La loi El Khomri fera-t-elle capoter la négociation chômage ?

Les partenaires sociaux se sont retrouvés hier pour une première séance de renégociation de la convention Unédic. Bien qu’étant évidemment physiquement absente de la salle de réunion, Myriam El Khomri était pourtant dans tous les esprits. Son projet de réforme du droit du travail risque-t-il de paralyser les relations paritaires durant les prochains mois ? 

Les désaccords de fond(s) entre les partenaires sociaux

Avec une dette de près de 30 milliards d’euros et des dépenses qui augmentent aussi régulièrement que le taux de chômage, l’assurance chômage est dans une situation financière difficile. La première réunion de discussion a été l’occasion pour les uns et les autres de révéler certaines de leurs solutions. 

Du côté du patronat, si le négociateur du Medef, Jean Cerutti, ne s’est pas montré très disert, il a néanmoins estimé que le “rétablissement des comptes de l’Unédic serait une conséquence” de l’amélioration de “l’accompagnement et la motivation des demandeurs d’emploi”. Plus précise, la CGPME a défendu la “dégressivité sélective” des allocations chômage. Sur France Info, François Asselin a récemment expliqué ce principe, qui reviendrait à “laisser telle quelle l’indemnisation du chômage pour ceux qui seront toujours dans une recherche active d’emploi, mais pour ceux qui ne recherchent pas d’emploi, instaurer une dégressivité”. Les propositions du Medef et de la CGPME ont ceci en commun qu’elles risquent d’être complexes à mettre en oeuvre. 

Et qu’elles ne conviennent pas aux syndicats de salariés. La distinction entre “contestataires” et “réformistes” semblait, hier, ne plus avoir cours. Au sujet de la dégressivité des prestations, Valérie Descacq (CFDT) a déploré ne pas parler “la même langue” que le patronat et Franck Mikula (CGC) a dénoncé : “Ce serait choquant à un moment où il n’y a pas d’emplois”. Plutôt que de pénaliser les chômeurs, la CGT, FO et la CFDT entendent mettre à contribution les entreprises qui recourent à des contrats précaires. “Les contrats courts, c’est un sujet qu’on ne peut plus laisser de côté” a affirmé Stéphane Lardy (FO), tandis que la CGT a assuré qu’il serait possible de trouver ainsi entre 1 et 1,5 milliard d’euros de recettes nouvelles.  

Une entrée en matière peu évidente

Mises à part ces déclarations générales d’hostilités, la première réunion de négociation a démontré que les partenaires sociaux avaient bien du mal à s’entendre. Un calendrier de travail a été établi sur recommandation du Medef. Les prochaines séances doivent se tenir les 8 et 24 mars, les 7 et 28 avril et le 12 mai. Même la CGC a fait part de son scepticisme quant au zèle négociateur du patronat : “Le Medef a l’air pressé mais aboutir en mai me semble irréaliste.” Si cette discussion interprofessionnelle devait se dérouler aussi bien que celles relatives à la modernisation du marché du travail ou au CPA, on peut en effet légitimement se poser quelques questions quant à la pertinence des méthodes de “concertation” auxquelles le Medef recourt depuis quelque temps. 

Les discussions ont d’autre part porté sur le régime des intermittents du spectacle. La recherche d’un consensus n’était définitivement pas à l’ordre du jour… D’ici à début mars, les gestionnaires de l’Unédic doivent rédiger une lettre de cadrage destinée aux représentants patronaux et syndicaux en charge de la remise à plat de ce régime spécifique. En effet, dès jeudi prochain, ces derniers doivent se retrouver au CESE afin de se lancer dans ce qui s’apparentera à une négociation chômage parallèle. Potentiellement, elle est tout aussi explosive que la négociation Unédic. La CGT a ainsi mis en garde : “Si on nous dit que les 100.000 intermittents doivent faire un quart des économies du régime, soit 200 millions d’euros, c’est la guerre !”  

Esprit El Khomri, es-tu là ?

A la décharge des partenaires sociaux, il faut bien reconnaître que la mauvaise ambiance dans laquelle s’est déroulée la réunion devait beaucoup à Myriam El Khomri. Tous les négociateurs avaient en tête son projet de réforme du droit du travail. D’emblée, la réunion a débuté de la plus mauvaise des manières, sur un coup d’éclat de l’UPA. Son représentant, Patrick Liébus, a quitté la salle au bout de dix minutes afin de protester contre les critères de mesure de la représentativité patronale retenus par le projet de loi, très favorables aux grandes entreprises. Se découvrant des accents marxistes, il a notamment pesté : “Le gouvernement fait des petites affaires avec le Medef et la CGPME, c’est insupportable”. Un démarrage en fanfare… 

Les représentants des salariés, très remontés contre le texte gouvernemental, ont eu, eux aussi, bien du mal à ne pas faire le lien entre celui-ci et la négociation Unédic. Stéphane Lardy a reconnu que c’était “un élément de contexte qui ne facilite pas la négociation”. D’après France Inter, en entrant dans la salle, Eric Aubin (CGT) a pour sa part indiqué qu’étant donné le contenu du projet de loi El Khomri, il n’accepterait aucune diminution des droits des salariés. Enfin, le représentant de la CFE-CGC a critiqué l’idée de diminuer les allocations chômage tout en facilitant les licenciements économiques. Alors que l’Unédic aurait besoin d’une négociation sereine, le projet de loi El Khomri vient donc biaiser les positionnements des uns et des autres. 

De la table des négociations à un conflit social dur ?

Surtout, il pourrait bien influencer d’une tout autre manière, bien plus paradoxale, la discussion relative à l’assurance chômage. Comme cela était prévisible, toutes les organisations syndicales semblent bien décidées à agir contre le projet de loi de la ministre du Travail. A l’invitation de la CGT, elles doivent se réunir en fin de journée à Montreuil afin d’évoquer la riposte commune qu’elles entendent lui opposer. Dans une France où les colères diverses et variées s’accumulent depuis de nombreux mois, un mouvement social d’ampleur est tout à fait envisageable. Autant dire que, dans cette éventualité, les négociations paritaires en cours pourraient prendre une tournure beaucoup moins favorables aux options promues par le gouvernement et le Medef. 

Manuel Valls, qui s’imaginait, triomphant, profiter de ses vacances d’été en Tony Blair ou en Gerhard Schröder français, a peut-être bien vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué.  

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