Cet article provient du site du syndicat CFDT.
La Loi Travail a contribué à la lutte contre le détachement illégal en adaptant de nombreuses mesures visant à renforcer les obligations déclaratives (du prestataire, du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre), à accroître le contrôle du détachement et enfin à développer les sanctions administratives en cas de fraude. Toutefois, pour que ces mesures soient réellement effectives, fallait-il encore que les décrets soient publiés (1) et surtout entrent en vigueur. C’est chose faite, avec le principal décret d’application du 5 mai 2017 qui entrera en vigueur ce 1er juillet. Décret n°2017-825 du 05.05.17.
Le prochain numéro d’Action juridique (2) sera consacré au thème du détachement (et à la dernière réforme de l’inspection du travail). Il vous permettra de faire un point sur l’ensemble de la réglementation applicable au détachement à l’échelle française, mais aussi à l’échelle de l’Union européenne.
La loi Travail (3) est la troisième loi (en à peine 3 ans !) qui vise à renforcer les règles en matière de détachement. En effet, avant elle, la loi Savary (4) et la loi Macron (5) avaient déjà poursuivi l’objectif de lutter contre le détachement illégal. Voici plusieurs mesures issues de la loi Travail qui seront applicables à partir du 1er juillet, suite à l’entrée en vigueur du décret d’application du 5 mai 2017.
Une révision ciblée de la directive de 1996 relative au détachement est actuellement en discussion à Bruxelles. Plus précisément, sont visés les points suivants : limiter la durée maximale du détachement à 24 mois, tendre vers le principe «à travail égal, salaire égal», et appliquer l’ensemble de la règlementation sur le travail intérimaire de l’Etat d’accueil au travailleur intérimaire détaché sur ce territoire. La France, qui est très active dans ces discussions, a adopté une position encore plus ambitieuse en demandant notamment de limiter à 12 mois sur une période de 2 ans la duréedu détachement, mais aussi de renforcer le noyau dur de droits applicables aux travailleurs détachés en y intégrant explicitement les indemnités de transport, d’hébergement et de repas.
- De nouvelles obligations déclaratives en matière de détachement
L’obligation de vigilance du maître d’ouvrage étendue à toute la chaîne de sous-traitance (6) – Le maître d’ouvrage doit dorénavant vérifier que tous les salariés détachés sont bien déclarés, même s’il n’est pas lié directement par contrat avec l’entreprise qui les emploie. Pour cela, il doit demander, et ce avant le début de chaque détachement, au sous-traitant (directs ou indirects de ses cocontractants) établi hors de France, une copie de la déclaration préalable de détachement transmise à l’unité départementale compétente, sous peine d’une amende administrative.
Il en est de même avec les entreprises d’intérim établies hors de France qui travailleraient avec un de ses sous-traitants (directs ou indirects) ou de ses cocontractants(7). Il est réputé avoir procédé à cette vérification (autrement dit avoir respecté à son obligation de vigilance) dès lors qu’il s’est fait remettre ces documents.
Une déclaration spécifique en cas de détachement d’intérimaires- Pour rappel, la loi Travail a durci l’encadrement du détachement d’intérimaires via une déclaration spécifique à effectuer dans ce cas précis de détachement. L’entreprise utilisatrice établie hors de France qui, pour exercer son activité sur le territoire national a recours à des salariés détachés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire (ETT) également établie hors de France, doit envoyer à l’inspection du travail une déclaration. Cette dernière atteste de la connaissance par l’ETT du détachement de son salarié sur le territoire français ainsi que des règles qui accompagnent ce statut (8). Le décret du 5 mai 2017 fixe les éléments obligatoires à mentionner dans une telle déclaration, ainsi que les modalités de transmission (9), sous peine de sanctions (10).
A noter que la loi Travail réaffirme au niveau législatif (et non plus seulement réglementaire) le fait que l’ensemble des mesures relatives au travail temporaire s’applique aux travailleurs détachés.
La déclaration d’accident du travail généralisée – La loi Travail a renforcé la législation pour les travailleurs détachés victimes d’accident du travail. Lorsqu’un salarié détaché non affilié à un régime français de sécurité sociale est victime d’un accident du travail, une déclaration doit être envoyée à l’inspection du travail du lieu de survenance de cet accident. Selon le type de détachement, elle devra être effectuée soit par le prestataire, soit par le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre. Le décret du 5 mai 2017 précise que la déclaration doit être envoyée dans les 2 jours ouvrables suivant la survenance de l’accident du travail par tout moyen lui conférant une date certaine. Son contenu est également précisé par le décret.
Concernant les entreprises utilisatrices de salariés détachés par une entreprise de travail temporaire (ETT), elles doivent déclarer les accidents du travail, selon des modalités différentes.
– Lorsque le salarié est affilié à un régime français, elles sont tenues d’informer l’ETT selon les modalités réglementaires déjà existantes (11).
– Par contre, si le salarié détaché n’est pas affilié à un régime français, elles disposent d’un délai de 24 heures pour informer l’ETT, le service de prévention de la Carsat et l’inspection du travail.
Il faut noter que depuis la loi Travail, l’obligation de déclarer l’accident du travail est consacrée au niveau législatif (12). Elle était jusqu’alors uniquement prévue dans la partie réglementaire du Code du travail (13). En outre, il est prévu que tout manquement à cette obligation est désormais sanctionné par une amende administrative (14), auparavant seule une amende pénale était prévue et uniquement en cas de manquement par l’employeur.
- Accroissement du contrôle du détachement
De nouvelles informations pour les salariés dans le secteur du BTP (15)– Suite à la loi Travail, dans les grands chantiers de bâtiment ou de génie civil (chantiers de plus de 10 000 hommes-jour (16)), le maître d’ouvrage a désormais l’obligation (17) de porter à la connaissance des salariés détachés, par voie d’affichage sur les lieux de travail, les informations sur la réglementation qui leur est applicable. Concrètement, le décret du 5 mai 2017 précise les informations à donner. Ces dernières doivent être facilement accessibles et traduites dans l’une des langues officielles parlées dans chacun des Etats d’appartenance de salariés détachés. Le décret renforce cette mesure en obligeant l’affichage dans le local vestiaire et en précisant que les informations soient tenues dans un bon état de lisibilité (18). La méconnaissance de cette obligation d’affichage et d’information sera passible d’une amende administrative.
Par ailleurs, cette obligation s’applique également aux salariés titulaires d’une carte d’identification professionnelle. En effet, la loi Travail (19) prévoit que ces derniers se soient vus remettre, au moment de la délivrance de leur carte, un document d’information sur la réglementation applicable. Le décret précise que ce document les informe également des modalités selon lesquelles ils peuvent faire valoir leurs droits.
Il faut noter que si l’entreprise utilisatrice a recours à des salariés dans le cadre du travail temporaire, c’est à elle qu’il reviendra de remettre le document d’information puisque c’est elle qui sera également responsable de la demande de la délivrance de la carte.
- Plus de sanctions administratives en cas de fraude
Suspension de la prestation de services en cas d’absence de déclaration subsidiaire de détachement – La loi Travail vient d’ajouter un nouveau cas de manquement grave entrainant la suspension de la prestation de services. En cas de manquement par le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre de la déclaration subsidiaire de détachement dans les 48 heures suivant le début du détachement, la prestation pourra être purement et simplement suspendue (dans la limite d’1 mois) jusqu’à la réception de la déclaration de détachement transmise par l’employeur, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage pour les salariés concernés (20).
Le décret du 5 mai 2017 précise les modalités d’application de la suspension de la prestation dans ce cas spécifique. Concernant la sanction, il faut noter que l’amende administrative prévue en cas de manquement à la déclaration de détachement (21) pourra se cumuler avec la sanction de suspension de prestation de services.
Fermeture administrative temporaire de l’établissement – La loi Travail a adapté les conditions dans lesquelles est appliquée la mesure de fermeture temporaire en cas d’infraction de travail illégal (travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main d’œuvre ou emploi d’étranger non autorisé à travailler) lorsque l’activité de l’entreprise est exercée sur des chantiers de BTP (22) :
-lorsque l’activité de l’entreprise est exercée sur les chantiers de bâtiment ou de travaux publics, la fermeture temporaire prend la forme d’un arrêt de l’activité de l’entreprise sur le site dans lequel a été commis l’infraction ou le manquement ;
-lorsque la fermeture temporaire est devenue sans objet, parce que l’activité est déjà achevée ou a été interrompue sur le chantier concerné, l’autorité administrative (le préfet du département ou si Paris, le préfet de Police) peut prononcer l’arrêt de l’entreprise sur un autre site.
Le décret du 5 mai 2017 précise les modalités de mise œuvre de ces mesures – et plus précisément le cas dans lequel l’autre site ne se situe pas dans le même département que le site d’origine [23].
En conclusion, la CFDT ne peut que se réjouir de l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles qui, permettront sans nul doute de renforcer la lutte contre le détachement illégal. Toutes les mesures issues de la loi Travail ne sont toutefois pas encore en totalité applicables, faute de textes règlementaires ou de reports.
C’est le cas de l’obligation de contribuer financièrement au détachement [24]. Cette mesure sera réellement applicable au plus tard au 1er janvier 2018, à la suite de la publication de l’arrêté relatif aux conditions de mise en œuvre et de fonctionnement du système du télépaiement. En outre, l’obligation de faire la déclaration subsidiaire de détachement par voie dématérialisée [25] (pour le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre à défaut de déclaration préalable de détachement par le prestataire) a été reportée au 1er janvier 2018 (initialement prévu au 1er avril 2017).
(1) Les décrets relatifs au détachement ont été dans les derniers décrets issus de la loi Travail à être publiés.
(2) Magazine du service juridique confédéral.
(3) Loi n°2016-1088 du 08.08.16, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
(4)Loi n°2014-790 du 10.07.14, visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale.
(5) Loi n°2005-990 du 06.08.15 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
(6) Art. L.1262-4-1 C.trav.
(7) Art. R.1263-12-1 C.trav.
(8) Art. L.1262-2-1 C.trav.
(9) Art. R.1263-8-1 C.trav.
(10)Art. L.1264-1 C.trav.
(11) Art. R.412-2 du Code de la sécurité sociale.
(12) Art. L.1262-4-4 C. trav.
(13) Art. R.1262-2 C. trav.
(14) Art. L.1264-1 et L.1264-2 C. trav.
(15) Bâtiment et travaux publics.
(16) Art. L.4532-10 C.trav.
(17) Art. L.1262-4-C.trav.
(18) Art. D.1263-21 C.trav.
(19) Art. L.8291-1 III C. trav.
(20) Art. L.1264-4-1 C.trav.
(21) Art. L.1264-1 et -2 C.trav.
(22) Art. L.8272-2 C.trav.
(23) Art. R.8272-9 C.trav.
(24) Art. L.1262-4-6 C.trav.(25) Art. L.1262-4-1 C.trav.