La CFDT VTC-Loti appelle au boycott de l’entreprise Uber

Cet article provient du site du syndicat CFDT.

Face au refus de la société Uber d’augmenter ses tarifs, et tandis que les autres plateformes ont déjà engagé un dialogue sectoriel sur les conditions de rémunération des chauffeurs, la CFDT VTC-Loti appelle au boycott de l’entreprise américaine. 

C’est une action surprenante, et une méthode inédite pour des pratiques nouvelles : depuis dix-huit mois, les chauffeurs réunis en intersyndicale (Actif-VTC, UDCF et CFDT-VTC-Loti) ont dépensé sans compter en vue d’engager un dialogue social avec Uber sur leurs difficultés à exercer correctement leur métier. 

« Nous ne pouvons pas accepter de cautionner encore un système qui oblige les chauffeurs de VTC à travailler plus de 10 heures par jour, six jours sur sept, pour un salaire qui ne dépasse pas 1 700 euros par mois. Travailler ainsi, c’est mettre sa vie en danger, celle des clients et celle des autres usagers de la route », explique Yazid Sekhri, secrétaire de la section CFDT VTC-Loti créée en janvier 2017. 

Face à l’échec des négociations sur la question de la rémunération, l’intersyndicale demande aux clients de se déconnecter de la plateforme américaine et s’engage dans une campagne de mobilisation sur le thème « Un travail décent pour tous les chauffeurs ». Pour ces travailleurs indépendants, qui ne bénéficient pas du droit syndical et ne peuvent faire grève, l’outil numérique et les réseaux sociaux sont aujourd’hui un des vecteurs de la contestation. C’est une première en matière de pratiques syndicales pour la CFDT-Transports et Environnement, qui soutient le mouvement. Comprendre cette décision exige de revenir sur le minutieux travail de défrichage qu’elle a mené dans un secteur où rien n’existait il y a seulement quelques mois. Aujourd’hui, la section CFDT VTC-Loti est créée, la loi Grandguillaume (au sujet de laquelle la CFDT a été consultée) adoptée, le rapport du médiateur Jacques Rapoport, avec qui elle a travaillé, a été publié début février, un observateur de l’État pour que soit appliqué ce qu’il préconise a été nommé, des arbitrages gouvernementaux ont eu lieu… et le bras de fer avec la société Uber perdure. 

Un peu trop comme au Far West 

En juillet 2016, lorsqu’il publie le rapport qui sera suivi d’une loi qui porte son nom, le député PS de Côte-d’Or Laurent Grandguillaume avait qualifié le secteur du transport public particulier de personnes de véritable « Far West ». Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Adoptée fin décembre 2016, en plein conflit sur les rémunérations des chauffeurs VTC, cette loi visait à clarifier les statuts des conducteurs de taxis, VTC et Loti (transport collectif à la demande), trois professions différentes qui se disputent des clients identiques. Au même moment, un deuxième conflit est apparu, opposant cette fois les chauffeurs de VTC et les plateformes, les premiers dénonçant la paupérisation de leur métier et la hausse des commissions prélevées par les plateformes de mise en relation avec leurs clients, Uber en tête. Depuis, le dialogue social qui s’est mis en place commence à porter ses fruits, mais pas avec la société californienne. La mobilisation des représentants des chauffeurs a fait émerger la face cachée d’un système qui ne garantit pas des conditions de travail décentes. « Travailler avec Uber, c’est toucher un salaire horaire inférieur à 7 euros nets sans congés payés ni protection sociale. Uber continue à faire la sourde oreille et à jouer la montre. Nous, nous travaillons pour la pérennité du métier de VTC. » D’abord seule, puis en intersyndicale, la CFDT a franchi plusieurs paliers. 

Premier round : réunir les acteurs autour de la table de négociation 

En octobre 2016, la CFDT-Transports et Environnement organise un premier débat entre Thibaud Simphal, directeur d’Uber pour l’Europe de l’Ouest, et Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. La question de la rémunération des chauffeurs est déjà préoccupante. Elle est écartée par le dirigeant d’Uber au nom des emplois créés. Deux mois plus tard, les manifestations de chauffeurs mécontents se multiplient. Le 12 décembre, la société Uber propose alors à la CFDT une réunion, dans ses locaux, afin d’envoyer un signal à l’ensemble du secteur, et montrer qu’elle est disposée à engager des discussions sectorielles. À sa demande, tous les acteurs sont réunis au ministère des Transports une semaine plus tard. Mais Uber France annonce en début de réunion qu’il doit consulter la société américaine afin d’être mandaté pour discuter sur l’ordre du jour dont il a pourtant pris connaissance, comme les autres, par courrier. Une nouvelle réunion se tient alors dès le lendemain, à 14 heures. Cette fois, Uber annonce qu’il apportera un « fonds de soutien de deux milliards d’euros » afin d’aider les chauffeurs en difficulté. Pour les représentants des VTC, c’est un nouveau camouflet : la proposition est imprécise et ne répond en rien aux revendications tarifaires qui ont été exprimées. Le gouvernement décide alors de nommer un médiateur afin de trouver une issue à un conflit qui s’annonce long… Jacques Rapoport est appelé le 22 décembre et rendra ses conclusions six semaines plus tard. 

Deuxième round : faire reconnaître la précarité du modèle économique pour les chauffeurs 

Le rapport du médiateur est sans ambiguïté : il établit clairement que la profession se trouve fragilisée financièrement par un lien de subordination économique vis-à-vis de certaines plateformes qui ne permettent pas toujours de travailler dans de bonnes conditions. Non seulement il entérine le modèle économique constaté (1 700 euros nets au maximum par mois pour 60 heures de conduite hebdomadaire) mais il met en cause la responsabilité sociale de la plateforme Uber et préconise qu’elle répare les conséquences de la dégradation de ses tarifs. Par ailleurs, il formule deux principales recommandations pour sortir de cette crise : en premier lieu, il recommande la mise en œuvre d’un véritable dialogue professionnel avec tous les protagonistes. Le cas échéant, et c’est le deuxième point, l’État devra être prêt à fixer un barème minimal. 

Dès l’annonce des conclusions du rapport, les représentants des chauffeurs se sont constitués en intersyndicale dans l’optique d’engager des négociations avec chaque plateforme, notamment au sujet des tarifs. Il faut aussi chercher des solutions permettant d’améliorer la protection sociale des chauffeurs, et définir des conditions légales pour stopper les déconnexions abusives de chauffeurs. « Il s’agissait ni plus ni moins de mettre en pratique les préconisations de Jacques Rapoport », souligne Fabian Tosolini, secrétaire général adjoint de la CFDT-Transports et Environnement. « Toutes les plateformes ont répondu à l’appel, y compris Uber. » Sous la pression de l’intersyndicale et du médiateur, l’entreprise américaine se dit – enfin – ouverte à une discussion à propos des tarifs, mais « sur la base des propositions qui lui seront faites ». 

En réalité, lors la réunion du 15 mars dernier, qui devait aborder ce point crucial, il n’a toujours pas été question de parler tarification, Uber se contentant de réitérer sa proposition de créer un fonds d’indemnisation. 

Troisième round : vers une tarification minimale 

« Au cours de la médiation et lors des entretiens avec les différentes plateformes, nous avons pu constater qu’il existe de bons élèves : commissions entre 12 et 20 % ; tarif minimum et prix au kilomètre décents, se situant au-delà de nos préconisations en termes de tarification minimum ; refus de vendre des prestations de transport à perte pour le chauffeur ; respect des chauffeurs ; consultation avant déconnexion », a déclaré l’intersyndicale reçue le 31 mars par Alain Vidalies. Constatant le refus d’Uber de négocier, le secrétaire d’État aux Transports a alors confirmé le démarrage des travaux en vue de définir un tarif minimal dans le secteur, conformément aux préconisations du médiateur. 

Mais cette mesure reste conditionnée aux prochaines élections, puisqu’elle devra faire l’objet d’une intervention législative. L’intersyndicale ne souhaite donc pas en rester là. « […] au vu du mépris d’Uber vis-à-vis des organisations [syndicales] mais aussi des services de l’État, au vu des conditions de rémunération maintenant connues de tous dans ce secteur, [l’intersyndicale a] obtenu du secrétaire d’État qu’il intervienne auprès du ministère du Travail afin de stopper le recrutement massif de jeunes demandeurs d’emploi vers cette société », a-t-elle déclaré en conférence de presse le 4 avril. En outre, elle appelle à un « sursaut de conscience » et demande aux clients d’Uber de boycotter la plateforme tant que la société n’aura pas fait de propositions concrètes pour répondre aux revendications des chauffeurs. « Le fonctionnement d’Uber a propulsé le client comme acteur dominant d’une économie se jouant à plusieurs. Le client continue à bénéficier d’un transport immédiat et de qualité, tandis que le salaire du chauffeur est devenu indigne », souligne Yazid Sekhri. 

Actuellement, 17 000 chauffeurs de VTC travaillent dans Paris et 25 000 dans l’ensemble de la France. Uber est présent dans dix grandes villes françaises. La société civile saura-t-elle relayer le message ? De fait, la CFDT-Transports et Environnement envisage aussi l’appel au boycott comme une adresse aux candidats à la présidentielle : quel modèle de société voulons-nous ? Quelle image du travail avons-nous ? Quelle protection sommes-nous capables d’apporter aux nouveaux travailleurs indépendants du numérique ? Réponse dans quelques semaines. 

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