La compensation entre les régimes de retraite passée au crible par les Sages

Le Conseil d’Etat a transmis l’étude d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel portant sur les dispositions de l’article L. 134-1 du code de sécurité sociale. Dans une décision du 20 octobre 2015, le Conseil des sages vient éclaircir la mise en œuvre de la compensation financière entre les régimes d’assurance vieillesse. 

Cet article, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2011, instaure un mécanisme de compensation entre les régimes obligatoires de sécurité sociale. L’article L. 134-2 met en œuvre le mécanisme. 

La compensation entre les régimes de retraite

Ce mécanisme de compensation date des années 70, lorsque la dégradation des équilibres financiers de certains régimes, accompagnés de difficultés économiques, poussent le législateur à repenser le système de l’assurance vieillesse. Initialement, la compensation touchait trois branches, l’assurance maladie-maternité, la vieillesse et les prestations familiales. 

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a conservé le mécanisme de compensation généralisée mais uniquement sur les charges de l’assurance vieillesse au titre des droits propres, codifié dans l’article litigieux. 

Plus précisément, le régime vieillesse consiste à faire cotiser des travailleurs à un instant donné, qui permettent de financer la retraite des pensionnés à ce même instant. Cependant, c’est à cause des inégalités entre le nombre de cotisants et de pensionnés ainsi que la disparité entre les capacités contributives de chaque régime, qu’intervient l’article L. 134-1 CSS afin de remédier à ces déséquilibres. Ce dernier instaure en conséquence un régime de compensation. 

Ce régime est complexe car il est calculé sur deux niveaux. D’une part, il y a une compensation entre les régimes de salariés uniquement, fondée sur les deux critères susmentionnés (démographique et capacités contributives). D’autre part, il existe une compensation entre l’ensemble des régimes de salariés et les régimes de non-salariés, fondée sur le seul critère démographique. 

 

La question prioritaire de constitutionnalité

Les requérants contestent la seconde phrase de l’alinéa 2 de l’article L. 341-1 aux motifs que ces dispositions portent atteinte aux principes d’égalités devant la loi et les charges publiques et ne respectent pas l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. 

La QPC émane d’un contentieux opposant la Caisse autonome de retraite des médecins ainsi que cinq requérants, contre des décisions implicites de rejet du Premier ministre et du ministre des affaires sociales et de la santé, portant sur l’abrogation d’articles décrétales du code de la sécurité sociale, relatifs aux retraites. 

Sur la rupture alléguée des principes d’égalité devant la loi et les charges publiques

Les requérants soutiennent que l’application du seul critère démographique au calcul de la compensation des régimes de retraite des non-salariés est une atteinte à l’égalité devant la loi. De plus, selon eux, l’absence de prise en compte des capacités contributives méconnait l’égalité devant les charges publiques. 

Le Conseil des sages considère que le principe d’égalité devant la loi n’est pas atteint par la différence de traitement opérée. Il explique que cette différence est issue de la nature même de l’assurance vieillesse, de son développement et de la « diversité corrélative de ces régimes ». En réalité, il s’agit d’une adaptation du mécanisme de compensation à la particularité des régimes, comme le voulait le législateur de 1974. 

C’est une seconde décision, pour l’année 2015, dans laquelle le Conseil accepte que le législateur opère une différence de traitement justifiée par la constitution historique de ces régimes (QPC, n°2015-460 du 26 mars 2015). 

L’égalité devant les charges publiques n’est pas non plus atteinte car selon la décision, le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général de solidarité en n’appliquant pas le critère des capacités contributives. La compensation intervient dans un système de retraite par répartition, qui doit s’adapter aux différents bénéficiaires. 

 

Sur la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence

Les requérants allèguent que le terme de « compensation reposant sur des critères uniquement démographiques entre les régimes d’assurance vieillesse […] » n’est pas assez clair. Ainsi, ils soutiennent que le législateur n’a pas respecté l’objectif d’intelligibilité de la loi et donc le principe de sécurité juridique et de confiance légitime. Pour eux, les dispositions laissent entendre une intervention du pouvoir réglementaire dans la mise en application de la compensation, notamment sur la prise en compte des capacités contributives. 

Comme le rappelle le Conseil constitutionnel, l’incompétence négative du législateur n’est recevable lors d’une QPC, qu’à des conditions très strictes. Il faut que cette incompétence porte atteinte à un droit ou une liberté, garantit par la Constitution (QPC n°2012-254 du 18 juin 2012). L’article 34 de la Constitution énonce que « la loi détermine les principes fondamentaux […] de la sécurité sociale », le grief est alors recevable. 

Cependant, il est clairement rejeté puisque le pouvoir réglementaire ne peut prendre en compte les capacités contributives qu’après une intervention préalable du législateur. L’étendue de la compétence est respectée. Sans plus de détails, le Conseil rejette tous les autres griefs en considérant que les dispositions sont intelligibles et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté, que la Constitution garantit. 

En conclusion, la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 134-1 du code de la sécurité sociale est conforme à la Constitution. 

 

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