En matière de travail dissimulé, aux termes de l’article L. 8222-2 du code du travail, la loi institue une solidaire passive entre celui qui exerce un travail dissimulé et la personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée à ses services, mais également entre toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail et celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.
Cette solidarité financière s’inscrit dans le dispositif de lutte contre le travail dissimulé, et tend à empêcher la réitération des agissements qu’elle vise. Concrètement, les deux personnes seront donc tenues solidairement ;
– Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ;
– Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié ;
– Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l’emploi de salariés n’ayant pas fait l’objet de l’une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie.
Cette solidarité légale se traduit par la faculté dont disposent les créanciers (en particulier l’administration fiscale) d’actionner en paiement l’un ou l’autre des débiteurs pour l’intégralité de la dette.
Le Conseil d’Etat, saisi d’une Question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 8222-2 du code du travail et 1724 quater du code général des impôts, a décidé le 5 juin 2015, de la transmettre au Conseil constitutionnel.
Les faits de l’espèce
En 2009, l’administration fiscale a demandé à la société GECOP les documents permettant d’établir qu’elle avait procédé aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail. Celle-ci n’ayant pas communiqué l’attestation de fourniture de déclarations sociales émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions sociales incombant au cocontractant et datant de moins de six mois, l’administration a mis à la charge de la société GECOP, une quote-part des impositions dont était redevable la société Pep 75.
La société Gecop saisit alors la juridiction administrative d’une demande tendant à la décharge des différentes impositions mises à sa charge pour un montant total de 240.000 euros.
La motivation des juges du fonds
Les premiers juges du fond du Tribunal administratif de Montreuil rejetèrent sa requête, ils furent suivis en cela par la Cour administrative d’appel de Versailles, qui, par un arrêt du 16 octobre 2014, considéra que l’administration pouvait, à bon droit, mettre à la charge de la société GECOP, en application de la solidarité entre le donneur d’ordre et le sous-traitant, une quote-part des impositions mises à sa charge, sur le fondement des dispositions de l’article 1724 quater du code général des impôts, eu égard à sa carence dans communication de l’attestation sollicitée.
La requérante, décida de se pourvoir en cassation par requête du 15 décembre 2014, et transmit au Conseil d’Etat une QPC par mémoire distinct du 9 mars 2015. Elle soutient notamment à l’appui de sa question que les dispositions de l’article L. 8222-2 du code du travail et de 1’article 1724 quater du code général des impôts, portent atteinte au droit de propriété, aux principes de responsabilité personnelle, de personnalité des peines, de proportionnalité et d’individualisation des peines, ainsi qu’à la présomption d’innocence.
La décision de transmission
Dans leur motivation, les sages estiment que la question présente bien un caractère sérieux. Pour la Haute juridiction, selon que la solidarité instituée est regardée ou non comme une sanction ayant le caractère d’une punition, celle-ci pourrait être susceptible de porter atteinte aux principes constitutionnels que sont ; la responsabilité personnelle, la personnalité des peines, la proportionnalité et d’individualisation des peines et à la présomption d’innocence. La QPC est donc renvoyée au Conseil constitutionnel.
Les éléments de réflexion induits par la QPC
Il est à relever que la Cour de cassation avait, quant à elle, refusé de transmettre une QPC portant sur ces mêmes dispositions par un arrêt du 8 février 2012. Les juges judiciaires considérèrent que le texte litigieux qui s’inscrit dans le dispositif de lutte contre le travail dissimulé et tend à assurer la loyauté de la concurrence, ne portait pas atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, pas plus qu’il ne contrevenait à la garantie des droits requise par l’article 16 de la Déclaration de 1789, le donneur d’ordres pouvant contester en justice son application. Enfin, ils estimèrent que la solidarité financière établie par le code du travail ne revêtait pas le caractère de punition au sens de l’article 8 de la DDHC.
C’est donc in fine, le Conseil constitutionnel qui devra trancher dans les tous prochains jours et décider si cette solidarité légale doit être regardée ou non comme une sanction ayant le caractère d’une punition, et le cas échéant, si la disposition législative est contraire aux principes de personnalité des peines, de proportionnalité et d’individualisation des peines, ainsi qu’à la présomption d’innocence.
A suivre…
CE, 9e et 10e ss-sect., 5 juin 2015, n° 386430, Sté GECOP