Les partenaires sociaux ou, plus précisément, une partie d’entre eux : le MEDEF, la CPME et l’U2P côté patronal et la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC côté salarial, ont rendu publique hier une étude sur le partage de la valeur ajoutée – reproduite ci-dessous.
On y prend connaissance d’un certain nombre de chiffres qui invitent à réévaluer les bienfaits supposés des gouvernements de gauche pour les salariés – et leurs méfaits supposés pour les entreprises.
Un partage salaires/profits à peu près stable…
Le premier grand enseignement de l’étude paritaire est que, sur le long terme, le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits – désignés par les excédents bruts d’exploitation – est marqué par une certaine stabilité (page 35). En 1970, les salaires représentaient 69 % de la valeur ajoutée, tandis qu’en 2016, ils en représentaient environ 65 %. A l’inverse, la part des profits s’élèvait, respectivement, à 31 % et 32 %.
Dans le détail, les rédacteurs de l’étude observent, en page 11, quatre phases d’évolution bien distinctes du partage de la valeur ajoutée.
… mais soumis à d’importantes évolutions
A la lecture des chiffres fournis en page 35, les trois premières phases identifiées en page 11 se justifient pleinement. La première, qui court de 1973 à 1982, est marquée par une “forte baisse des marges dans la valeur ajoutée à un niveau historiquement bas” – de 31 % à 25 %. La seconde, de 1983 à 1989, est marquée par une dynamique tout à fait inverse – de 73 %, la part des salaires dans la valeur ajoutée chute à 64 %. La troisième période, de 1990 à 2007, est caractérisé par une stabilité du partage au niveau de 1989, “historiquement bas pour les salaires”. L’étude précise que ce “niveau […] ne bénéfice pas pour autant à la marge brute compte tenu de la hausse de la fiscalité qui annule l’effet sur le taux de marge de la baisse de la part des salaires”.
Enfin, sur la période “2008-2016”, l’étude relève, en page 11, une “remontée de la part des salaires bruts et cotisations sociales employeurs et [une] baisse du taux de marge jusqu’en 2014” – la part des salaires dans la valeur ajoutée progresse de 63 % en 2008 à 66 % en 2014. Les chiffres indiqués en page 35 ne contredisent pas cette analyse mais mettent, certes, surtout en exergue un net rebond du taux de profit dès 2013. Il passe ainsi de 30 % de la valeur ajoutée à ce moment-là à 32 % en 2015 et 2016. En parallèle, la part des salaires repart légèrement à la baisse.
La “conclusion” des partenaires sociaux
En page 27 de l’étude, ses signataires livrent leur “conclusion” de l’analyse de ces chiffres. Ils affirment, en particulier que “l’expérience montre que, plus que le partage de la valeur ajoutée, il faut être attentif au taux de croissance de la valeur ajoutée.” Etayant ce propos, ils citent notamment cet exemple : “malgré une hausse continue de la part des salaires dans la VA entre 2007 et 2014, pour atteindre un niveau jamais atteint depuis 30 ans, les salariés n’ont pas enregistré d’augmentation significative de leur pouvoir d’achat, loin de là”.
Pour les partenaires sociaux, cette conclusion – qui, en réalité, porte sur autre chose que sur l’analyse du partage de la valeur ajoutée pourtant proposée par l’étude… – présente l’avantage d’éviter les sujets qui fâchent en regardant dans une même direction : celle de la croissance économique – la fameuse expansion économique. A bien y réfléchir, l’étude des partenaires sociaux sur le partage de la valeur ajoutée peut pourtant conduire à une autre conclusion, plus politique celle-ci.
Une étude sévère pour la “gauche”
L’étude rappelle d’abord un fait qui est trop souvent oublié : c’est durant le premier mandat de François Mitterrand que la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé de manière spectaculaire, jusqu’à atteindre son plus bas historique. L’étude invite d’ailleurs à réfléchir à la cause politique de cette baisse, en rappelant qu’elle est essentiemment due à la désindexation des salaires par rapport aux prix – initiée en 1983 par le gouvernement Mauroy. A l’inverse, grâce à cette mesure, la part des profits des entreprises dans la valeur ajoutée a largement progressé.
Ensuite, on relèvera que le gouvernement de “gauche plurielle” de Lionel Jospin n’a pas remis en cause les grands équilibres de partage de la valeur ajoutée en vigueur depuis la fin des années 1980. Les esprits malicieux noteront même, ironie de l’histoire, que c’est à partir du quinquennat de Nicolas Sarkozy que la part des salaires dans la valeur ajoutée a repris de la vigueur.
Enfin, les mêmes esprits malicieux relèveront qu’en diminution sur la période 2008-2013, la part des profits dans la valeur ajoutée a recommencé à augmenter à partir de 2013. Les rédacteurs de l’étude indiquent l’une des principales raisons de cette évolution positive pour le capital : la mise en place du CICE en 2012-2013 – en l’occurrence par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
A la lecture de l’étude des partenaires sociaux sur le partage de la valeur ajoutée depuis 1970, il est décidément difficile de ne pas conclure que la “gauche” dessert le travail et sert le capital. Reste à savoir qui de la CFDT ou du MEDEF appréciera le plus cette conclusion.