Le chômage, l’Etat et le sacré

Ce soir, c’est le jour du rituel mensuel: le ministre du Travail, l’air grave, va prendre la parole pour “commenter les chiffres du chômage” et expliquer que, certes, il y en a plus que le mois dernier, mais c’est quand même mieux que si c’était pire et au bout du tunnel, il y aura, un jour, la lumière. Assez curieusement, la France doit être seul le pays industrialisé où, de façon aussi névrotique, les citoyens ordinaires se tournent avec une telle régularité vers un élu, une incarnation du gouvernement et de l’Etat, pour écouter les mauvaises nouvelles et subir sans broncher la vaine homélie du “souffrez en silence, bonnes âmes, la sécurité sociale vous récompensera”. 

Pour bon nombre de nos voisins, en effet, le chômage ne dépend pas aussi étroitement du gouvernement. Certes, les politiques économiques ont leur importance, mais nulle part ailleurs on ne rencontre une telle crédulité civile dans la fonction providentielle de l’Etat, qui peut tout, qui doit tout, et qui résoud tout, avec son cortège de prêtres qui interprètent la réalité et servent d’intercesseurs entre Dieu et l’assuré social. A la manière du toucher des écrouelles sous l’Ancien Régime, d’ailleurs, il est de bon ton pour un président de la République ou pour un ministre du Travail de se rendre dans une antenne de Pôle Emploi ces jours-là pour rencontrer de vrais chômeurs et leur dire qu’on va tout faire pour que leur mal recule. 

Il serait intéressant de dresser une comparaison entre la lutte contre la peste au Moyen-Âge et la lutte contre le chômage dans la France contemporaine. Avant la découverte de la transmission aérienne de la maladie, les villages avaient coutume d’organiser des processions pour conjurer le mal lorsqu’il apparaissait. On sortait les reliques, on se mettait en ordre de marche, et on parcourait les rues en demandant au clerc local de réciter des prières publiques pour obtenir les bonnes grâces de Dieu. Avec le chômage, le clerc est remplacé par un ministre, les reliques s’appellent les statistiques publiques, et la procession se déroule dans le canapé devant l’écran de télévision. 

A l’image des villages du Nord qui furent, au quatorzième siècle, parcourus par des “flagellants” qui se repentaient (en se fouettant) des péchés du monde auxquels ils attribuaient les origines de la peste, la France est parfois réveillée de sa sieste par une manifestation syndicale “pour l’emploi”, histoire de se donner bonne conscience. Chacun prononce alors sa petite litanie: pour les uns, le chômage est le produit du capitalisme et des profits, pour les autres il exige un partage du travail. On fait son discours et puis on remballe les stands à merguez jusqu’à la cérémonie suivante. 

On pourrait peut être se demander, à cette occasion, dans quelle mesure l’Etat Providence en France ne conforte pas un chômage élevé. Puisque l’Etat est la nouvelle incarnation de Dieu sur terre… si l’Etat ne peut rien contre le chômage, personne ne peut rien contre lui. Il faut simplement attendre que le mal passe, en priant pour passer entre les gouttes. L’impuissance de l’Etat est l’horizon indépassable de nos existences. 

Ce faisant, on oublie quelques réalités qui expliquent à leur manière la permanence d’un chômage élevé en France. Par exemple: en 1970 (date de la première comptabilisation publique de cette catégorie), la France avait une population en emploi de 21,5 millions de personnes, dont 4,5 millions d’indépendants ou non-salariés, et 17 millions de salariés, fonctionnaires compris. En 2013, la masse des personnes en emploi est passée à près de 26,5 millions de personnes. En près de 50 ans de crise ininterrompue, la France a donc tout de même créé près de 5 millions d’emplois, ce qui n’est pas rien. Mais le nombre d’indépendants s’est effondré: ils ne sont plus que 2,5 millions aujourd’hui, pendant que le nombre de salariés passait à près de 24 millions.  

Pour reprendre ces données autrement, la France a créé, depuis 1970, 7 millions de postes de salariés (dont un nombre colossal de fonctionnaires), mais elle a supprimé 2 millions d’entrepreneurs. C’est aussi cela, l’Etat Providence: une fonctionnarisation progressive de la société, où la salariat représente désormais 90% des emplois, et où la prise de risque a de moins en moins de sens. La France récolte aujourd’hui les fruits d’une politique systématique de terre brûlée menée dans le secteur privé à l’encontre des TPE-PME où, au nom de l’Etat Providence, la multiplication des règles et des taxes en tous genres décourage ses éléments les plus audacieux d’entreprendre et de créer de l’emploi.  

Dieu n’aime pas, il est vrai, les esprits libres qui s’affranchissent des règles fixées par le clergé. 

 

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