La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de rendre une décision importante dans le cadre de l’affaire dite Doctipharma. La Cour répond à des questions préjudicielles posées par la cour d’appel de Paris dans une affaire qui dure depuis 2016. Elle fixe ainsi les critères qui permettront à la justice française d’apprécier, ou non, la légalité de l’activité de vente en ligne de médicaments non soumis à prescription médicale.
Dans la configuration de l’affaire, le site Doctipharma (devenu Docmorris) propose à la vente des produits pharmaceutiques et médicaments pouvant être achetés sans ordonnance. Il met en relation les clients et les sites internet des pharmacies : ce sont ces dernières qui gèrent chaque commande qui leur est passée par l’intermédiaire de Doctipharma. Mais l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) s’est opposée à cette activité en estimant qu’il s’agit ni plus ni moins que du commerce de médicaments par une personne n’ayant pas la qualité de pharmacien.
Les juridictions françaises ne parvenant pas à avoir une interprétation commune du droit applicable à la situation, la cour d’appel de Paris a demandé à la CJUE de lui dire dans quelle mesure un site comme Doctipharma peut se voir interdire de vendre des médicaments sans ordonnance par internet. La CJUE vient de rendre sa décision, le 29 février 2024, dans laquelle elle expose les critères qu’elle retient.
Le degré d’implication dans la vente en ligne de médicaments sans prescription par un “non-pharmacien” : point clef de la réflexion
La CJUE évacue d’abord la question de la qualité du service fourni par Doctipharma. Le juge européen indique ainsi que le fait de proposer un site internet qui met en relation des pharmaciens et des clients pour la vente de médicaments non soumis à prescription médicale, dès lors que cette vente s’effectue à partir des sites des officines de pharmacies abonnées au site, est assimilable à un “service de la société de l’information” au sens du droit européen.
Partant de là, la CJUE propose au juge français d’examiner le degré d’implication du prestataire du service, Doctipharma en l’occurrence, dans l’activité de vente de médicaments sans prescription :
il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer, aux termes d’une appréciation purement factuelle, […] la personne, de Doctipharma ou des pharmaciens ayant recours au service qu’elle fournit, qui procède à la vente des médicaments non soumis à prescription.
CJUE, 29 février 2024, affaire Doctipharma C-606/21
Deux directions peuvent alors être prises par le juge français en suivant ce raisonnement.
Soit l’examen de la situation de Doctipharma montre que le prestataire s’implique directement dans la vente, auquel cas un non-pharmacien devient vendeur de médicaments. Dans ce cas, le droit de l’Union européenne “ne s’opposerait pas à l’interdiction de ce service par l’Etat membre sur le territoire duquel [la société] est établie“.
Soit le juge arrive à la conclusion que la société ne fait que proposer une plateforme de mise en relation entre les pharmaciens vendeurs et leurs clients. De fait, le service fourni serait donc “un service propre et distinct de la vente“. Alors “ce service ne pourrait être interdit […] au motif [que la société] participait au commerce électronique de vente de médicaments sans avoir la qualité de pharmacien“.
La CJUE conclut donc en ces termes :
les États membres peuvent […] interdire la fourniture d’un service consistant à mettre en relation, au moyen d’un site Internet, des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, de médicaments non soumis à prescription médicale, s’il s’avère, compte tenu des caractéristiques dudit service, que le prestataire du même service procède lui-même à la vente de tels médicaments sans y être autorisé ou habilité par la législation de l’État membre sur le territoire duquel il est établi.
CJUE, 29 février 2024, affaire Doctipharma C-606/21
Le juge français sait maintenant à quoi s’en tenir pour savoir si un non-pharmacien peut mettre en place un site de vente en ligne de médicaments sans ordonnance. Tout dépend de la qualité de la personne qui réalise effectivement cette vente. Si le prestataire non-pharmacien s’implique, ne serait-ce que d’un cheveu, dans le processus de vente, alors son activité peut être interdite par le droit national.