Les conventions de forfait-jours : un casse-tête pour de nombreuses branches

Une convention de forfait annuel en jours est un mode d’organisation du temps de travail qui permet de décompter le travail du salarié en jours travaillés dans l’année et non en heures sur la semaine. Elle permet d’exclure les dispositions relatives à la durée du travail. Ainsi les salariés en forfait-jours ne sont ni soumis à la durée légale du travail (35h/semaine), ni à la durée maximale de travail (10h/jour et 48h/semaine) ni aux heures supplémentaires (article L3121-48 du code du travail). 

En contrepartie, la loi prévoit que lors de l’embauche d’un salarié en forfait jours, il est nécessaire qu’un accord collectif d’entreprise ou une convention collective de branche l’autorise expréssement. 

Néanmoins, cette formalité semble insuffisante pour la Cour de Cassation, qui n’a pas hésité ces dernières années à rajouter des conditions supplémentaires quant à la validité des conventions de forfait-jours. 

 

De nouvelles exigences sur le forfait-jours posées sous l’impulsion du droit européen

Dès 2011, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) avait considéré que le système de forfait-jours français pouvait aboutir à une durée du travail “manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable” étant donné qu’il ne limitait ni ne contrôlait pas le nombre d’heures travaillées. Il a donc incité la France à mieux encadrer ces forfaits au regard de la durée maximale du travail. 

Peu de temps après, dans son arrêt du 29 juin 2011, la chambre sociale de la Cour de Cassation a suivi la position du comité. Elle a imposé de vérifier que toute convention de forfait-jours soit prévue par un accord collectif, dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journalières et hebdomadaires. 

Ainsi, l’accord collectif doit encadrer le forfait-jour de sorte que sa mise en oeuvre doit garantir le respect des durées maximales de travail. Cela ne signifie pas que l’accord doit expréssement mentionner ces durées mais l’employeur ne pourra pas laisser son salarié effectuer plus de 48h par semaine. Finalement, l’entreprise doit s’assurer que la durée du travail du salarié reste raisonnable.  

Au regard de cette nouvelle condition, les juges ont régulièrement remis en cause les conventions de forfait-jours au nom de la protection de la sécurité et de la santé des salariés. 

 

D’importantes branches ont été épinglées

A l’issue de cette décision, la Cour de Cassation a épinglé de nombreuses conventions collectives. A ce titre, elle a jugé que les accords relatifs au forfait-jours dans l’industrie chimique, du commerce de gros et celui du Syntec ne prévoyaient pas des garanties suffisantes (Soc, 31 janvier 2012; Soc, 26 septembre 2012 et Soc, 24 avril 2013). Par conséquent, les conventions de forfait-jours ont été déclarées nulles. 

A la suite de ces jurisprudences de 2012 et 2013, la Cour de Cassation a continué sur sa lancée et c’est la convention collective nationale des experts-comptables qui a connu le même sort dans un arrêt du 14 mai 2014. Une nouvelle fois, la juridiction a reconnu que les dispositions relatives au forfait-jours n’étaient pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail de salarié et donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés. 

Dès lors, toutes ces branches ont été contraintes à revoir leur convention collective nationale afin de ne pas risquer de voir toutes les conventions individuelles de forfait-jours annulées. Ce fut le cas de la branche Syntec qui a renégocié un nouvel avenant, dans lequel un décompte des jours travaillés et de repos a été instauré, ainsi que la mise en place de deux entretiens individuels. De même, au sein de la branche des experts-comptables, des réunions paritaires ont permis d’aboutir à un nouvel accord dès le début de l’année 2015. 

 

Un enjeu de taille: le paiement des heures supplémentaires

Si la convention collective n’assure pas la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la convention de forfait-jours est nulle. Par conséquent, le salarié peut réclamer le paiement des heures supplémentaires réalisées sur une période de 3 ans. 

En l’absence de convention individuelle de forfait, la sanction est encore plus lourde. La Cour de Cassation a décidé que l’employeur devait en plus verser au salarié l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de 6 mois de salaire (Soc, 28 février 2012). 

Ainsi, le coût financier que représentent ces sanctions encourage fortement l’employeur à revoir les garanties d’un accord insuffisamment protecteur. Cette décision a également eu pour conséquence de renforcer le rôle des partenaires sociaux qui devront mener une négociation rigoureuse des accords afin qu’ils respectent ces obligations. 

 

Les entreprises et branches doivent prendre davantage de précautions

Cette jurisprudence oblige chaque entreprise et/ou branche à vérifier minutieusement les accords mettant en place les forfaits jours, afin de s’assurer qu’ils garantissent le respect de la durée maximale hebdomadaire correspondant au plafond européen (soit 48h/semaine) et les temps de repos journalier et hebdomadaire (11h par jour et 35h consécutives par semaine). 

En outre, le détail des modalités de mise en oeuvre des garanties doit figurer dans l’accord. En pratique, l’employeur doit mettre en place un moyen de décompte et de contrôle du temps de travail réalisé par ses salariés en forfait-jours. Il peut s’agir de créer un document de contrôle mentionnant le nombre et la date des journées travaillées. L’employeur doit également tenir un entretien annuel spécifique à la charge de travail (article L3121-46 du code du travail). 

De toute évidence, de telles exigences s’avèrent très contraignantes pour l’employeur et risquent de priver le forfait-jours d’une partie de son intérêt et d’en limiter le nombre. 

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