Nos 925 parlementaires méritent-ils leurs vacances ? Par décret présidentiel du 23 juillet 2015, la session extraordinaire du Parlement a été clôturée. C’est l’occasion de dresser un bilan de l’activité normative du législateur en matière de Droit du travail.
Quatre lois à caractère essentiellement social, adoptées depuis le 1er janvier 2015, s’inscrivent à l’actif du bilan partiel 2015 des parlementaires. Il restera cependant à établir un compte de résultat au regard des futurs décrets d’application.
1 – Droit des agences d’emploi privées
Par la loi n° 2015-278 du 13 mars 2015, le législateur a autorisé la ratification de la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées, adoptée à Genève le 19 juin 1997.
Rappelons à titre liminaire que la France a mis fin au monopole de placement de l’agence nationale pour l’emploi (devenue pôle emploi) par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.
Cette Convention de l’OIT reconnait le rôle que les agences d’emploi privées peuvent jouer dans le bon fonctionnement des marchés du travail, en ajustant mieux l’offre et la demande de main-d’œuvre. Elle favorise la coopération entre services d’emploi publics et privés dans divers domaines, et notamment dans celui de l’aide aux demandeurs d’emploi et aux travailleurs des entreprises utilisatrices. Partant, la Convention n° 181 (OIT) autorise la création d’agences d’emploi privées mais exige la détermination d’un cadre juridique et des conditions d’exercice de leurs activités qui garantissent une protection adéquate aux travailleurs faisant usage de leurs services.
Selon le gouvernement, « en la ratifiant, la France, qui a d’ores et déjà mis fin au monopole de placement dans sa législation nationale comme un grand nombre de pays de l’Union européenne, donne une impulsion nouvelle à l’amélioration des conditions de recherche d’emploi ».
2 – Droit du travail maritime de la pêche
Le 16 avril 2014, Laurent FABIUS ministre des affaires étrangères et du développement international, avait déposé à la Présidence de l’Assemblée nationale, un projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 188 de l’Organisation internationale du travail relative au travail dans la pêche. Un an plus tard, le parlement a voté ce projet en adoptant la loi n° 2015-470 du 27 avril 2015.
Avec la Convention du travail maritime, 2006, également adoptée par l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiée par la France et entrée en vigueur pour notre pays le 20 août 2013, elle représente un véritable code du travail mondial, pour les gens de mer et pour les pêcheurs. Nous attendons avec impatience que l’Etat français dépose ses instruments de ratifications et que le gouvernement publie par décret au Journal officiel ladite Convention pour qu’elle intègre notre ordre juridique.
3 – Loi dite « Rebsamen », sur le dialogue social et l’emploi
La loi relative au dialogue social et à l’emploi, adoptée en lecture définitive par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2015, n’a pas encore été promulguée. Le 27 juillet dernier, le secrétariat général du Conseil constitutionnel a enregistré une saisine présentée par au moins 60 députés (2015-720 DC : Loi relative au dialogue social et à l’emploi)
Selon le gouvernement, le texte « réforme en profondeur le dialogue social au sein de l’entreprise ». Il introduit notamment un droit universel à la représentation pour les 4,6 millions de salariés des très petites entreprises, à travers des commissions paritaires régionales.
Commissions paritaires régionales interprofessionnelles
La loi relative au dialogue social et à l’emploi généralise les commissions paritaires régionales et la représentation des salariés des petites entreprises (moins de onze salariés).
Le texte précise qu’elles représentent les salariés et les employeurs des entreprises de moins de onze salariés relevant des branches qui n’ont pas mis en place de commissions paritaires régionales, ou, le cas échéant, départementales lorsque leur champ de compétence géographique recouvre l’intégralité d’une région, par un accord de branche ou de niveau national et interprofessionnel ou multiprofessionnel. Ces commissions seront composées de vingt membres, salariés et employeurs d’entreprises de moins de onze salariés, désignés par les organisations syndicales de salariés et par les organisations professionnelles d’employeurs.
Elles auront pour rôle de donner aux salariés et aux employeurs toutes informations ou tous conseils utiles sur les dispositions légales ou conventionnelles qui leur sont applicables, de débattre et de rendre des avis sur les questions spécifiques aux TPE et à leurs salariés, notamment en matière d’emploi, de formation, de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de conditions de travail, de santé au travail, d’égalité professionnelle, de travail à temps partiel et de mixité des emplois. Leur mission pourra aussi consister à faciliter la résolution de conflits individuels ou collectifs (avec l’accord des parties concernées) n’ayant pas donné lieu à saisine d’une juridiction. Les commissions pourront faire des propositions en matière d’activités sociales et culturelles.
Institutions représentatives du personnel
Une délégation unique du personnel élargie et plus accessible ! Jusqu’à présent, dans les entreprises de moins de 200 salariés, l’employeur pouvait décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d’entreprise, ce qui est appelé la « délégation unique du personnel ». L’article 13 de la loi sur le dialogue social et l’emploi élève ce seuil à 300 salariés, et intègre le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail à la DUP¨.
Regroupement par accord des institutions représentatives du personnel (DP – CE – CHSCT)
Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, un accord signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés, au premier tour des élections professionnelles, pourra prévoir le regroupement des DP, du CE et du CHSCT ou de deux de ces institutions représentatives au sein d’une instance exerçant l’ensemble des attributions des institutions faisant l’objet du regroupement.
Simplification et hiérarchisation des obligations d’information, de consultation et de négociation dans l’entreprise
Aux termes de l’extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 22 avril 2015, pour que le dialogue social soit plus vivant et plus stratégique, le projet de loi rend les institutions représentatives du personnel plus efficaces en les adaptant davantage à la diversité des entreprises. Il clarifie leur rôle respectif et simplifie leur fonctionnement concret. Il met au cœur de ce dialogue les questions relatives à la qualité de vie au travail et aux conditions de travail.
Aujourd’hui il existe 17 obligations récurrentes d’informations – consultations du comité d’entreprise, portant sur des sujets aussi variés que la situation économique, l’emploi ou l’utilisation des aides publiques. Selon le gouvernement, cette accumulation est un facteur de complexité et de redondances. C’est pourquoi la loi réorganise ces obligations d’informations. Elle recentre l’ensemble des consultations-informations autour de trois temps forts :
– Une consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise ;
– Une consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise ;
– Une consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.
Elle prévoit également qu’un accord d’entreprise puisse organiser ces consultations pour les adapter au mieux en fonctions des besoins des partenaires sociaux.
S’agissant des négociations obligatoires, la loi Rebsamen les recentre autour de blocs structurants :
– Le temps de travail, la rémunération et le partage de la valeur ajoutée ;
– La qualité de vie au travail ;
– La gestion des emplois et des parcours professionnels.
Réunions communes des institutions représentatives du personnel
L’employeur pourra organiser des réunions communes de plusieurs des institutions représentatives du personnel lorsqu’un projet nécessite leur information ou leur consultation. Il inscrira ce projet à l’ordre du jour de la réunion commune, qui pourra comporter des points complémentaires selon les règles propres à chaque institution. Cet ordre du jour sera communiqué au moins huit jours avant la séance aux membres des institutions réunies. Toutefois, les règles de composition et de fonctionnement de chaque institution sont respectées.
Le recours à la visioconférence pour tenir les réunions communes pourra être autorisé par accord entre l’employeur et les membres des institutions réunies. En l’absence d’accord, ce recours sera limité à trois réunions par année civile. Un décret déterminera les conditions dans lesquelles il est possible, dans ce cadre, de procéder à un vote à bulletin secret.
Adaptation des règles de négociation par voie d’accord
Le texte prévoit qu’en l’absence de délégué syndical, la priorité de négociation soit donnée à un élu du personnel mandaté et, à défaut uniquement, à des élus non-mandatés. Dans le premier cas, la négociation pourra porter sur l’ensemble des thèmes ouverts aux délégués syndicaux. La place des organisations syndicales est ainsi réaffirmée.
Nouveaux droits pour les représentants des salariés
La nouvelle loi vise également à valoriser les parcours professionnels des élus et des titulaires d’un mandat syndical. Un accord déterminera les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes. Cet accord prendra en compte l’expérience acquise, dans le cadre de l’exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle.
Au début de son mandat, le représentant du personnel titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d’un mandat syndical bénéficiera, à sa demande, d’un entretien individuel avec son employeur portant sur les modalités pratiques d’exercice de son mandat au sein de l’entreprise au regard de son emploi. Il peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise. Cet entretien ne se substitue pas à l’entretien professionnel mentionné à l’article L. 6315-1.
L’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical donnera lieu à l’acquisition de compétences, pour lesquelles, le gouvernement fera un recensement, celles-ci étant par suite enregistrées au répertoire national des certifications professionnelles.
Ces nouveaux blocs de compétences pourront donner lieu à l’obtention d’une certification au profit du salarié, lui permettent d’obtenir des dispenses dans le cadre notamment d’une démarche de validation des acquis de l’expérience permettant, le cas échéant, l’obtention d’une autre certification.
En outre, ces salariés, lorsque le nombre d’heures de délégation dont ils disposent sur l’année dépasse 30 % de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement, bénéficieront d’une évolution de rémunération, au moins égale, sur l’ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise.
Un plus grand nombre d’administrateurs salariés dans les sociétés
La loi Rebsamen élargit le champ des entreprises qui sont tenues d’avoir des administrateurs représentant les salariés. Les sociétés qui emploient au moins mille salariés (5000 auparavant) permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins cinq mille salariés (10000 auparavant) permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger, auront l’obligation de disposer d’administrateurs représentant les salariés.
Création d’un compte personnel d’activité pour 2017
Selon le gouvernement, le compte personnel d’activité rassemblera les principaux droits sociaux attachés à l’exercice d’une activité (notamment, le compte personnel de formation et le compte personnel de prévention de la pénibilité) pour renforcer leur lisibilité et sécuriser le parcours professionnel de chacun. L’objectif du compte est de rendre ces droits plus lisibles, consolider la logique des droits individuels portables et donner ainsi plus de continuité à un système de droits, aujourd’hui trop compartimenté. Une concertation sera engagée avant la fin de l’année avec les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, qui seront invitées, si elles le souhaitent, à ouvrir une négociation sur ses modalités de mise en œuvre. L’objectif étant que chaque personne dispose d’un compte personnel d’activité au 1er janvier 2017.
Une avancée vers la prise en compte du syndrome d’épuisement professionnel
Le « burn-out » ne bénéficiera pas de la présomption légale consistant à être reconnu de plein droit comme une maladie professionnelle inscrite au tableau. Il pourra l’être seulement après examen par les comités régionaux au cas par cas. Cependant, le Gouvernement devra remettre au Parlement, avant le 1er juin 2016, un rapport sur l’intégration des affections psychiques dans le tableau des maladies professionnelles ou l’abaissement du seuil d’incapacité permanente partielle pour ces mêmes affections.
4 – Loi dite « Macron » pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
La loi Macron a été adoptée le 10 juillet 2015 par l’Assemblée nationale. Depuis le 15 juillet 2015, elle est déférée au Conseil de constitutionnalité pour contrôle de conformité. Elle n’est donc pas à ce jour en vigueur. Voici quelques éléments du texte relatifs au droit du travail ;
Travail dominical
Des mesures ont fait la « Une » des dernières semaines, telles que l’ouverture des magasins le dimanche (Articles 241 et suivants de la loi). La loi Macron s’appuie sur les conclusions du rapport Bailly (« vers une société qui s’adapte en gardant ses valeurs ») : la spécificité du dimanche doit être respectée, il faut donner des marges de décisions aux acteurs locaux tout en renforçant les droits des salariés travaillant le dimanche. De cinq par ans, le nombre d’ouvertures dominicales autorisées pour les commerces passe à 12. Le texte prévoit la création de “zones touristiques”, “zones commerciales” et “zones touristiques internationales” (ZTI), où les commerces pourront également être ouverts le dimanche et en soirée jusqu’à minuit. Les commerces de gares connaissant une grande affluence auront aussi cette possibilité. Des compensations pour les salariés seront arrêtées par accord de branche, d’entreprise ou territorial. Toutefois, Dans les établissements de moins de onze salariés, à défaut d’accord collectif ou d’accord conclu à un niveau territorial, l’employeur devra consulter au préalable les salariés concernés et recueillir l’approbation de la majorité d’entre eux (art., 246, I, 2°).
Droit du travail et Justice prud’homale
La loi établit un barème des indemnités que pourront allouer les juges en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et modifie l’article L. 1235-3 du code du travail (article 266 de la loi). Le texte réorganise la juridiction du travail en vue d’accélérer les procédures.
Par ailleurs, la loi Macron crée un véritable statut de défenseur syndical (qui devient un réel acteur judiciaire et bénéficiera du statut protecteur au même titre que les actuels salariés protégés).
Le législateur supprime la peine d’emprisonnement à laquelle s’expose le chef d’entreprise en cas de délit d’entrave, et lui substitue une sanction pécuniaire doublée, à savoir 7.500 € (actuellement emprisonnement d’un an et amende de 3 750 €).
La loi sécurise les procédures de licenciement dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. En cas d’annulation d’une décision de validation ou d’homologation du PSE en raison d’une insuffisance de motivation, l’autorité administrative prend une nouvelle décision suffisamment motivée dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à l’administration. Dans pareille hypothèse, l’annulation pour le seul motif d’insuffisance de motivation de la première décision de l’autorité administrative est sans incidence sur la validité du licenciement et ne donne lieu ni à réintégration, ni au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur (article 292 de la loi).