L’absurde monopole du MEDEF sur les négociations interprofessionnelles

Les négociations sur les retraites complémentaires commencent mardi, et avant même d’évoquer le sujet qui fâche, ce sont des questions de méthode qui se posent et qui laissent planer un doute sur la notion même de négociation interprofessionnelle.  

La méthode du MEDEF largement critiquée

La méthode suivie par le MEDEF lors de la désastreuse négociation sur la modernisation du dialogue social a laissé des traces. Beaucoup de traces. A la manière du couple franco-allemand, le couple MEDEF-CFDT, baptisé par certains “MEDEFDT”, a pris une place excessive dans le processus de négociation. Les longues heures passées en bilatérale entre les deux mouvements ont donné le sentiment que la négociation ne s’appuyait que sur deux mouvements syndicaux: l’un patronal, l’autre salarial. 

Du même coup, les revendications de FO comme de la CGPME de rompre avec ce huis clos n’en ont que plus de force. Pour la négociation sur les retraites complémentaires, les séances auront lieu au siège de l’ARRCO. Ce faisant, c’est la prépondérance du MEDEF dans le processus qui se trouve écornée. Le recours à de longues interruptions de séance devrait également être limité.  

Le MEDEF est-il un acteur incontournable de la négociation?

En remettant en cause le rôle du MEDEF, les partenaires sociaux s’attaquent à un tabou majeur des relations sociales en France. Est-on ou non obligé de passer par le MEDEF pour négocier? 

Une tradition bien ancrée veut que le MEDEF soit incontournale pour négocier des textes interprofessionnels. Mais cette tradition ne repose pas sur une justifications juridique: le MEDEF ne fonde pas sa représentativité sur un calcul précis d’adhésions des entreprises. Selon certains, il compterait à peine 350.000 adhésions, pour 3,5 millions d’entreprises en France. Bien entendu, ce calcul ne peut suffire à contester la représentativité, dans la mesure où il ne prend pas en compte le nombre de salariés de ces entreprises. Et l’on peut penser que la représentativité d’un syndicat patronal qui compte peu d’entreprises, mais de grande taille, est plus forte que celle d’un syndicat qui compte plus d’entreprises, mais de petite taille.  

Toujours est-il que le MEDEF ne compte environ que 10% des entreprises parmi ses rangs, ce qui relativise son poids. Tant que la représentativité patronale ne se mesurera pas en adhésions, la difficulté restera la même. 

Cette approche statistique souligne qu’un accord interprofessionnel qui serait signé par l’UPA et la CGPME mais pas par le MEDEF pourrait très bien être valable. On voit mal sur quelle base le MEDEF pourrait en attaquer la légalité… 

Des accords interprofessionnels sans le MEDEF, la CGPME ou l’UPA?

Pire encore: il serait tout à fait imaginable que des syndicats patronaux autres que l’UPA, la CGPME ou le MEDEF signent des accords interprofessionnels. C’est notamment le cas de l’USGERES (patrons de l’économie sociale et solidaire) et de l’UNAPL (professions libérales, regroupant près d’un million de salariés), voire de la FNSEA, qui pourraient tout à fait imaginer de fixer des normes pour leurs adhérents sans recourir à une négociation menée par le MEDEF. Idéologiquement, cette solution aurait d’ailleurs du sens. 

Chacun de ces mouvements pourrait en tout cas revendiquer une véritable représentativité. Ces mouvements s’appuient en effet sur des fédérations qui ont généralement un meilleur taux d’adhésion que le MEDEF, elles offrent une vraie diversité de métiers et de régions, et elles s’autofinancent, ce qui garantit leur indépendance. Tous ces critères suffisent largement à autoriser une négociation interprofessionnelle. 

A quoi ressemblerait l’univers interprofessionnel reconfiguré?

L’hypothèse d’un accord négocié par l’USGERES ou l’UNAPL ne manque pas de piquant. Elle pourrait en effet donner lieu à la conclusion d’accords en bonne et due forme, concurrents des accords négociés par le MEDEF. Cette situation serait inédite en France, mais n’a rien d’incongru ni d’illégal. Elle ouvrirait la voie à une liberté de choix pour chaque entreprise, qui deviendrait libre de suivre l’accord qui lui convient le mieux.  

Rappelons que le principe d’une négociation interprofessionnelle est une spécificité française. Très peu d’autres pays la pratiquent. Rien n’empêcherait d’y intégrer des éléments de choix du fait d’une saine concurrence entre les acteurs de la démocratie sociale. 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmark Close
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer

C2S : les règles de non-activité et de ressources sont révisées

Un décret du 28 juin 2025, publié au Journal officiel du 29 juin, vient préciser les modalités d’application de l’article L. 861-2 du code de la sécurité sociale concernant l’accès à la complémentaire santé solidaire (C2S). Le texte modifie plusieurs articles du code de la sécurité sociale (CSS). Le décret introduit un nouvel article...

CNSA : les règles de composition et de fonctionnement du conseil sont modifiées

Un décret du 28 juin 2025, publié au Journal officiel du 29 juin, modifie plusieurs articles du code de la sécurité sociale (CSS) afin d’ajuster la composition et le fonctionnement du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Le texte vise à synchroniser les mandats, harmoniser les règles de délibération et prévenir les conflits d’intérêts, dans la perspective du renouvellement partiel du conseil prévu au 1er février 2026. Le décret...

Dotation 2025 des CESP : plus de 39  M€ alloués par l’assurance maladie

Deux arrêtés publiés au Journal officiel du 29 juin 2025 précisent les dotations des régimes obligatoires d’assurance maladie consacrées aux contrats d’engagement de service public (CESP) pour l’année 2025. Un premier arrêté daté du 26 juin 2025 fixe la dotation versée au Centre national de gestion (CNG). Ainsi, la part de dotation destinée spécifiquement au financement des CESP s’élève à 29 404 800 euros pour l’année 2025. ...

Un nouveau représentant des départements entre au conseil de la CNSA

Un arrêté publié au Journal officiel du 28 juin, modifie la composition du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Maël de Calan est nommé membre titulaire du conseil au titre des représentants des conseils départementaux. Il a été désigné par l’Association des départements de France (ADF). Il remplace à ce poste Stéphane Haussoulier. ...

Le nouveau modèle papier de l’arrêt de travail est maintenant obligatoire

Pour lutter contre les arrêts de travail frauduleux un décret généralise l'obligation d'utiliser le nouveau formulaire papier lorsque l'arrêt n'est pas déclaré en ligne. Le décret paru au Journal officiel du 29 juin 2025 précise que l'assuré placé en arrêt de travail (ou dont l'arrêt est prolongé) qui veut envoyer son justificatif au format papier doit désormais transmettre la version originale signée d'un formulaire spécifique. Ce nouveau formulaire est...