La rupture conventionnelle du contrat de travail, une sécurité juridique renforcée

S’analysant en un véritable mutuus dissensus[1],la rupture conventionnelle du contrat de travail résulte d’une convention signée par les parties au contrat par laquelle l’employeur et le salarié conviennent en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. 

Un arrêt récent de la Cour de cassation, voué à une large publicité, nous offre l’occasion de revenir sur ce mode autonome de rupture du contrat de travail qui, à l’origine était censé favoriser la sécurité de la rupture intervenant d’un commun accord et éviter la judiciarisation. 

 

Les faits atypiques de l’espèce 

Un salarié embauché en 1975 comme ajusteur-monteur par la société SNECMA suivant contrat à durée indéterminée, a écrit à son employeur le 5 janvier 2010 pour lui faire part de son souhait d’une rupture conventionnelle de son contrat, ce dont il avait déjà informé son supérieur hiérarchique dès la fin de l’année 2009. 

La SNECMA lui a donc proposé la tenue d’entretiens aux fins de déterminer les modalités de cette rupture ; les parties ont signé un formulaire de rupture conventionnelle le 12 mai 2010 prévoyant, pour une ancienneté du salarié de 35 ans et un mois à la date de la rupture, une cessation du contrat de travail au 30 juin 2010 et le versement d’une indemnité de 37.329,26 € ; le formulaire ayant été adressé à la DDTEFP, celle-ci a refusé l’homologation de la convention le 7 juin motif pris d’une « indemnité de rupture conventionnelle inférieure au minimum – Non respect du délai de rétractation » ; les parties ont donc signé le 9 juin 2010 un nouveau formulaire prévoyant une cessation du contrat au 31 juillet 2010 et le versement d’une indemnité de rupture de 33.708,396 € pour une ancienneté de 35 ans et 4 mois à la date de la rupture ; la SNECMA ayant à nouveau transmis le formulaire pour homologation par la DDTEFP, celle-ci a de nouveau refusé l’homologation au motif d’une « indemnité de rupture conventionnelle inférieure au minimum » ; un troisième formulaire rectifié du 26 juillet 2010 prévoyant le versement d’une indemnité identique à la précédente avec une cessation du contrat de travail au 6 août 2010 soit une ancienneté de 35 ans et deux mois a été transmis, avec le contrat de travail du salarié, à la DDTEFP qui l’a homologué le 9 août… 

Précisons qu’entre temps le salarié avait adressé à son employeur un courrier lui demandant de régler rapidement et officiellement la rupture conventionnelle de son contrat de travail, l’attente ayant engendré chez lui un état dépressif. 

De mauvaise foi ou non… l’ex-salarié a saisi la juridiction prud’homale en faisant valoir que la rupture conventionnelle intervenue le 6 août 2010 et homologuée le 9 par la direction du travail encourait la nullité dans la mesure où elle ne respecte pas les dispositions légales concernant, d’une part, le délai de rigueur entre la date de la rupture du contrat et celle de l’homologation, d’autre part, la détermination de la base de calcul de l’indemnité spécifique de rupture. 

 

La motivation des juges 

La Cour d’appel de Paris le déboute de l’ensemble de ses demandes par un arrêt du 6 novembre 2013. Les juges du fond refusent d’annuler la convention litigieuse en considérant d’une part que l’employeur acceptait de régulariser la rupture au lendemain du jour de l’homologation et d’autre part, s’agissant de l’indemnité spécifique, que si diverses primes avaient pu être omises dans l’acte, l’employeur reconnaissait être redevable d’une somme à titre de complément d’indemnité de rupture conventionnelle. 

Bien entendu, le salarié décide de former un pourvoi en cassation. Par un arrêt du 8 juillet 2015, la chambre sociale accueille partiellement les moyens du salariés et censure le « double donné acte » des juges d’appel, au visa des articles 455 et 12 du code de procédure civile, en estimant qu’ils se sont prononcés par des « motifs dubitatifs et inopérants ». 

La Haute juridiction reproche en effet à la cour d’appel d’avoir méconnu son office en ce qu’elle n’a ni rectifié la date de la rupture, ni procédé à une condamnation pécuniaire au vu du montant insuffisant de l’indemnité de rupture conventionnelle. La Cour de cassation pose en outre la règle selon laquelle la stipulation par les deux parties d’une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l’article L. 1237-13 du code du travail et l’erreur commune de date fixée par les parties antérieurement au lendemain de l’homologation n’entraînent pas, en elles-mêmes, la nullité de la convention de rupture. 

Cette décision de la chambre sociale mérite approbation à double titre. Tout d’abord elle s’inscrit, par une interprétation téléologique, dans le même esprit que celui des créateurs de la rupture conventionnelle qui souhaitaient en favoriser la sécurité juridique et éviter sa judiciarisation. Ensuite, conformément à l’adage pas de nullité sans texte, la Cour de cassation opère une conciliation judicieuse entre les exigences textuelles non expressément sanctionnées par la nullité et la volonté des parties se traduisant par les stipulations contractuelles, contrôlées le cas échéant par le juge. 

Se posent en définitive les questions relatives à la nature de la convention de rupture, ainsi qu’à la sécurité juridique qu’entend lui conférer la jurisprudence. 

 

La rupture conventionnelle ; un véritable contrat synallagmatique 

L’article 5 de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, a inséré une nouvelle section au chapitre VII du titre III du livre II de la première partie du code du travail intitulée « Rupture conventionnelle ». Désormais codifiée aux articles L. 1237-11 à L. 1237-16 et R. 1237-3 du même code, la rupture conventionnelle du contrat de travail est née en réalité de l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 signé par trois organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA) et quatre des cinq syndicats représentatifs au niveau national (CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC). Le double objectif affirmé à l’article 12 étant de privilégier les solutions négociées à l’occasion des ruptures du contrat de travail et de minimiser les sources de contentieux. 

Les dispositions légales définissent et encadrent ce nouveau mode de rupture en indiquant notamment qu’en application du dispositif, l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties, elle est de plus exclusive du licenciement ou de la démission. 

Le législateur précise la nature juridique de la rupture conventionnelle à l’article L. 1237-11, celle-ci résultant d’une convention signée par les parties au contrat. La Cour de cassation juge d’ailleurs que la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L. 1237-14 du code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause (lien vers l’arrêt). 

Or qui dit « convention », dit aussi respect des dispositions du droit commun des contrats – dispositions qui, aux termes des articles 1108 et suivants du code civil, déterminent les conditions essentielles pour leur validité. 

Consentement, capacité, objet certain et cause licite, telles sont les quatre conditions ad validitatem des contrats. Les vices du consentement étant susceptibles d’affecter la validité de l’acte, c’est surtout ce type de contentieux que sont amenées à connaitre les juridictions. 

 

La sécurité juridique renforcée de la rupture conventionnelle  

Il doit être immédiatement précisé qu’afin de sécuriser la rupture conventionnelle, le législateur pose que la validité de la convention est subordonnée à son homologation par l’autorité administrative. L’autorité compétente pour l’homologuer est le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du lieu où est établi l’employeur. De cet examen administratif, il résulte une sécurité juridique renforcée de la convention de rupture. 

S’ajoutent à cette protection légale, les « attendus » de la Cour de cassation qui, depuis janvier 2013 (voir le premier arrêt de la Cour le 30 janvier 2013), se prononce régulièrement sur des contentieux relatifs à la rupture conventionnelle et édifie constamment sa jurisprudence. 

C’est ainsi que les Hauts magistrats ont très vite considéré que le salarié qui est « au moment de la signature de l’acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral » est fondé à demander la nullité de la convention de rupture. De même, les juges estiment que le consentement est vicié lorsque « l’employeur avait menacé la salariée de voir ternir la poursuite de son parcours professionnel en raison des erreurs et manquements de sa part justifiant un licenciement et l’avait incitée, par une pression, à choisir la voie de la rupture conventionnelle », ainsi également lorsque « l’employeur avait engagé une procédure de licenciement quelques semaines avant la signature de la convention de rupture, qu’il avait ensuite infligé à la salariée une sanction disciplinaire injustifiée et l’avait convoquée à un entretien destiné à déterminer les modalités de la rupture du contrat de travail qui n’avait duré qu’un quart d’heure et au cours duquel les parties n’avaient pas eu d’échange ». 

En revanche, la chambre sociale souhaitant renforcer la sécurité juridique de l’acte, affirme que « l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue ». La liberté du consentement n’est pas affectée du seul fait de « l’absence d’information sur la possibilité de prendre contact avec le service public de l’emploi en vue d’envisager la suite de son parcours professionnel », non plus par « le défaut d’information du salarié d’une entreprise ne disposant pas d’institution représentative du personnel sur la possibilité de se faire assister, lors de l’entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative », celui-ci n’ayant pas pour effet d’entraîner la nullité de la convention de rupture en dehors des conditions de droit commun. 

La Cour de cassation a également jugé que « sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre de son congé de maternité, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l’expiration de ces périodes ». 

 

Enfin, les sept années d’application de la rupture conventionnelle permettent de constater un fort engouement pour ce mode atypique et autonome de rupture du contrat de travail, qui, tout en étant strictement encadré par la loi, n’en demeure pas moins une rencontre de volontés éclairées et libres… sécurisée par l’appréciation des juges. 

 

[1]« Convention par laquelle toutes les parties consentent à la révocation de la convention qu’elles ont conclue antérieurement » :Aurélien Siri, “Le mutuus dissensus : notion, domaine, régime”, Thèse de doctorat en Sciences juridiques, sous la direction de Roger Bout, Aix Marseille 3, École doctorale Sciences juridiques et politiques, 2011, 820 p. 

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