Les mutuelles de l’économie sociale sont en plein bouleversement. Coup sur coup, la Matmut, la Macif, Aesio, viennent d’annoncer des regroupements majeurs. Certains y verront la recherche d’une taille critique, d’autres la marque d’une fuite en avant pour un modèle éprouvé par des rendements décroissants et des exigences de solvabilité de plus en plus importantes.
Les mutuelles de l’économie sociale viennent d’annoncer plusieurs regroupements majeurs. La Matmut a annoncé son intention de se rapprocher d’AG2R, groupe paritaire de protection sociale bien connu et friand d’adossements en cascade. La MACIF devrait se rapprocher d’AESIO, lui-même fruit d’un rapprochement d’EOVI-MCD, d’Adréa et d’Apréva. Parallèlement, la MGEN et Harmonie poussent les feux sur le groupe VYV.
Le monde mutualiste au sens large est aujourd’hui absorbé par une course à la taille qui soulève plusieurs questions.
Les mutuelles de l’économie sociale fortement impactées par la réglementation prudentielle
L’une des principales raisons, les plus immédiates en tout cas, de cette course au rapprochement tient à la prolifération de normes prudentielles. Celles-ci exigent toujours plus de fonds propres pour couvrir les risques assurés.
Au premier chef, la directive Solvabilité 2 a eu un puissant impact sur l’activité des mutuelles d’assurance, y compris en santé. Cette directive oblige les assureurs à renforcer le provisionnement de leurs risques et leurs fonds propres pour éviter une nouvelle crise financière.
Pour les mutuelles de l’économie sociale, qui n’ont pas d’actionnaires, la mesure est complexe à “avaler”. La création sous François Hollande de certificats mutualistes, qui équivalent à une levée de fonds pour les mutuelles, visait à aider les acteurs du marché à augmenter leurs fonds propres tout en conservant leur gouvernance traditionnelle. On voit bien aujourd’hui que la dynamique enclenchée par Solvabilité 2 oblige quand même à des regroupements prudentiels, certificats mutualistes ou pas.
Au passage, certains ont dénoncé la surtransposition de la directive par Bercy. Les plus petites mutuelles, en particulier, ont bataillé pour expliquer que la santé est un risque qui échappe par nature aux exigences de la directive. Ce combat s’est immédiatement heurté à la volonté des plus grandes mutuelles de porter cette surtransposition.
Une logique de concentration forcenée
Aux yeux de beaucoup de grandes mutuelles regroupées au sein de la FNMF, le secteur mutualiste n’a pas mené la démarche de concentrations qui a métamorphosé l’industrie de l’assurance ces dernières décennies. D’où un différentiel très important entre le nombre d’assureurs ou de groupes paritaires autonomes en France sur le marché de la santé (moins de 20), et les près de 700 mutuelles encore existantes, dont 300 disposent d’une vraie autonomie financière.
Sans trop se cacher, la FNMF a promu un durcissement des règles prudentielles dans le domaine de la santé qui obligeront petit à petit les petites mutuelles à choisir entre la disparition ou l’adossement à de plus grands acteurs. Si la FNMF peut compter sur la vraie passivité des petites mutuelles à défendre leur destin, ses adhérents sont néanmoins à leur tour impactés par les normes qu’ils sont défendues.
L’effet de souffle produit par la généralisation de la complémentaire santé
Lorsque les adhérents de la FNMF se sont lancés tête baissée dans l’aventure Solvabilité 2 (initialement imaginée par les grands assureurs capitalistes de la place, avant même la crise de 2008), ils n’avaient pas anticipé que leur marché serait bouleversé par la généralisation de la complémentaire santé. Celle-ci a donné l’occasion au Conseil Constitutionnel de prohiber les désignations monopolistiques dans les branches professionnelles, et d’ouvrir le marché à une concurrence extrêmement dure entre assureurs santé pour couvrir le marché des mutuelles d’entreprises.
Contrairement à la petite musique toxique que chantonnent les partisans du tout sécurité sociale, la généralisation de la complémentaire santé n’a pas fait monter les tarifs. Elle les a fait baisser.
Incidemment, les marges des mutuelles de l’économie sociale ont aussi fondu, à un moment critique où il fallait renforcer ses fonds propres. Tout ceci condamne les acteurs de la complémentaire santé à une stratégie complexe: soit résilier les contrats les moins rentables, soit diminuer la concurrence par un processus continu de fusions.
Le modèle mutualiste est-il encore soutenable ?
Derrière ces grands mouvements tectoniques se cache une question fondamentale: le modèle mutualiste, avec son absence d’actionnaires et sa faible appétence pour la rentabilité, peut-il encore “tenir” face à un déchaînement de concurrence et à une absence de stratégie claire de la part des pouvoirs publics sur le financement de la santé?
La question est ouverte. Dans tous les cas, on imagine mal aujourd’hui que les fondements de la “démocratie mutualiste” ne doivent pas subir d’importantes évolutions vers plus de dirigisme managérial.