La démission de Thierry Lepaon, ou la fin du communisme à la française

La démission de Thierry Lepaon, dont l’importance est justement éclipsée par le traumatisme de l’attentat contre Charlie Hebdo, restera néanmoins comme le symptome le plus évident d’une rupture dans l’histoire de la gauche de ces vingt-cinq dernières années. Elle montre en effet comment les héritiers du Parti Communiste ont échoué à structurer une démarche durable et crédible qui maintienne vivants les idéaux de la gauche marxiste. 

Lepaon, meilleur exemple de l’échec

On notera d’abord ce qui n’est pas clairement dit dans les reproches adressés à Thierry Lepaon, mais qui transpire implicitement de la fronde qui l’a conduit à la démission. 

Certes, il y a l’appartement, la rupture conventionnelle, l’aménagement de son bureau. Mais dans cette succession, deux choses lui sont reprochées, que la base de la CGT ne lui pardonne pas. 

Premier point, qui n’a jamais dit son nom, mais qui est en filigrane des reproches : sa proximité avec les puissants. Lepaon a confirmé, au fil du temps, le pressentiment que certains avaient de lui. Son engagement communiste a eu de plus en plus de mal à cacher son envie de copier les patrons qu’ils décriaient. 

Dès le début, ce handicap a fait l’objet de rumeurs : son arrivée chez Moulinex avec la complicité d’Alfred Sirven, son initiation dans la maçonnerie, et puis les soutiens dont il a pu bénéficier de la part de Raymond Soubie. Ce n’était alors que des soupçons. Les révélations de l’automne les ont confirmés : des vacances dans une villa de luxe en Corse, des vélos, une voiture, un appartement à Vincennes plutôt qu’en Seine-Saint-Denis.  

Peu à peu, Thierry Lepaon est apparu à la base comme un menteur, non seulement sur ses affaires d’appartement, mais surtout sur son appartenance effective et affective au monde ouvrier. Le communisme était-il pour lui un fond de commerce commode pour faire carrière, mais qui cachait un immense opportunisme ? Le temps a confirmé ceux qui le pensaient, comme ils peuvent le dire d’un Mélenchon ou d’une Clémentine Autain. 

La morgue avec laquelle Thierry Lepaon a traité les attaques dont il était l’objet a constitué l’ultime confirmation de ce soupçon. Alors que l’affaire de son appartement éclatait, Thierry Lepaon n’a jamais jugé utile de répondre, d’expliquer, de rassurer. Et lorsque le débat au sein de la CGT a commencé à tourner au vinaigre, Thierry Lepaon n’a jamais cherché à composer : jusqu’au bout, il a voulu manipuler, contourner, passer en force. 

Ce mépris pour les questions qui lui étaient posées a figé l’impression que Thierry Lepaon jouait à la tête de la CGT un rôle de composition qu’il aurait pu tenir dans n’importe quel syndicat. 

La base de la CGT a changé sa perception de l’organisation

Ce qu’on dit aujourd’hui de Thierry Lepaon aurait pu être dit d’un Krasucki et probablement d’un Thibault. Au fond, la CGT a longtemps fonctionné comme n’importe quelle organisation de la sphère marxiste française : avec une élite adoubée par le pouvoir mais qui le cachait bien. On peut juste reprocher à Thierry Lepaon d’avoir été moins doué que ses prédécesseurs dans le jeu de comédie qui était attendu de lui. 

Il est toutefois intéressant de voir que les deux factions de la CGT qui ont défait Lepaon (avec plus ou moins d’entrain) partagent à leur insu une vision commune de l’organisation : elle veut à la tête du syndicat l’un des leurs, et qui donne des gages de son appartenance réelle à la classe ouvrière. 

De ce point de vue, l’attente d’avoir un chef qui soit un vrai membre de la tribu, un qui vive comme la base et qui en partage les espoirs et les craintes, constitue probablement une nouveauté : à la CGT aussi, on conteste cette élite qui règle les affaires du syndicat entre deux portes, ou au détour d’un couloir, sans consulter réellement les militants. 

Ainsi, lorsque Lepaon a donné le sentiment d’avoir monté un scénario discret de sortie de crise avec Martinez de la métallurgie, des voix se sont élevées tant dans la faction « réformiste » que dans la faction « historique » pour réclamer une consultation sincère des fédérations. A tous, il est apparu impossible que les forces vives du syndicat ne tranchent pas elles-mêmes une crise de régime. 

Alors que chacune des factions porte une vision idéologique relativement différente, voire très différente, un consensus de fait s’est dégagé pour ouvrir un débat interne. Personne ne sait combien de temps il durera, ni s’il aura effectivement lieu, mais la nouveauté est bien là : le modèle d’un communisme « éclairé par une élite » choisie on ne sait comment est mort à la CGT. 

Désormais, transparence et débat interne sont les maîtres mots, au mépris des idoles fabriquées en carton-pâte dans les beaux quartiers parisiens. 

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