et les éloignent tant du monde lunaire, aseptisé, dégagé des contraintes de productivité qu’on appelle le service public. 

Symboliquement, il existe d’ailleurs un risque important, pour eux, de voir triompher un autre monde si la loi travail devait passer. Elle prouverait qu’une inversion de l’expansion permanente dont les protections bénéficient serait possible. Et c’est probablement cela qui est le plus important dans le combat contre la loi. 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmark Close
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer

C2S : les règles de non-activité et de ressources sont révisées

Un décret du 28 juin 2025, publié au Journal officiel du 29 juin, vient préciser les modalités d’application de l’article L. 861-2 du code de la sécurité sociale concernant l’accès à la complémentaire santé solidaire (C2S). Le texte modifie plusieurs articles du code de la sécurité sociale (CSS). Le décret introduit un nouvel article...

CNSA : les règles de composition et de fonctionnement du conseil sont modifiées

Un décret du 28 juin 2025, publié au Journal officiel du 29 juin, modifie plusieurs articles du code de la sécurité sociale (CSS) afin d’ajuster la composition et le fonctionnement du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Le texte vise à synchroniser les mandats, harmoniser les règles de délibération et prévenir les conflits d’intérêts, dans la perspective du renouvellement partiel du conseil prévu au 1er février 2026. Le décret...

Dotation 2025 des CESP : plus de 39  M€ alloués par l’assurance maladie

Deux arrêtés publiés au Journal officiel du 29 juin 2025 précisent les dotations des régimes obligatoires d’assurance maladie consacrées aux contrats d’engagement de service public (CESP) pour l’année 2025. Un premier arrêté daté du 26 juin 2025 fixe la dotation versée au Centre national de gestion (CNG). Ainsi, la part de dotation destinée spécifiquement au financement des CESP s’élève à 29 404 800 euros pour l’année 2025. ...

Un nouveau représentant des départements entre au conseil de la CNSA

Un arrêté publié au Journal officiel du 28 juin, modifie la composition du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Maël de Calan est nommé membre titulaire du conseil au titre des représentants des conseils départementaux. Il a été désigné par l’Association des départements de France (ADF). Il remplace à ce poste Stéphane Haussoulier. ...

Le nouveau modèle papier de l’arrêt de travail est maintenant obligatoire

Pour lutter contre les arrêts de travail frauduleux un décret généralise l'obligation d'utiliser le nouveau formulaire papier lorsque l'arrêt n'est pas déclaré en ligne. Le décret paru au Journal officiel du 29 juin 2025 précise que l'assuré placé en arrêt de travail (ou dont l'arrêt est prolongé) qui veut envoyer son justificatif au format papier doit désormais transmettre la version originale signée d'un formulaire spécifique. Ce nouveau formulaire est...