Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Il y a un peu moins d’un an, la Cour de cassation décidait que les différences de traitement instaurées par un accord d’établissement sont présumées justifiées. Par un arrêt en date du 4 octobre 2017, elle vient d’étendre cette présomption de justification aux différences instaurées par un accord d’entreprise. Cass.soc. 4.10.17, n°16-17517.
- Rappel de l’évolution jurisprudentielle relative aux différences de traitement instaurées par un accord collectif
Une jurisprudence constante depuis 2009 : les différences instaurées par accord collectif devaient reposer sur des raisons objectives
Pendant plusieurs années, depuis un arrêt du 21 janvier 2009 (1), la jurisprudence de la Cour de cassation était constante sur le sujet : celle-ci considérait en effet qu’il « ne peut y avoir de différences de traitement entre salariés d’établissements différents d’une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ». Cela signifiait en d’autres termes que des différences instaurées par un accord collectif étaient possibles, mais, en cas de contentieux, il revenait respectivement :
– à l’employeur de démontrer qu’elles reposaient sur des raisons objectives,
– aux juges de contrôler la réalité et la pertinence des raisons ainsi invoquées.
Une évolution de la jurisprudence amorcée en 2015 : la notion de présomption de justification des différences instituées par accord collectif
Puis, par un arrêt de 2015, la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence : au sujet de différences instituées entre catégories professionnelles par voie de convention ou accord collectif, elle décide alors qu’elles « sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».
La donne est ici inversée en comparaison avec la jurisprudence dégagée en 2009 : en cas de contentieux, ce n’est plus à l’employeur de faire la démonstration de raisons objectives et pertinentes justifiant les différences de traitement, mais à la partie qui invoque une différence de traitement de démontrer qu’elle est étrangère à toute considération de nature professionnelle.
La Cour de cassation a ici fait le choix de privilégier la sécurité juridique de la convention ou de l’accord collectif qui octroie l’avantage, en lui attribuant une présomption de légalité, au motif qu’il est négocié par les organisations syndicales représentatives légitimes.
C’était donc en toute logique que la Cour de cassation a confirmé cette évolution, en l’appliquant aux différences de traitement instituée par accord d’établissement : « les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’établissement négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de ces établissements, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’établissement et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle »(2).
Restait à la Cour de cassation d’achever cette construction jurisprudentielle en appliquant le principe de présomption de justification aux différences de traitement instaurées par accord d’entreprise.
Cela est désormais chose faite, depuis un arrêt du 4 octobre 2017.
- Une nouvelle pierre à la jurisprudence : les différences de traitement prévues par accord d’entreprise sont présumées justifiées
Dans l’affaire qui a été l’occasion, pour la Cour de cassation, d’appliquer sa jurisprudence aux accords d’entreprise, un accord d’entreprise prévoyait, suite à une fusion absorption, le maintien des conditions de rémunération du travail de nuit, du dimanche et des jours fériés uniquement pour les salariés affectés à l’établissement absorbé.
S’estimant victimes d’une inégalité de traitement découlant de l’accord d’entreprise, des salariés travaillant sur un autre établissement ont décidé de saisir la justice. Ils ont obtenu gain de cause devant la cour d’appel, qui a considéré que ces accords instituaient bien une inégalité de traitement non justifiée.
Saisie du pourvoi, la Cour de cassation décide, bien au contraire, de casser l’arrêt d’appel, dans la suite logique de sa jurisprudence. Elle applique le principe de la présomption de justification aux différences de traitement instaurées par un accord d’entreprise : « les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’entreprise négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise, (…), sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».
La Cour de cassation reprend le fondement même de cette légitimité des accords d’entreprise, à savoir le fait qu’ils soient négociés et signés par des organisations syndicales « investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’ensemble de cette entreprise et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote ».
- Une nouvelle confirmation de la légitimité des partenaires sociaux à élaborer des normes sociales
Cette décision de la Cour de cassation ne surprend guère dès lors qu’elle s’inscrit dans la suite logique de la jurisprudence dégagée depuis l’arrêt précité de 2015.
Elle mérite néanmoins d’être saluée : en effet, comme nous l’avions déjà indiqué, cette jurisprudence confirme la confiance dans les partenaires sociaux et leur légitimité pour élaborer des accords collectifs aux prises avec les réalités de terrain.
Une confirmation bienvenue dans un contexte où la négociation d’entreprise prend une place toujours plus importante.
(1) Cass.soc.21.01.09, n°07-43452
(2) Cass.soc.3.11.16, n°15-18444