L’âge de la retraite : le totem des 60 ans (années 1990 – 2000)

retraite retraites

Afin d’accompagner ses lecteurs dans leur entrée progressive dans la pause estivale, Tripalio leur propose d’aborder en prenant un peu de recul historique le thème – qui revient épisodiquement au cœur de l’actualité sociale et qui, du fait de la recomposition des rapports de forces parlementaires, pourrait fort bien y revenir dans les prochains mois – de l’âge de la retraite.

retraite

Après un retour, hier, sur les modalités et la portée de l’abaissement à 60 ans de l’âge de la retraite opéré en 1982-1983, nous montrons aujourd’hui comment cet âge a fait office, durant les décennies 1990 et 2000, de véritable totem de la politique des retraites.

L’exercice périlleux des réformateurs de la retraite

Au niveau le plus général de la conduite des affaires publiques, ces deux décennies sont notamment marquées par certains processus contradictoires. D’une part, à partir des années 1980, les dirigeants politico-administratifs successifs de la France l’engagent de manière toujours croissante dans les intégrations économiques et financières européenne et mondiale – processus dont la réussite suppose l’amélioration de la compétitivité du tissu économique national. Or, cette compétitivité est mise à mal par la progression structurelle et rapide de l’intervention publique dans l’économie, qui s’opère notamment par le moyen des déficits budgétaires et de l’endettement. La part des dépenses publiques dans le PIB dépasse ainsi les 50 % à partir de 1980 puis les 55 % à partir de 2008. A la recherche permanente de sources d’économies budgétaires, les gouvernements qui se succèdent s’intéressent régulièrement aux retraites, qui constituent un poste de dépenses publiques important et croissant – du fait du vieillissement démographique chronique de la société française.

Ce cadrage général permet de rendre compte des motivations des responsables des politiques publiques qui, durant les années 1990 et 2000, ont engagé des réformes importantes des retraites : le gouvernement d’Edouard Balladur en 1993 d’une part et le gouvernement Raffarin et son ministre des Affaires Sociales François Fillon en 2003 d’autre part. Dans leur initiative, ces responsables se trouvent, certes, contraints par l’état du rapport de forces social et politique : si les tenants de la gauche modérée et, avec eux, les organisations syndicales dites réformistes ne sont pas opposées à l’idée de réviser les régimes de retraite afin de réaliser certaines économies sur leurs dépenses, le principe d’une remise en cause de l’âge de la retraite à 60 ans ne bénéficie d’aucun accord potentiel de leur côté. Plus généralement, la perspective du bénéfice d’une pension de retraite concernant l’ensemble des travailleurs, les gouvernants tendent à considérer, pour reprendre les mots du Premier ministre Michel Rocard, que la question des retraites était “capable de faire sauter n’importe quel gouvernement”.

Allonger (en partie) les carrières sans toucher aux 60 ans

Dans une telle configuration, les choix de réforme retenus durant les décennies 1990 et 2000 consistent à contourner soigneusement le problème de l’âge du départ à la retraite, pour se concentrer sur celui de la durée de cotisation permettant de prétendre à une pension au taux plein. Poursuivant la logique de la loi Boulin de 1971, la réforme Balladur de 1993, prévoit ainsi, entre autres mesures, le passage progressif, entre 1994 et 2004, de cette durée de cotisation de 150 trimestres, soit 37,5 annuités, à 160 trimestres, soit 40 annuités, à raison d’un trimestre de plus par an. De la même manière, la réforme des retraites menées par François Fillon fixe un objectif global d’une durée de cotisation de 42 annuités et le décline concrètement en définissant une première étape à 41 ans à l’horizon 2012. S’ils se gardent bien de toucher à l’âge légal de départ de départ, qui reste fixé à 60 ans, les réformateurs de la retraite veulent en revanche obtenir un allongement de la carrière des travailleurs – susceptible de rendre, de fait mais en douceur, cet âge bien davantage théorique qu’opérationnel.

Les syndicats de salariés ne sont, certes, pas dupes de cette stratégie. Surtout, la gestion de la main d’œuvre âgée par sa mise en cessation d’activité anticipée dont nous avons décrit hier la mise en place à partir des années 1960, continue de susciter un consensus large du côté des partenaires sociaux et du monde du travail. La politique d’allongement tendancielle de la durée des carrières trouve alors dans cette gestion spécifique de la main d’œuvre âgé un mode d’aménagement relativement consensuel et permettant de rendre acceptable les réformes successives des retraites. Les décennies 1990 et 2000 voient même une multiplication du nombre des dispositifs de préretraite. Certains sont publics : “préretraite progressive” de 1992, dispositif CAATA de 1999 pour les travailleurs de l’amiante et CATS de 2000 pour les travailleurs ayant connu des conditions de travail difficiles et, enfin, retraite anticipée pour carrière longue de 2003. D’autres sont privés, comme le dispositif ARPE de 1995 ou les dispenses de recherche d’emploi pour les chômeurs âgés. Entre 2000 et 2008, entre 160000 à 300000 salariés ont bénéficié, chaque année, d’une cessation d’activité anticipée – pour 700 000 à 800 000 départs annuels du marché du travail.

Durant les années 1990 et 2000, si les réformateurs de la retraite ajustent progressivement leur viseur sur le départ à 60 ans, la France, pour sa part, continue massivement de tenir ce repère pour l’âge légitime du départ du marché du travail.

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmark Close
0 Shares:
1 commentaire
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Découvrez nos analyses et capsules vidéos
Lancer la vidéo

Le pouls des CCN #3 : les enjeux de la rentrée de septembre 2025

Lancer la vidéo

Le pouls des CCN #2 : le point sur la santé des HCR et la prévoyance des Services à la personne

Lancer la vidéo

Le pouls des CCN #1 : le régime santé de la CCN Syntec

Lancer la vidéo

Webinaire Tripalio #1 : Les accords santé face aux fusions de CCN

Vous pourriez aussi aimer
Lire plus

La double authentification arrive sur Tripalio le 5 janvier 2026 pour une sécurité renforcée

Pour protéger les données et sécuriser l'accès de tous nos utilisateurs à nos informations stratégiques, à notre base de données CCN et à nos outils de conformité juridique, nous faisons évoluer la connexion au site Tripalio à partir du 5 janvier 2026. Dès le début de l'année 2026, un mécanisme simple de double authentification par mail vous permettra de vous connecter à Tripalio. ...

Avis d’extension d’un avenant dans la CCN des remontées mécaniques et domaines skiables

Le ministre du travail et des solidarités envisage d’étendre, par avis publié le 5 décembre 2025, les dispositions de l'avenant du 26 novembre 2025 à l'accord du 27 octobre 2025 relatif à la mise en place d'un dispositif d'activité partielle de longue durée rebond - APLD-R, conclu dans le cadre de la convention collective nationale des remontées mécaniques et domaines skiables du 15 mai 1968 (...

Avis d’extension d’un avenant dans la CCN des fleuristes, de la vente et des services des animaux familiers

Le ministre du travail et des solidarités envisage d’étendre, par avis publié le 5 décembre 2025, les dispositions de l'avenant n° 2 du 24 octobre 2025 à l'accord du 13 juin 2022 relatif aux frais de santé, conclu dans le cadre de la convention collective nationale des fleuristes, de la vente et des services des animaux familiers du 29 septembre 2020 (...

Avis d’extension d’un accord dans la blanchisserie, laverie, location de linge, nettoyage à sec, pressing et teinturerie

Le ministre du travail et des solidarités envisage d’étendre, par avis publié le 5 décembre 2025, les dispositions de l'accord du 20 octobre 2025 relatif aux classifications professionnelles, conclu dans la convention collective nationale de la blanchisserie, laverie, location de linge, nettoyage à sec, pressing et teinturerie du 17 novembre 1997 (...

Avis d’extension d’un accord dans la CCN des expertises en matière d’évaluations industrielles et commerciales

Le ministre du travail et des solidarités envisage d’étendre, par avis publié le 5 décembre 2025, les dispositions de l'accord du 8 septembre 2025 relatif au télétravail, conclu dans le cadre de la convention collective nationale des entreprises d’expertises en matière d’évaluations industrielles et commerciales du 7 décembre 1976, qui est devenue convention collective nationale des sociétés d’expertises et d’évaluations (...