Le revenu universel: petit essai de géographie politique

Les récents débats sur l’ubérisation, la numérisation et la protection sociale ont fait émerger clairement la question du revenu universel qui demeure, pour beaucoup de Français, une sorte de mystère coincé entre l’utopie et l’encouragement à la paresse. Cette énigme est accrue par l’hétérogénéité des conceptions en vigueur sur ce revenu: idée portée à la fois par certaines fractions de gauche et par certaines fractions de droite, le revenu universel déroute parce qu’il est à la fois marginal, dissident, et source d’affrontements parfois très violents entre ses partisans.  

Pour en décoder le sens, une petite géographie politique du revenu universel s’impose. 

Le revenu universel et les libertaires

Une première fraction des défenseurs du revenu universel appartient au monde libertaire et donc à l’extrême gauche. Ceux-là préconisent de déconnecter complètement le travail et le revenu, en considérant que l’homme doit assurer la mise en oeuvre du projet communiste final du « à chacun selon ses besoins », contre le trop capitaliste « à chacun selon son travail ». Dans ce cas de figure, le revenu universel repose sur une approche utopiste de la société où le travail ne serait plus une source d’aliénation, et où l’argent comme valeur d’échange tendrait à disparaître. 

Le revenu universel et les libéraux de gauche

Une autre fraction « de gauche » développe une approche plus théorique du revenu universel, plus systémique et moins utopiste. Elle part de l’idée qu’une part importante de la richesse nationale est produite par des « externalités » qui doivent profiter à tous de façon égalitaire. C’est par exemple le cas lorsqu’une marque de luxe utilise la Tour Eiffel sur ses affiches publicitaires pour faciliter ses ventes dans le monde. Le rayonnement de ce bâtiment comme symbole du luxe français n’est pas lié aux investissements de la marque bénéficiaire, mais au patrimoine culturel collectif que chaque Français contribue à créer et à entretenir. Il paraît donc normal qu’une partie de la valeur créée par cette marque de luxe soit redistribuée à tous les Français. 

Les économistes du revenu universel évalue la part de la richesse nationale due à ces externalités positives à environ 15% du PIB, soit 300 milliards à redistribuer à tous les Français, ce qui équivaut à un revenu d’environ 400 euros mensuels de la naissance à la mort. 

Le revenu universel et les libéraux centristes

Un peu plus « libéraux » au sens strict, certains de ses défenseurs abordent la question à travers l’ubérisation et le statut du travailleur. Ceux-là constatent les imperfections de notre système de redistribution des richesses, encore très liés au contrat de travail à durée indéterminée. De fait, la voie royale pour entrer dans l’économie française reste encore aujourd’hui la détention d’un CDI, qui ouvre toutes les portes: accès à l’emprunt, aux droits sociaux les plus élevés, à une véritable sécurité statutaire.  

Constatant que la révolution numérique fragilise de plus en plus cet ordre social, avec l’émergence de nouvelles formes de travail et une vraie désaffection des jeunes générations vis-à-vis du CDI et de l’emploi à vie dans la même entreprise, les libéraux centristes proposent une évolution vers une sorte de statut du travailleur qui ouvrirait droit au versement d’une allocation mensuelle pour tous, avec des montants évolutifs selon l’âge. 

Ce principe, qui ressemble furieusement au compte personnel d’activité promu par la CFDT (si ce n’est que, en l’état, ce compte n’ouvre pas droit à des allocations et est indexé sur les périodes de cotisation), est strictement encadré et s’ajoute aux prestations de sécurité sociale. Il repose sur une transformation des minima sociaux en revenu universel. Précisons que son coût reste encore assez mystérieux et ne règle en tout cas pas la question de la compétitivité du travail. 

Le revenu universel et les libertariens

La frange la plus radicale des libéraux va plus loin en proposant le remplacement des prestations de sécurité sociale par le revenu universel. Dans ce cas de figure, l’idée majeure est relativement simple: dès lors qu’il existe une redistribution et une protection collective, celle-ci doit être universelle mais libre. Au lieu de lever des cotisations sociales sur les seuls salariés pour financer les prestations de protection sociale de l’ensemble des Français, il vaut mieux lever l’impôt et redistribuer une somme identique à chacun tout au long de la vie pour financer les choix individuels de protection sociale.  

Dans cette perspective, le revenu universel est indissociable d’une réforme en profondeur de la sécurité sociale telle que nous la connaissons. Il propose de préserver l’obligation de s’assurer, tout en ouvrant à chacun la liberté de choisir son assureur, comme cela existe déjà pour l’automobile.  

Cette conception-là du revenu universel est à la fois la plus simple et la plus compliquée à mettre en oeuvre.  

La plus simple parce que techniquement, elle consiste simplement à fiscaliser les cotisations et à autoriser les Français à ne plus s’affilier obligatoirement au régime général. Elle donnera un superbe coup de fouet à la compétitivité de nos entreprises et supprimerait de nombreuses couches technocratiques.  

La plus compliquée parce qu’elle est la plus structurante et la plus bouleversante pour les habitudes acquises. 

 

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