Le rapport incendiaire de la Cour des comptes sur Pôle emploi

La Cour des comptes a dévoilé ce matin son rapport relatif au fonctionnement de Pôle emploi face au chômage de masse. A peine les grandes lignes du rapport publiées, les réactions ont été vives. En effet, la Cour des comptes n’est pas avare en critiques à l’égard de Pôle emploi. Tentons de comprendre les indications de la Cour des comptes après un bref rappel historique. 

 

1 – Histoire ; de l’ANPE à Pôle emploi

Aux termes de l’article 1er de l’Ordonnance n°67-578 du 13 juillet 1967, était créé « sous le nom d’Agence nationale pour l’emploi, un établissement public national doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière, placé sous l’autorité du ministre des affaires sociales. » Cette ANPE devait gérer le service public de l’emploi. 

En 2008, sous le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy, la fusion entre l’ANPE et l’Unedic (deux organismes aux statuts juridiques différents) fut organisée par la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du service public de l’emploi. Par suite, l’Unedic et Pôle emploi signèrent une convention le 19 décembre 2008 pour le service de l’allocation d’assurance. 

 

2 – Bilan 2015 pour Pôle emploi

Aujourd’hui, Pôle emploi est le plus gros opérateur de l’État, avec quelque 53 000 agents, plus d’un millier d’agences et de points relais, 32 Md€ d’allocations et d’aides versées et 5 Md€ de budget. 

La Cour des comptes rend public un rapport thématique qui lui est consacré, intitulé « Pôle emploi à l’épreuve du chômage de masse » ? où les Sages de la rue Cambon brossent un tableau pour le moins négatif de l’institution. 

 

3 – Des résultats contrastés, des coûts croissants

Le rapport évoque notamment que la fusion de 2008 s’est accompagnée de coûts croissants, notamment du point de vue salarial. Depuis lors, les coûts de Pôle emploi ont augmenté et se sont rigidifiés, du fait du recrutement de conseillers en CDI (+ 4 000 entre 2012 et 2014) pour faire face à la montée du chômage. Entre janvier 2009 et janvier 2015, le nombre de personnes inscrites sur ses listes est passé de 3,9 millions à 6,2 millions, soit + 58 %. Pôle emploi se voit confier des missions exigeantes et connaît des résultats contrastés, avec des coûts croissants. Confronté au chômage de masse, il a redéfini profondément sa stratégie en 2012, mais continue de connaître des difficultés opérationnelles, en dépit de l’engagement de ses personnels. 

 

4 – Une mission d’intermédiaire entre offre et demande d’emploi qui n’est plus prioritaire

La Cour des comptes dénonce le fait que Pôle emploi ait renoncé à tout objectif global de collecte des offres d’emploi : de ce fait, le nombre d’offres d’emploi collectées par l’opérateur est en baisse depuis plusieurs années. Le bas blesse également en termes de gestion des ressources humaines, la répartition du temps de travail des conseillers de Pôle emploi ne favorise pas l’intermédiation entre l’offre et la demande d’emploi. La part du temps de travail consacré à l’entreprise est faible (12 % au total, avec seulement 2 % pour la prospection et les visites d’entreprises) et constitue en pratique une variable d’ajustement. La part trop importante du temps de travail des conseillers consacrée à des activités de gestion et de management (22 %) aboutit à ce que la part consacrée à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, qui est pourtant une priorité, est en définitive inférieure à 30 %. Le millier d’agences forme un réseau dont la densité est peu propice à une mutualisation des effectifs. L’absentéisme est élevé (près de 25 jours calendaires par an et par agent). 

 

5 – Des difficultés opérationnelles persistantes

L’intensité de l’accompagnement individuel des demandeurs d’emploi est en outre trop faible : 75 % des demandeurs d’emploi placés en accompagnement « renforcé » n’ont bénéficié que de quatre contacts ou moins en six mois avec leur conseiller, cette notion de contact englobant au demeurant non seulement les entretiens, mais aussi les échanges téléphoniques et les méls. 59 % des demandeurs d’emploi en « suivi », 49 % en « guidé » et 33 % en « renforcé » ont au maximum un contact tous les trois mois. 

 

6 – Conclusions et recommandations de la Cour des comptes

Dans ses conclusions, la Cour des comptes partage l’objectif stratégique de mieux différencier les services aux demandeurs d’emploi et aux entreprises en fonction de leurs besoins, mais elle constate que les modalités de mise en œuvre pratique de cette orientation risquent d’abaisser les exigences sur deux points : 

-Le rôle d’intermédiaire de Pôle emploi sur le marché du travail, élément fondamental de la définition du service public de l’emploi et de son efficacité ; 

-Le niveau d’efficience du service rendu par une réponse inappropriée à la montée du chômage, et notamment du chômage de longue durée. 

Enfin, la Cour formule trois orientations pour l’État, les partenaires sociaux, Pôle emploi et l’Unedic, ainsi que 13 recommandations visant à améliorer les services rendus aux employeurs et aux demandeurs d’emploi, à optimiser la gestion et à assurer un pilotage plus efficace de Pôle emploi. 

 

7 – Des réactions indignées

Le président du conseil d’administration de Pôle emploi, François Nogué, dénonce les conclusions du rapport, dans une lettre qu’il a adressée le 8 juin 2015 à la Cour. Il “regrette que ce rapport méconnaisse la réalité du travail quotidien” des collaborateurs de Pôle emploi et dit craindre son “impact négatif en termes de motivation pour des agents qui se trouvent depuis des années en première ligne de la crise“. 

Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, s’inscrit en faux contre ce rapport, dans une lettre adressée le 5 juin à Didier Migaud, Premier président de la Cour des Comptes. Il pointe “l’interprétation erronée“, une “vision dépassée du service public de l’emploi et de Pôle emploi“, ainsi qu’une analyse qui s’appuierait sur “des indicateurs contestables” : il dénonce un rapport “exclusivement à charge” qui ne “prend pas en compte l’évolution de notre environnement et notamment l’impact du numérique sur l’évolution du marché du travail“. Au vu des recommandations formulées par la Cour, le directeur général affirme qu’elles “sont pour la plupart déjà engagées” (dématérialisation de l’inscription et de la demande d’allocations, démarrage plus rapide de l’accompagnement, augmentation du nombre d’agents délivrant des services…) 

La Fédétation CFDT Protection Sociale Travail Emploi a réagi en affirmant que “Les 54 000 agents de Pôle Emploi font leur boulot” et exige : “Respectons les agents : le dénigrement systématique, ça suffit ! “. 

Dans un communiqué, le Snu Pôle emploi dénonce un “énième rapport à charge et ses agents au détriment des usagers“. Le SNU PE s’indigne du manque de réalisme relatif au travail quotidien des salariés de Pôle­Emploi dont font preuve les analyses et conclusions du rapport : “Oui les offres d’emploi diminuent et le chômage augmente, mais Pôle emploi n’en est en rien responsable“, estime le syndicat qui s’interroge : « les magistrats de la Cour des comptes vivraient-ils sur une autre planète ? Hors-sol ? ». Les agents de Pôle emploi “font leur boulot“, rétorque pour sa part la CFDT. 

 

8 – Les pistes envisageables

Pour Yannick l’Horty, Professeur à l’Université Paris-Est, directeur de la fédération de recherche « Travail, Emploi et Politiques Publiques » du CNRS, il est nécessaire d’individualiser d’avantage l’accompagnement. Selon l’auteur « les services de pôle emploi suivent de manière trop uniforme les demandeurs d’emplois », « il est important de différencier clairement le service rendu par pôle emploi en fonction des besoins des personnes qui sont très différents d’un demandeur d’emploi à un autre ». L’enseignant préconise aussi de « plafonner l’indemnisation » et « d’ajuster la cotisation chômages des entreprises à la pratique du licenciement ». 

L’idée de Gilles Saint-Paul, économiste spécialiste du marché du travail, consiste à « indexer la rémunération des dirigeants de pôle emplois sur la performance de leur site en termes de retour à l’emploi » selon lui, « on a à faire à une administration qui n’est pas rémunérée en fonction de ses résultats ». Pourquoi ne pas « mettre différents pôles emplois en concurrence comme on le fait pour d’autres services publics comme par exemple pour le contrôle technique automobile qui marche relativement bien » … 

Michel Abhervé, Professeur associé à l’université de Paris Est Marne la Vallée, partage pleinement deux des idées du Professeur Yannick l’Horty, consistant à individualiser d’avantage l’accompagnement, ce que Pôle emploi ne fait qu’à la marge tant la logique d’industrialisation des parcours imprègne la conception fondatrice de l’institution et Ajuster la cotisation chômage des entreprises à la pratique du licenciement, ce qui n’a été fait que très timidement. En revanche il est plus réservé sur sa proposition tendant à plafonner l’indemnisation ; pour Michel Abhervé « même si sa proposition concerne seulement les demandeurs d’emploi les mieux indemnisés, car elle pourrait induire la fin d’une logique de lien entre la cotisation et l’indemnisation, ce qui mérite débat ». 

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