Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat la CFDT
Le 23 février dernier, le Conseil supérieur de la prud’homie s’est penché sur plusieurs points de l’avant-projet de loi El Khomri. Figurait notamment la question très sensible du plafonnement des dommages-intérêts dus au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse. L’occasion, pour la CFDT, de faire valoir son opposition à cette disposition.
La Direction générale du travail a présenté les quatre aspects de l’avant-projet de loi à propos desquels l’avis du CSP était requis, notamment :
– Les articles 59 à 61 des principes essentiels du droit du travail issus de la commission Badinter ;
– les contentieux inhérents aux refus de départ en congé opposé au salarié par l’employeur ;
– la fixation de plafonnements en matière de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
C’est ce dernier point qui a cristallisé l’essentiel des interventions.
Sur le plafonnement des dommages-intérêts pour licenciement injustifié
– Remise en perspective
La CFDT a rappelé que l’idée du plafonnement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avait émergé à la toute fin des débats qui avaient entouré l’élaboration de la loi Macron, juste avant que le Gouvernement n’utilise l’article 49.3 de la Constitution. Le CSP n’avait alors pas été saisi de la question.
Ce texte avait consacré l’existence d’un référentiel indicatif des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse auquel la CFDT avait souscrit et qui devrait intégrer des critères comme l’ancienneté, l’âge et l’employabilité du salarié. Nous attendions l’élaboration du décret d’application nécessaire à sa mise en œuvre. À la lecture de l’avant-projet de loi, il semble que ce référentiel perde toute sa pertinence puisqu’il ne sera basé que sur l’ancienneté du salarié.
– Des plafonds et de planchers
Avant d’aborder la question des plafonds, nous avons évoqué celui des planchers. Pour mémoire, la loi Macron avait envisagé de sécuriser les employeurs en fixant des plafonds, mais qu’elle avait aussi entendu sécuriser (certes a minima) les salariés en fixant des planchers indemnitaires. Or, dans l’avant-projet de loi El Khomri, ces planchers ont disparu.
Les planchers liés au licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais aussi les planchers indemnitaires actuellement existants au Code du travail en matière de non-respect de la priorité de réembauchage ou de la consultation des institutions représentatives du personnel dans le cadre des procédures de licenciement économique seraient, ni plus, ni moins, rayés du Code.
Par ailleurs, les planchers indemnitaires spécifiques actuellement applicables en matière de licenciement abusif des accidentés du travail et des licenciés économiques (dont le licenciement a été déclaré nul) seraient divisés par deux pour être ramenés de 12 à 6 mois.
S’agissant des plafonnements, nous avons rappelé l’opposition de principe de la CFDT à ce sujet. Nous avons, en conséquence, exigé leur retrait. Pour nous, le Gouvernement aurait du tirer comme conséquence de la décision du Conseil constitutionnel de cet été que, de facto, ce type de plafonnements n’étaient pas praticables. Car ne pas pouvoir tenir compte de la taille des entreprises, comme l’ont exigé les sages de la rue Montpensier, ne pouvait conduire qu’à la fixation de plafonds à un niveau déraisonnablement bas, puisqu’applicable aux plus petites des entreprises.
Avec le barème proposé, un salarié ayant moins de deux ans d’ancienneté ne pourrait prétendre qu’à une indemnisation maximale de 3 mois, tandis que celui qui aurait au moins 20 ans d’ancienneté ne pourrait prétendre qu’à 15 mois maximum. Ce qui, pour les salariés des grosses entreprises, représente tout de même un recul de 12 mois par rapport à ce que prévoyait la loi Macron.
En conséquence, nombre de salariés, à supposer qu’ils gagnent leur procès, risqueraient de dépenser plus que ce qu’ils obtiendraient, au premier rang desquels figureraient ceux qui ont les salaires les plus bas.
De ce fait, l’absence de cause réelle et sérieuse de licencier ne serait plus, dans de très nombreux cas, dénoncée. Nous risquerions alors d’assister à un retour à une situation équivalente à celle qui avait court avant 1973, où les employeurs pouvaient licencier discrétionnairement.
En clair, fixer des plafonnements aussi bas, conduirait à sécuriser les employeurs qui licencient abusivement tout en privant de leurs droits les salariés qui en seraient victimes.
– Du côté des autres organisations syndicales et patronales
Arguant du fait qu’ils avaient reçu trop tardivement l’avant-projet de loi El Khomri, la CGT et la CFTC ont refusé de s’exprimer sur le sujet.
FO et la CFE-CGC ont pris la parole, pour dénoncer, eux aussi, la perspective de mise en place des plafonnements.
L’UPA s’est félicité de la perspective d’un droit du travail plus lisible.
Le Medef a salué la perspective des plafonnements comme « un progrès pas encore abouti » estimant qu’il y avait encore trop d’exception à son application.
Sur les principes essentiels du droit du travail
Sur les deux articles sur lesquels nous étions consultés, nous avons rappelé que nous approuvions le fait que des principes essentiels soient ainsi inscrits en préambule au Code du travail, même si nous avons regretté qu’ils n’aient vocation à rentrer en application que dans 3 ans.
L’un de ces principes indique que « les litiges en matière de droit du travail sont portés devant une juridiction composée de juges qualifiés en droit du travail ». Nous avons, sur ce point, précisé que, pour les juges prud’hommes, l’énoncé d’un tel principe ne posait pas de difficulté particulière. D’autant plus qu’ils seront bientôt astreints à une obligation de formation. En revanche, ce principe pose question pour les autres juridictions qui peuvent avoir à connaître de problématiques liées au droit du travail : tribunal d’instance, tribunal de grande instance mais aussi tribunal administratif. Ce qui interroge sur le chantier, en cours, de la constitution de pôles sociaux au sein des tribunaux de grande instance.
Sur les contentieux liés aux refus de départ en congé par l’employeur
Le Code du travail prévoit actuellement, pour certains types de congé, une voie de recours bien précise en cas de refus de l’employeur. Il s’agit d’une saisine directe du bureau de jugement (afin qu’une décision puisse être rapidement rendue).
L’avant-projet de loi El Khomri tend à harmoniser les choses en étendant ce droit à recours à l’ensemble des congés. Nous avons approuvé la perspective d’une telle évolution qui est, par nature, favorable au salarié. Nous avons cependant regretté que seul le rejet de la demande soit ouvert à contestation judiciaire, et non les modalités de l’acceptation qui peuvent, en elles-mêmes, ne pas convenir au salarié.