Suite à l’article publié hier concernant le rapport de la Cour des comptes sur Pôle emploi, il nous apparaît utile d’évoquer les réponses formulées par les administrations et organismes concernés.
Après un rapport “à charge” pour certains, “préoccupant” pour d’autres, le temps est venu de laisser place aux plaidoiries de la défense… Toutefois, de manière surprenante, le Président du MEDEF, le Président de l’UPA ainsi que le Secrétaire général de FO, n’ont pas jugé opportun d’apporter de réponse complémentaire à celle apportée par le conseil d’administration de Pôle emploi.
Réponse commune du ministre des finances et des comptes publics et du secrétaire d’État chargé du budget
Dans leur réponse commune, le ministre des finances et des comptes publics et le secrétaire d’État chargé du budget, soulignent que plusieurs recommandations de la Cour ont connu une traduction complète dans le cadre du projet stratégique 2015-2018 de l’opérateur. C’est le cas notamment du suivi de la performance. Pour la première fois, selon les ministres, les indicateurs suivis au niveau national et les indicateurs suivis sur le terrain par les agences sont parfaitement articulés.
En ce qui concerne l’approfondissement de la connaissance du marché du travail par Pôle emploi, les auteurs de la réponse indiquent que le projet stratégique a prévu, au terme d’une phase d’expérimentation concluante, la généralisation d’équipes de conseillers spécialisés dans l’accompagnement des entreprise. Ils ne sont toutefois pas hostiles à une meilleure formation des agents par la mise à disposition d’outils plus performants.
Ceux-ci reconnaissent qu’il convient d’accentuer la dématérialisation des procédures et améliorer l’articulation entre les différents types de contact (accueil physique, téléphone, Internet, courrier…). Le projet stratégique prévoit sur ce point la refonte dès 2015 du référentiel « repère » pour préciser les attendus de chaque modalité de contact et le traitement dématérialisé des inscriptions.
Enfin, pour ce qui est de la logique de différenciation des modalités de suivi en fonction de la situation des demandeurs d’emploi, les auteurs affirment qu’elle constitue la clef de voûte de la stratégie mise en œuvre par l’opérateur depuis 2011. Et de souligner leur attachement à cette stratégie qui semble être le levier le plus décisif pour assurer une utilisation efficace des ressources publiques consacrées à l’accompagnement des demandeurs d’emploi.
Réponse du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
A titre liminaire, le ministre du travail rejoint l’analyse de la Cour des comptes sur plusieurs points : – la complexité des missions de Pôle Emploi, accrue depuis la fusion entre l’ANPE et le réseau des Assedic, dans un contexte de forte augmentation du chômage. – le caractère satisfaisant des résultats en matière de respect des délais de paiement et de la règlementation. Le ministre adhère à l’alerte formulée par les sages de la rue Cambon sur la nécessité de poursuivre l’amélioration de la qualité du processus de gestion.
Cependant, il trouve préoccupants, les analyses et jugements portés par la Cour sur la mission d’intermédiation de Pôle Emploi, car remettant en cause la stratégie mise en œuvre depuis fin 2011, avec l’impulsion de plusieurs gouvernements différents, et l’unanimité des partenaires sociaux.
Concernant la mesure de l’efficacité de l’action de Pôle emploi, le ministre du travail estime que les indicateurs dont est doté Pôle emploi lui permettant de mesurer l’efficacité de son action (appareillage statistique et opérationnel) sont plus pertinents que celle des indicateurs bruts, non corrigés des effets de la conjoncture et de la composition de la demande d’emploi, analysés par la Cour.
Il confirme que la nouvelle convention tripartie 2015-2018, fonde une stratégie d’ensemble d’amélioration de la performance du service public de l’emploi et d’adaptation à l’évolution des besoins.
Enfin, le ministre du travail déplore que la Cour semble en appeler au retour à une conception antérieure de l’action de Pôle emploi, dont on a vu qu’elle ne produisait pas les résultats attendus, voire qu’elle entraînait une déception à la hauteur des promesses formulées.
Réponse du président du conseil d’administration de Pôle emploi, François Nogué
François Nogué, président du conseil d’administration de Pôle emploi, considère que le rapport remet en cause plusieurs des orientations stratégiques de Pôle Emploi, et propose dans certains cas des évolutions qui ont déjà été retenues et sont en cours de mise en œuvre.
Selon lui, l’efficacité de son action a par ailleurs augmenté, en attestent plusieurs éléments factuels : ses résultats en matière de retour à l’emploi seraient meilleurs aujourd’hui qu’il y a trois ans. La satisfaction des demandeurs d’emploi sur l’adaptation des services, est repartie à la hausse, en gagnant 5 points entre 2012 et 2014. Celle des employeurs a augmenté de 8 points.
L’auteur réfute le fait que Pôle emploi tournerait en quelque sorte le dos aux entreprises. Il s’agit justement d’un des axes prioritaires de la stratégie actuelle du conseil d’administration. D’ailleurs, à mi-2015, 4000 conseillers sont dédiés à la relation aux entreprises, interlocuteurs plus disponibles et proactifs pour accompagner celles-ci tout au long de leurs recrutements.
De surcroît, le constat selon lequel Pôle emploi ne considérerait plus comme prioritaire sa mission d’intermédiation entre l’offre et la demande d’emploi est vigoureusement contesté par le conseil d’administration. François Nogué d’indiquer que Pôle emploi intervient sur un marché du travail où les recruteurs comme les demandeurs d’emploi ont de plus en plus recours à Internet. Plus de 300 000 offres sont aujourd’hui accessibles en ligne sur pole-emploi.fr, soit près du double du chiffre de 2012. Parmi elles, 180 000 sont issues de nos partenaires privés.
Enfin, le Conseil d’administration craint l’impact négatif d’un rapport d’un tel type, en termes de motivation, pour des agents qui se trouvent depuis plusieurs années en première ligne de la crise économique et sociale que la France traverse.
Réponse de Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi
« L’universalité du service public ne tient pas à l’uniformité des réponses apportées »
Le directeur général de Pôle emploi quant à lui, s’insurge littéralement contre un rapport qu’il qualifie de rapport exclusivement à charge et de parti pris méthodologique injuste vis-à-vis du travail quotidien des collaborateurs de Pôle emploi.
Voici pour extrait sa réaction : « Comment peut-on conclure à la dégradation de nos résultats en se fondant sur un indicateur aussi contestable que le taux brut de retour à l’emploi ? Pourquoi passer systématiquement sous silence chacune de nos avancées ? Finissons-en une fois pour toutes avec l’idée que l’on pourrait apprécier l’efficacité de Pôle emploi en observant la seule évolution de la courbe du chômage. Nous agissons sur l’accès et le retour à l’emploi mais pas sur les destructions d’emploi. »
Le directeur reprend les statistiques encourageantes déjà invoquées par son Conseil d’administration, pour ensuite cibler une faiblesse majeure du rapport en ce qu’il néglige l’impact de la révolution numérique sur le fonctionnement du marché du travail.
De façon pertinente, il met en exergue le décalage entre le rapport final des magistrats et les stratégies de Pôle emploi, – décalage – résultant de travaux menés par la Cour sur une durée de deux ans, tandis que durant cette même période, Pôle emploi élaborait l’approfondissement de sa stratégie en signant une convention 2015-2018, le 18 décembre dernier. Pour preuve Jean Bassères se félicite que le rapport reprenne à son compte, sous la forme de recommandations, plusieurs évolutions déjà prévues, voire engagées, dans le cadre de la convention tripartite, comme la dématérialisation de l’inscription et de la demande d’allocation, le démarrage plus rapide de l’accompagnement, l’augmentation par redéploiement du nombre d’agents délivrant des services aux demandeurs d’emploi et aux entreprises ou encore le développement de la complémentarité des canaux d’accès à Pôle emploi. Il regrette cependant que la Cour omette de le préciser. Le directeur de Pôle emploi regrette que les évolutions engagées sont non seulement trop souvent passées sous silence mais font même, pour plusieurs d’entre elles, l’objet d’une réappropriation par la Cour. Selon lui, dans une logique de transparence, il aurait été souhaitable que le rapport précise que ces recommandations étaient déjà prévues ou mises en œuvre.
« La Cour fait appel à des indicateurs contestables pour évaluer nos actions et commet des erreurs d’appréciation sur notre offre de services », poursuit le directeur. A ses yeux, les positions contenues dans le rapport se démarquent de celles des autres organismes publics ayant évalué récemment l’action de Pôle emploi. Il est à ce titre rappelé qu’en faisant en grande partie l’impasse sur le développement des offres de services digitale, la Cour se démarque également du Conseil d’orientation pour l’emploi, qui souligne dans son rapport de mars 2015 que la stratégie de transformation digitale de Pôle emploi élargit la gamme des services offerts aux demandeurs d’emploi et aux entreprises.
L’auteur termine son plaidoyer en faveur de l’institution qu’il dirige, en réaffirmant si besoin en était, sa profonde détermination à mettre en œuvre la stratégie élaborée avec l’État et les partenaires sociaux pour accélérer le retour à l’emploi et mieux satisfaire les demandeurs d’emploi et les entreprises.
Réponse de la présidente de l’Unedic
Rejoignant Jean Bassères dans son analyse, Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic, évoque la convention 2015-2018, pour affirmer que celle-ci marque une nouvelle étape, tant pour l’offre de service que pour la gouvernance. Elle répond aux principales observations faites par la Cour.
L’Unédic partage pleinement l’objectif de modernisation du processus de service de l’indemnisation, objectif qui se traduit notamment par la dématérialisation de l’inscription et de l’ouverture des droits prévue par la convention tripartite. Elle souhaite que cette évolution réponde aux principales attentes des allocataires que sont les délais et la qualité du traitement des demandes d’allocations. L’amélioration de l’information donnée au demandeur d’emploi sur ses droits à indemnisation constitue également un enjeu et un objectif fort pour l’Unédic auquel l’offre de services de Pôle emploi doit répondre. S’agissant de la dématérialisation de l’inscription et de l’étude des droits une grande vigilance devra être portée, en particulier, à la vérification de l’identité du demandeur d’emploi et à l’authentification des informations transmises.
S’agissant de la complexité perçue de la réglementation de l’Assurance chômage, la présidente de l’Unédic tient à la relativiser (attention permanente des partenaires sociaux – dialogue) et indique « que la connaissance du calcul des indemnités légales de rupture soit parfois complexe n’est pas contesté, mais elle résulte directement du droit du travail, comme nombre de principes d’indemnisation applicables à l’Assurance chômage ».
Réponse du secrétaire général de la CFDT
L’observation du rapport selon laquelle les objectifs fixés à Pôle emploi l’éloigneraient de la mission d’intermédiation que lui confie la loi et lui feraient perdre son caractère universel, va selon le secrétaire général de la CFDT, à l’encontre de la volonté partagée par tous les acteurs des deux dernières conventions tripartites. Ils ont, d’une part, défini le cadre de la mission universelle de Pôle emploi, devant s’adresser à tous les demandeurs d’emploi et à toutes les entreprises.
La CFDT partage cependant certains points de vigilance identifiés par la Cour, particulièrement sur l’indispensable maintien d’un haut niveau de qualité de l’indemnisation mais également sur une connaissance accentuée des entreprises, pour améliorer les conseils et services proposés aux demandeurs d’emploi (sur les conditions d’emploi, les métiers, les formations nécessaires) et mieux répondre aux besoins de recrutement des entreprises faiblement dotées notamment.
Dans la même veine que Jean Bassères et Patricia Ferrand, le secrétaire général de la CFDT confirme que plusieurs des recommandations reprises en conclusion du rapport ont déjà trouvé leur réponse dans la nouvelle convention tripartite 2015-2018 signée le 18 décembre 2014 et dans le dernier plan stratégique adopté par le Conseil d’administration de Pôle emploi.
Réponse de la présidente de la CFE-CGC
La présidente du syndicat déplore que le nombre de demandeurs d’emploi ait augmenté de façon considérable (+58 % entre 2009 et 2015) ; sans que l’équipe des conseillers « Pôle Emploi » en soit renforcée.
Elle indique que Pôle Emploi s’est organisé afin de renforcer l’offre de service aux entreprises au vu des 4 000 conseillers qui vont être plus particulièrement dédiés à la relation avec les entreprises, mais la présidente de la CFE-CGC reste pour autant réservée sur l’absence d’augmentation des effectifs.
Réponse du président confédéral de la CFTC
A lire le représentant de la CFTC, la réglementation de la convention d’assurance chômage ne serait pas complexe ; elle s’adapterait seulement aux évolutions du marché du travail, et serait l’une des plus simples qui existent en France.
Sur l’orientation préconisée par la Cour des comptes visant au renforcement des connaissances du marché du travail et des entreprises, le président reconnait que certains outils manquent ou sont incomplets.
Réponse du président de la CGPME
L’organisation patronale rappelle tout d’abord qu’elle avait clairement exprimé son hostilité au rapprochement des deux grandes institutions à savoir l’ANPE et l’ASSEDIC pour la création d’un guichet unique. Pôle Emploi s’avère d’un pilotage difficile dans une période particulièrement instable où se développe le chômage de masse.
La CGPME pointe du doigt les différentes directives souvent intempestives de l’autorité de tutelle prompte à donner des impératifs de missions aux fins de répondre aux inquiétudes de l’opinion publique. Ces mesures d’urgence ont, à chaque fois, désorganisé une organisation déjà largement submergée et n’ont eu qu’un effet cosmétique sur la situation de l’emploi. Ceci devant être pris en compte pour une évaluation complète de Pôle Emploi.
Le président conclue par ces mots : « Les entreprises petites et moyennes ont besoin de stabilité et de visibilité pour envisager lorsque leur carnet d’ordre commence à se remplir de s’engager dans une démarche d’embauche. Les changements permanents dans la politique de l’emploi sont désastreux et la CGPME n’a de cesse que de réclamer une pause législative et réglementaire. Une déstabilisation de Pôle Emploi serait aujourd’hui catastrophique pour la lutte contre le chômage et chacun doit prendre ses responsabilités sur ce sujet majeur pour la nation tout entière ».
Réponse du secrétaire général de la CGT
Concernant le niveau de complexité des réglementations du régime d’assurance chômage, l’organisation syndicale reste, sur le principe, ouverte à certaines évolutions visant à simplifier des traitements et à favoriser l’information et la compréhension des usagers.
Le secrétaire prévient qu’une politique de fermeture des sites et de restrictions des horaires d’ouverture ne ferait que renforcer la situation de fracture sociale et d’éloignement du service public de l’emploi de ses usagers.
La CGT confirme par ailleurs que l’organisation actuelle de Pôle emploi ne permet pas, compte tenu du manque de moyens, d’accompagner correctement tous les demandeurs d’emploi. L’organisation syndicale partage en outre l’idée du rapport selon laquelle les choix qui ont été mis en œuvre par Pôle Emploi risquent de faire sortir l’opérateur de son rôle d’intermédiaire entre offre et demande d’emploi pour restreindre l’essentiel de ses actions à l’appui d’une petite partie des demandeurs d’emploi.
Il ne fait guère de doute pour le secrétaire, qu’à l’avenir, si les orientations stratégiques actuelles devaient être maintenues, c’est un service public de l’emploi rabougri qui subsisterait avec la seule ambition de s’occuper de ceux que certains appellent « les inemployables », les autres étant dirigés vers des opérateurs privés de placement.
L’organisation exprime un désaccord de fond sur les préconisations émises dans le rapport tendant à « stabiliser les moyens permanents de Pôle Emploi » en recourant à la sous-traitance et aux recrutements en CDD, en remettant en cause la convention collective nationale (mobilité, précarité, fixation d’objectifs individuels, promotion, classification) ou les conditions de travail (immobilier).