La 500 ème QPC, une occasion rêvée pour le Conseil constitutionnel de changer l’histoire !

Cinq ans et demi après l’entrée en vigueur du contentieux de la question prioritaire de constitutionnalité, les sages du Palais-royal pourraient fort bien profiter de la 500ème QPC pour rééquilibrer les relations employeurs/CHSCT. 

Le Conseil constitutionnel vient en effet d’être saisi d’une 500ème question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la chambre sociale de la Cour de cassation la lui ayant transmise en date du 16 septembre 2015. A l’occasion d’un litige opposant les sociétés Foot Locker France et Technologia, la question relative à l’imputabilité des frais d’une expertise décidée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) fut soulevée par le premier détaillant mondial de chaussures et de vêtements de sport. Précisément, l’article L. 4614-13 du code du travail dispose en son premier alinéa que les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur. Faut-il entendre par là, qu’en toutes hypothèses, l’employeur doit prendre en charge les honoraires de l’expert, y compris lorsque la délibération du CHSCT qui a décidé d’y recourir est annulée par le juge ? 

L’occasion nous est offerte de revenir sur le statut juridique du CHSCT et d’en préciser les contours au regard de l’activité prétorienne de la Cour de cassation. En droit, le comité dispose-t-il d’un patrimoine ? Si oui, comment articuler cette notion avec l’absence de budget du CHSCT ? Enfin, celui-ci doit-il toujours être exonéré des frais d’expertise ? 

Le statut juridique du CHSCT

La reconnaissance de la personnalité civile du CHSCT impliquant un patrimoine

Dans le silence de la loi, c’est le juge qui est intervenu aux fins de définir le statut du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Par un arrêt faisant date (Cass. soc., 17 avr. 1991 : Dr. soc. 1991, p. 516), la Cour de cassation affirma que la personnalité civile appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes par suite d’être juridiquement reconnus et protégés. Les Hauts magistrats en conclurent que les CHSCT, qui ont pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés de l’établissement, ainsi qu’à l’amélioration de leurs conditions de travail et sont dotés, dans ce but, d’une possibilité d’expression collective pour la défense des intérêts dont ils ont la charge, ont la personnalité civile. 

La reconnaissance prétorienne de la personnalité morale a pour effet de conférer au CHSCT un statut distinct de celui des membres qui l’ont constitué et lui octroie corrélativement divers attributs, tels que le nom, le domicile ainsi qu’un patrimoine. L’acquisition de la personnalité juridique permet au comité de disposer de droits et obligations, il est ainsi en capacité de conclure des contrats, d’agir en justice (Cass. soc., 2 déc. 2009, n° 08-18.409, FS-P+B, Sté Air France c/ CHSCT n° 4 de l’établissement de la direction sol CDG de la Sté Air France). 

L’absence de budget propre du CHSCT, comme une particularité du droit

Qui dit patrimoine dit en principe, actif et passif. Mais qu’en est-il du CHSCT, eu égard à son absence de budget ? 

A l’inverse du comité d’entreprise, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne dispose pas de budget propre. Le législateur ne lui a pas attribué un budget de fonctionnement, tout juste lui a-t-il permis de recevoir de l’employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions, ainsi que les moyens nécessaires à la préparation et à l’organisation des réunions et aux déplacements imposés par les enquêtes ou inspections. 

Cependant, le fait qu’en principe le CHSCT n’ait pas de budget n’implique pas nécessairement une absence de patrimoine. Puisqu’il peut agir en justice et conclure des contrats en sa qualité de personne juridique, son patrimoine, assimilé à un contenant au départ vide, est susceptible au fil du temps d’être évaluable en argent… La Cour de cassation a d’ailleurs récemment admis pour la première fois, que le CHSCT était en droit de poursuivre contre l’employeur la réparation d’un dommage que lui cause l’atteinte portée par ce dernier à ses prérogatives (Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-26.258, FS-P+B, Sté SFR c/ CHSCT SFR Rive Défense, JCP éd. S. n° 16, 21 avril 2015, 1149). Dès lors, dans la mesure où le CHSCT peut être amené à disposer d’un compte en banque et pourquoi pas d’un solde positif, comment concilier la disposition légale imposant à l’employeur de prendre systématiquement à sa charge les frais d’expertise et l’éventualité d’abus du CHSCT dans sa décision de recourir à un expert ? 

Le paiement des frais d’expertise

Dans le cadre de ses missions, le CHSCT est doté d’un certain nombre de prérogatives. L’institution, telle qu’organisée par le législateur, est chargée de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs, de contribuer à l’amélioration des conditions de travail, et de veiller à l’observation des prescriptions légales prises en ces matières. A ces effets, le CHSCT peut être amené à solliciter l’avis d’experts extérieurs à l’entreprise. Etant précisé que la décision de recourir à un expert prise par le CHSCT dans le cadre d’une consultation sur un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité, constitue une délibération sur laquelle les membres élus du CHSCT doivent seuls se prononcer en tant que délégation du personnel, à l’exclusion du chef d’entreprise, président du comité (Cass. soc., 26 juin 2013, n° : 12-14.788, FS-P+B, SA société Air France KLM c/ CHSCT société Air France Toulouse établissement 23 et a.) 

Aux termes de l’article L. 4614-12 du code du travail, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peut recourir à un expert agréé dans deux situations : lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ; et en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L. 4612-8-1. Dans ce cas, le principe institué par le législateur est que les frais d’expertise s’imputent au débit de l’employeur. L’employeur est donc dans l’obligation de payer les honoraires de l’expert mandaté par le CHSCT ainsi que les frais afférent à sa mission. Il ne reste pas démuni pour autant, car il peut contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue ou le délai de l’expertise, et saisir à cette fin le juge judiciaire. 

Une inadéquation et un paradoxe du droit

La question du débiteur des frais d’expertise lorsque la délibération du CHSCT est annulée

Il convient de préciser tout d’abord qu’en cas de contentieux, il est de jurisprudence constante que l’employeur prend également à sa charge les honoraires des avocats intervenus en faveur du CHSCT ainsi que les frais de la procédure en contestation (Cass. soc., 12 janv. 1999, n° 97-12.794, Bull. civ. 1999 V N° 19 p. 15), même quand l’institution représentative du personnel succombe. La Cour pose une seule limite ; l’abus du CHSCT. (voir pour un exemple de motivation, lors d’un litige portant sur la désignation du président du CHSCT ; Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-13.375 ; Bull. civ. 2002, V, n° 215). 

De même, en cas d’annulation par le juge de la délibération du CHSCT ayant décidé de faire intervenir un expert, l’employeur doit aussi prendre à sa charge les frais liés à l’expertise réalisée. La motivation des juges est essentiellement fondée sur l’absence de budget ou de ressources propres de l’institution. Mais rappelons-nous à ce stade que le CHSCT dispose bien d’un patrimoine, qu’en outre il est désormais fondé à obtenir réparation civile de dommages que pourrait lui occasionner l’employeur. Ajouté à cela que certains accords d’entreprises lui octroient un budget, il n’est pas déraisonnable d’estimer pertinente la question prioritaire que la Cour de cassation vient de transmettre au Conseil constitutionnel. 

La QPC est ainsi rédigée : « les dispositions de l’article L. 4614-13 du code du travail et l’interprétation jurisprudentielle constante y afférente sont-elles contraires aux principes constitutionnels de liberté d’entreprendre et/ou de droit à un procès équitable lorsqu’elles imposent à l’employeur de prendre en charge les honoraires d’expertise du CHSCT notamment au titre d’un risque grave, alors même que la décision de recours à un expert a été judiciairement (et définitivement) annulée ? ». 

L’examen de la QPC et son incidence

La Cour de cassation considère que la question présente un caractère sérieux ; elle relève en effet que l’absence de budget propre du CHSCT, qui a pour conséquence que les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur y compris lorsque ce dernier obtient l’annulation de la délibération ayant décidé de recourir à l’expertise après que l’expert désigné a accompli sa mission, est susceptible de priver d’effet utile le recours de l’employeur. La motivation n’est pas neutre, les magistrats ayant conscience que si cette règle était conservée, l’employeur n’aurait plus réellement d’intérêt à contester les délibérations du CHSCT puisqu’en fin de compte, c’est quand même lui qui assumera tous les frais… En filigrane, les Hauts magistrats de l’ordre judiciaire glissent à l’oreille du Conseil constitutionnel – peu importe que ce dernier ne soit pas juge de la conventionnalité des lois – que la question soulève également une difficulté au regard de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Comment concevoir l’effet utile d’un procès « équitable » alors que l’employeur, qu’il gagne ou qu’il succombe, doit toujours supporter l’intégralité des frais de l’expertise ainsi que ceux liés à l’action ? 

Les juges constitutionnels seraient donc bien inspirés de bousculer le législateur aux fins qu’il octroie aux CHSCT un budget de fonctionnement à l’instar des comités d’entreprise. Dans l’hypothèse d’une censure de la disposition législative querellée, l’exécutif se saisirait à son tour de la question en envisageant un projet de loi tendant à attribuer un budget aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il est paradoxal qu’une personne morale sujet de droit, disposant d’un patrimoine, du droit d’agir en justice et partant, susceptible de se constituer un actif par l’obtention de sommes d’argent, continue d’être exonérée de toutes obligations pécuniaires, notamment lorsque ses propres décisions sont annulées judiciairement. 

En outre, l’apport de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi (dite loi “Rebsamen”) en matière d’institutions représentatives du personnel n’est pas anodin. Le législateur a notamment prévu pour les entreprises d’au moins trois cents salariés, la possibilité d’un regroupement (par accord majoritaire) des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du CHSCT ou de deux de ces institutions représentatives au sein d’une instance exerçant l’ensemble des attributions des institutions faisant l’objet du regroupement. La nouvelle loi précise surtout que l’instance est dotée de la personnalité civile et gère, le cas échéant, son patrimoine

Le renforcement des prérogatives du CHSCT, la reconnaissance prétorienne de sa personnalité morale, ainsi que l’interprétation jurisprudentielle de l’article L- 4614-13 du code du travail, semblent aujourd’hui en complet décalage avec le principe même de la personnalité juridique. Rappelons que celle-ci implique entre autres que le sujet est titulaire de droits mais également que des obligations lui incombent, droits et obligations allant de pair

Enfin, en raison de l’atteinte que certaines décisions judiciaires portent à la liberté d’entreprendre et au droit au procès équitable (condamnation de l’employeur à devoir payer les frais d’expertise, les frais de justice et les honoraires d’avocat du CHSCT y compris lorsque ce dernier succombe à l’instance), l’idée d’un rééquilibrage n’est pas à exclure. 

Le Conseil constitutionnel va examiner cette question lors de l’audience publique du 17 novembre 2015. Sa décision interviendra quelques jours plus tard sous le numéro 2015-500 QPC… 

In fine, si par exceptionnel les sages ne censuraient pas cette disposition et l’interprétation jurisprudentielle y afférente, ils devront alors préciser la raison pour laquelle le législateur a expressément affirmé que l’employeur qui entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue ou le délai de l’expertise, saisit le juge judiciaire“. 

(Voir également : « CHSCT : le recours à l’expertise », paru sur BI&T le 8 juillet 2015) 

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