Deux arrêts récents de la Cour de cassation nécessitent une attention particulière à plusieurs titres. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient en effet de rendre deux décisions pertinentes en matière de faute inexcusable de l’employeur.
Premièrement, dans un arrêt du 1er octobre 2015 (1), la Cour refuse de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, en son article 53, combiné aux articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
Deuxièmement, la Chambre civile précise dans un arrêt du 17 septembre 2015 (2), l’articulation devant être opérée en cas de transfert du contrat de travail, entre les obligations des deux employeurs successifs d’un même salarié, lorsque préexistait au transfert une déclaration de pathologie professionnelle et qu’aucune convention n’était intervenue entre ceux-ci.
L’arrêt du 1er octobre 2015
La conformité à la Constitution du régime d’indemnisation en cas de faute inexcusable
Les Hauts magistrats étaient saisis d’une QPC ainsi rédigée : « La loi 2000-1257 du 23 décembre 2000, en son article 53, combiné aux articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tels qu’interprétés par la Cour de cassation, en ce qu’elle met à la charge des entreprises privées totalement étrangères à la production, à la diffusion, et à la commercialisation de produits amiantés, l’indemnisation de leurs salariés ayant contracté avant l’interdiction de l’amiante en 1996 une maladie professionnelle consécutive à l’utilisation de produits amiantés, et en faisant peser sur elles une présomption irréfragable de faute inexcusable, est-elle ou non contraire aux principes généraux de droit ayant valeur constitutionnelle que sont : le principe de proportionnalité et le principe de sécurité juridique et de confiance légitime ? ».
La Cour de cassation estime qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel en rappelant d’une part, que les dispositions des articles L. 452-1 et L. 452-2 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale ont déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2010-8 QPC rendue le 18 juin 2010 par le Conseil constitutionnel. De surcroît, aucun changement de circonstances de droit ou de fait n’est depuis lors intervenu qui, affectant la portée des dispositions législatives critiquées, en justifierait le réexamen.
D’autre part, les juges répondent à la question de savoir si les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’auteur du dommage ou l’obligation à réparer des autres personnes ou organismes pouvait être engagée, étaient conformes aux principes généraux de droit à valeur constitutionnelle que sont : les principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de confiance légitime. La Cour affirme que l’article 53, VI, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 a pour seul objet de subroger, à due concurrence des sommes versées, le FIVA* dans les droits que possède la personne indemnisée contre le responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’en assurer la réparation, et d’agir ou d’intervenir à cette fin devant les juridictions civiles et répressives. En conséquence pour la Haute juridiction, ces dispositions n’affectent en rien la responsabilité et l’obligation de réparation qui en résulte.
Enfin, et c’est ici que l’arrêt trouve son utilité, la deuxième chambre civile considère que l’interprétation jurisprudentielle de la Cour de cassation relative aux dispositions de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ne tend nullement à imputer à un employeur les conséquences d’une faute inexcusable dont il n’est pas l’auteur, ni à faire peser sur lui une présomption irréfragable de faute inexcusable.
L’arrêt du 17 septembre 2015
La faute inexcusable et le transfert du contrat de travail
Le contrat de travail d’une salariée de la société Alliance, a été transféré à compter du 1er août 2009, à la société Compass Group France, devenue titulaire, aux lieu et place de la précédente, d’un marché de services de restauration collective. Précédemment à ce changement d’employeur, la salariée avait déclaré plusieurs pathologies que la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère avait prises en charge au titre de la législation professionnelle.
Toutefois, elle décide d’agir contre son nouvel employeur devant une juridiction de sécurité sociale pour faire reconnaître une faute inexcusable. Se fondant sur l’article L. 1224-2 du code du travail, aux termes duquel le nouvel employeur est en principe tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur à la date de la modification, la cour d’appel de Grenoble lui donne raison.
La Cour régulatrice censure la décision des juges du fond au visa des articles L. 1224-2 du code du travail et L. 452-4 du code de la sécurité sociale. Certes, le premier article implique que les obligations incombant à l’ancien employeur sont en principe transférées au nouveau, à la date de la modification, cependant, la Cour de cassation rappelle que c’est à l’exception d’absence de convention entre ceux-ci. Elle précise en outre que l’auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci.
Les Hauts magistrats en déduisent une violation des textes susvisés par la cour d’appel, en raison du fait que la déclaration des pathologies professionnelles de la salariée, préexistait au transfert du contrat de travail et qu’aucune convention n’était intervenue entre les employeurs successifs.
Ainsi, sauf accord exprès contraire entre les deux sociétés, les créances de dommages-intérêts sanctionnant une faute de l’ancien employeur ne sont pas transférées au nouvel employeur. Le salarié ne peut donc pas agir contre le second devant un tribunal des affaires de sécurité sociale, dès lors qu’aucune convention n’organise le transfert des dettes d’un employeur à l’autre.
(1) – Civ., 2ème 1er oct. 2015, n° 15-40.030 ; Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) c./ Sté Bata et a.
(2) – Civ., 2ème 17 sept. 2015, n° 14-24.534 ; Société Compass Group France c./ Mme X…
* – Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.