Cet article a été initialement publié par le syndicat de salariés CFDT.
Plusieurs associations m’ont interpellé il y a quelques jours par le biais d’une lettre ouverte au sujet de l’accord pérennisant les retraites complémentaires. Cet accord, issu d’une négociation qui a commencé en février dernier, a été conclu le 30 octobre entre les organisations syndicales (CFE-CGC, CFTC et CFDT) et les organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA). Dans cette lettre ouverte, les associations signataires dénoncent l’accord sur les retraites complémentaires, au motif que celui-ci pénaliserait encore plus les femmes. La CFDT s’inscrit en faux !L’accord prévoit des mesures qui répartissent les efforts nécessaires pour sauver les régimes et des mesures qui protègent les basses pensions et donc en premier lieu celles des femmes, dont la situation, si elle a évolué positivement avec le temps, nécessite toujours d’être améliorée. L’argumentation de la lettre ouverte s’appuie sur des chiffrages partiels qu’il convient de préciser et de compléter. Quoi qu’il en soit, la lutte contre la discrimination au travail des femmes passe par d’autres leviers que la négociation sur les retraites complémentaires des salarié-es du privé. L’accord prévoit des mesures pour protéger les basses pensions, donc majoritairement les femmes. Les marges de manœuvre dans la négociation étaient étroites pour protéger les femmes, car le système de retraite complémentaire est un système dit contributif, par répartition. Il repose sur les cotisations salariales et patronales, donc sur l’activité. Les écarts de pension reproduisent, de fait, les écarts et les inégalités sur le marché du travail. La création d’une contribution uniquement patronale en faveur de l’égalité salariale faite par certaines organisations syndicales était irréalisable. Avec un taux modulé entreprise par entreprise en fonction de l’amplitude des écarts salariaux liés au genre : impossible à déterminer, impossible à appliquer. Les écarts salariaux peuvent être dus à des différences de temps de travail (les femmes sont largement les plus nombreuses parmi les temps partiels), à des différences de métiers et dans certains cas, c’est le fait de discriminations et là, c’est illégal ! La CFDT s’est battue pour que les basses pensions, donc principalement celles des femmes, soient préservées. L’accord sur les retraites complémentaires prévoit que les pensions les plus faibles seront exonérées totalement ou partiellement du coefficient de solidarité applicable en 2019, c’est-à-dire que cette exonération, qui vise 1 retraité-e sur 3, concernera essentiellement les femmes, pénalisées aujourd’hui et demain par des rémunérations plus faibles que celle des hommes. Par exemple, pour un ou une retraité-e dont la pension sera de 1 200 € (CSG à taux réduit et contribution de solidarité réduite), le coefficient de solidarité représentera un effort de moins de 20 euros par mois pendant 3 ans. Une argumentation appuyée sur des chiffres partiels :Les femmes ont des pensions inférieures de 40% à celles des hommes : oui, mais… Les écarts de pension de droit propre existent encore, mais heureusement ils diminuent avec les générations, avec l’évolution et l’accroissement de l’activité féminine. Cet écart est mesuré par le ratio pension des femmes/pension des hommes qui est de 44% pour les générations 1924-1928, 56% pour les générations 1939-1943. Selon des simulations réalisées à partir du modèle Destinie de l’INSEE, ce ratio atteindrait 70 % pour les générations nées dans les années 50, puis progresserait pour valoir 80% pour les générations nées dans les années 70. Mais depuis longtemps, les partenaires sociaux ont cherché à réduire ces inégalités, notamment par les droits dérivés dits « familiaux », qui représentent près de 25% des dépenses de retraite complémentaire. Si l’on inclut les pensions de réversion (droits dérivés), les écarts diminuent : 64% pour les retraités nés avant 1943, 69% pour la génération 1946, mais restent en défaveur des femmes. Elles ont aujourd’hui des carrières plus courtes : oui, mais… Pour les générations nées avant 1943, la durée d’assurance des femmes était effectivement plus courte que celle des hommes, malgré les droits familiaux, due à de nombreuses interruptions de carrières et à des différences salariales plus fortes. Pour les générations qui partent actuellement en retraite, les femmes du « baby-boom » (nées après 1945), leur durée d’assurance augmente : interruptions de carrière dues principalement aux naissances, carrières salariales plus favorables. Pour les générations nées après 1960, qui partiront à la retraite après 2020, la durée moyenne d’assurance (y compris droits familiaux) des femmes convergerait vers celle des hommes. Elles partent en retraite en moyenne plus tard que les hommes : oui, mais… Parmi les retraité-es né-es au début des années 1930, les femmes partaient en moyenne un an et demi plus âgées que les hommes. Selon les projections, cet écart se réduirait progressivement, jusqu’à s’inverser à partir des générations nées à la fin des années 1960. A long terme, les femmes partiraient en moyenne 7 mois plus jeunes que les hommes. Toute augmentation de la durée de cotisations exigée pour avoir une pension à taux plein les pénalise : oui, mais… C’est vrai, mais il n’y a pas d’augmentation de la durée de cotisation exigée pour avoir une retraite à taux plein ! A partir de 2019 et pour les générations 1957, l’accord prévoit la mise en place d’un coefficient de solidarité qui minore de 3% la pension de retraite pendant 2 à 3 ans. Mais le ou la salarié-e retrouve sa pension de retraite complémentaire pendant le reste de sa retraite, c’est-à-dire pendant plus de 20 ans. C’est une contribution temporaire, non viagère. La sous-indexation des pensions touche plus les femmes retraitées : oui, mais… C’est vrai et la CFDT souhaitait que les basses pensions, donc principalement celles des femmes, soient exonérées de cette sous indexation. Elle n’a malheureusement pas été suivie par les autres organisations syndicales. Pire, FO et CGT estiment que la « solidarité » est du ressort du régime général et que les régimes complémentaires doivent être contributifs par nature (donc sans solidarité). A noter que la sous-indexation des pensions a peu d’effet en période de faible inflation, ce qui est le cas actuellement, et qui, selon les projections, ne devrait pas beaucoup changer pour les 2 ans à venir. Les femmes handicapées ou invalides sont encore plus pénalisées : c’est faux Selon le texte de l’accord, le coefficient de solidarité prévu en 2019 ne s’applique pas aux personnes qui liquident leur retraite au taux plein dans le régime de base avant ou dès l’âge d’ouverture des droits, dans le cadre des dispositifs légaux notamment prévus pour les assuré-es en situation de handicap justifiant d’un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 50%. Il ne s’applique donc ni aux femmes, ni aux hommes en situation de handicap. |
D’autres leviers sont plus pertinents pour lutter contre la discrimination des femmes sur le marché du travail que l’accord sur les retraites complémentaires La retraite, c’est le reflet de la société, en termes démographiques, économiques et sociaux. On ne peut pas penser notre système de retraite de manière statique, sur le court terme : la situation des femmes aujourd’hui à la retraite et celles des femmes qui partiront en retraite dans 10 ou 20 ans n’est heureusement pas comparable, en raison notamment de l’augmentation du travail féminin et de l’allongement des carrières féminines. Toutefois, même si les droits familiaux et autres dispositifs de retraite concernant les femmes (minima de pensions, périodes validées au titre du chômage, de la maladie, de la maternité ou de l’invalidité, départs anticipés) ont atténué et atténuent encore les écarts de montant de pension entre femmes et hommes, ces écarts subsistent et subsisteront encore. En effet, une action sur le système de retraite joue sur les conséquences des inégalités entre les femmes et les hommes, et non sur les causes : si les pensions de retraite des femmes restent encore inférieures à celles des hommes, c’est parce qu’il y a une inégalité, de salaire, de nature et de conditions d’emploi, entre les femmes et les hommes sur le marché du travail. Les femmes gagnent 27% de moins que les hommes. Mais il s’agit d’un écart de rémunération annuelle brute. La moitié de cet écart, est due à un écart de temps de travail ou de nombre d’heures travaillées, lié au temps partiel souvent subi par les femmes et aux heures supplémentaires souvent faites par les hommes. 1/4 de l’écart de rémunération est lié à la ségrégation des emplois. Le quart restant demeure « inexpliqué » (contraintes de l’emploi et discrimination salariale). Ce sont ces inégalités qu’il faut combattre et que la CFDT combat, dans le champ de la négociation sur le travail, au delà du champ des retraites complémentaires. Agir pour l’égalité c’est permettre aux femmes d’accéder à toutes les formations, c’est briser les plafonds et les parois de verre qui subsistent presque partout, c’est combattre les discriminations sur les salaires et les évolutions de carrière, c’est faire avancer dans les mentalités et dans les faits un meilleur partage des tâches familiales…C’est ce que font dans les entreprises et les services les militantes et les militants de la CFDT (et sans doute des autres organisations syndicales). Mais le monde du travail au féminin est aujourd’hui surtout très divisé. D’un côté, un univers du travail féminin qui s’étend, s’affirme et parvient progressivement à faire reculer une partie des discriminations. Et à l’autre extrémité, les travailleurs pauvres sont aujourd’hui essentiellement des femmes. Elles sont cheffes de familles monoparentales, souvent jeunes, en rupture sociale et professionnelle. Les dispositifs doivent donc être ciblés sur elles en prenant en compte leurs difficultés à accéder au travail stable et à temps plein. La CFDT a obtenu que les salarié-es du privé puissent depuis 2014 valider des trimestres plus facilement (150 fois la valeur du Smic horaire pour valider un trimestre contre 200 auparavant, prise en compte intégrale des périodes de maternité). La mesure d’exonération du coefficient de solidarité va dans le même sens. De fait, aujourd’hui comme hier, défendre la « cause des femmes » sur les retraites en les présentant comme les principales victimes de toutes les réformes engagées permet surtout de défendre le statu quo. Ce combat aboutit à ne pas demander des efforts aux hommes qui, c’est vrai, ont des retraites bien supérieures à celles des femmes. |