Les mutuelles d’assurances sont-elles propriétaires de leurs portefeuilles? et doivent-elles être indemnisées en cas de perte de ce portefeuille, comme n’importe quelle entreprise capitalistique? Ces questions sont incidemment portées sur le devant de la scène par une décision du Conseil Constitutionnel.
Le Conseil Constitutionnel soulève la question…
Tout est parti de la décision du Conseil Constitutionnel du 6 février 2015, prise en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société mutuelle des transports assurances, adhérente de la ROAM (organisme de lobbying pour les petites mutuelles d’assurance).
Celle-ci, durant l’été 2014, a été l’objet, de la part de l’ACPR, d’une procédure de transfert d’office de portefeuille, prévue par le Code Monétaire et Financier (article L 612-33) “lorsque la solvabilité ou la liquidité d’une personne soumise au contrôle de l’Autorité ou lorsque les intérêts de ses clients, assurés, adhérents ou bénéficiaires, sont compromis ou susceptibles de l’être, ou lorsque les informations reçues ou demandées par l’Autorité pour l’exercice du contrôle sont de nature à établir que cette personne est susceptible de manquer dans un délai de douze mois aux obligations prévues par le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, par une disposition des titres Ier et III du livre V ou d’un règlement pris pour son application ou par toute autre disposition législative ou réglementaire dont la méconnaissance entraîne celle des dispositions précitées”.
La mutuelle en question s’est alors pourvue devant le Conseil d’Etat contre la décision de l’ACPR et a invoqué à cette occasion l’inconstitutionnalité de la loi, puisque celle-ci prévoit un transfert de portefeuille sans indemnité. On notera que la disposition législative invoquée appartient au Code Monétaire et Financier et non au Code des Assurances. Si la QPC a un impact direct sur les adhérents du GEMA, de la ROAM et de la FFSA (qui a d’ailleurs défendu la MTA devant le Conseil Constitutionnel), elle concerne l’ensemble des acteurs de l’assurance au sens large, c’est-à-dire les institutions de prévoyance et les mutuelles relevant du Code de la Mutualité.
Saisi de cette QPC, le Conseil Constitutionnel a estimé que “le transfert d’office de tout ou partie du portefeuille s’opère sur décision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, sans que soit laissée à la personne visée la faculté, pendant une période préalable, de procéder elle-même à la cession de tout ou partie de ce portefeuille ; (…) dans ces conditions, le transfert d’office du portefeuille de contrats d’assurance d’une personne titulaire d’un agrément entraîne une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ; que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition n’assurent le respect des exigences qui résultent de cet article.”
Le Conseil Constitutionnel a donc invalidé la rédaction de la loi en considérant qu’un transfert de portefeuille constituait une atteinte à la propriété privée, et ne pouvait donc intervenir que moyennant une indemnisation du propriétaire.
Mutuelle et propriété privée
Si l’ensemble des acteurs de l’assurance seront ravis d’apprendre que la procédure de transfert d’office de portefeuille doit désormais faire l’objet d’une procédure d’indemnisation, c’est évidemment la référence à la propriété privée qui retient l’attention. Dans le champ mutualiste ou paritaire, elle ne manquera pas à l’avenir de soulever de nombreuses questions sur la différence effective de nature entre ces acteurs et les compagnies d’assurance.
Le Conseil Constitutionnel a en effet précisé que “les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d’application à des domaines nouveaux ; que les portefeuilles de contrats ou de bulletins d’adhésion constitués par une personne dans l’exercice de l’activité d’assurance relèvent de sa protection”. Cette désignation très large fait donc basculer l’ensemble des acteurs du côté du droit de la propriété, ce qui ne manque pas de piquant.
D’une seule phrase, le Conseil Constitutionnel a expliqué que les acteurs du secteur ne pouvaient plus guère se distinguer selon le Code dont il relève, et qui définit leur statut juridique. C’est la nature du contrat qui les unit désormais. Qu’ils soient mutualistes ou capitalistiques, ils sont des propriétaires privés de leur portefeuille.
Si le Conseil Constitutionnel avait voulu donner un coup de pouce à un rapprochement entre la FNMF, la FFSA, et le GEMA, il ne s’y serait pas pris autrement.