Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.
Saisis d’une demande de reconnaissance d’un harcèlement moral, les juges du fond doivent rechercher si les faits poursuivis caractérisent les agissements tels que visés par l’infraction d’harcèlement moral, sans prendre en compte le comportement de la victime. Cass.crim, 27.05.15, n°14-81489
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Les faits
Un président d’une communauté de commune est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour des faits de harcèlement moral sur une agent. Il lui est reproché de l’avoir dénigrée publiquement, d’avoir recommandé aux autres agents municipaux de se tenir à distance, de l’avoir installée seule dans une salle, de ne lui avoir confié aucune tâche ou encore de ne l’avoir pas invité aux cérémonies de fin d’année.
Pour sa défense, le prévenu explique que ses agissements ont trouvé leur origine dans les compétences et le comportement de l’agent elle-même : selon lui, l’incompétence de l’agent, son incapacité à accepter la moindre critique ou encore son attitude agressive à l’égard des autres agents l’ont conduit à prendre les diverses mesures reprochées.
Ces arguments vont convaincre partiellement le tribunal correctionnel, et emporter la conviction de la cour d’appel.
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Quelle prise en compte du comportement de la victime en cas de harcèlement ?
Le tribunal correctionnel, tout en jugeant le prévenu coupable du délit de harcèlement moral, procède à un partage de responsabilité sur l’action civile. Selon lui, le comportement et le problème de compétence de la partie civile ont contribué à provoquer une dégradation des relations professionnelles entre les parties, justifiant ainsi le partage de responsabilité.
La cour d’appel quant à elle relaxe purement et simplement le prévenu : elle motive sa décision sur le fait que l’agent a été à l’origine de l’attitude du prévenu qui était tenu de faire en sorte que la gestion des affaires publiques soit irréprochables tout en préservant les personnels sous ses ordres. Elle en déduit que, dans ces conditions, il ne peut être considéré comme s’étant rendu coupable du délit de harcèlement moral.
Saisie du pourvoi, la Cour de cassation a dû répondre à la question suivante : le comportement de la victime de faits pouvant s’assimiler à du harcèlement moral peut-il conduire à exonérer l’auteur de sa responsabilité ?
La Haute Cour casse l’arrêt d’appel en rappelant le travail de recherche auquel doivent se livrer les juges du fond dans la caractérisation de l’infraction de harcèlement, tout en précisant que cela ne doit pas s’étendre au comportement de la victime comme cause de limitation ou d’exonération de la responsabilité.
Les juges doivent rechercher si les faits reprochés sont constitutifs des agissements au sens de l’article 222-33-2 du code pénal
Elle rappelle tout d’abord aux juges du fond qu’ils doivent, pour prendre leur décision, rechercher si« les faits poursuivis (…) n’outrepassaient pas (…) les limites du pouvoir de direction du prévenu et ne caractérisaient pas des agissements au sens de l’article 222-33-2 du code pénal ».
Mais elle précise que ce travail ne doit pas aller plus loin.
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L’absence d’influence du comportement de la victime dans la reconnaissance du harcèlement moral
La Cour de cassation précise que les juges du fond doivent se limiter à apprécier les faits poursuivis,« quelle qu’ait été la manière de servir de la partie civile ».
Ainsi, au pénal, les juges du fond n’ont pas, lorsque l’employeur leur avance des arguments destinés à « excuser » son comportement, à les prendre en compte pour établir la culpabilité du responsable.
Cette solution dégagée par la chambre criminelle de la Cour de cassation apparaît évidente compte tenu de la définition même du harcèlement moral qui ne prévoit aucune cause d’exonération possible : il y a harcèlement moral dès que les conditions fixées à l’article 222-33-2 du code pénal sont réunies, peu importe que la victime ait eu un comportement ayant pu conduire aux agissements reprochés.
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Chambre criminelle et Chambre sociale sur la même longueur
Cette solution de la chambre criminelle semble être conforme à celle de la chambre sociale : en effet, cette dernière (1) vient de censurer une cour d’appel qui a débouté une salariée de sa demande de reconnaissance d’un harcèlement moral au motif que la dégradation des conditions de travail est en partie due à la salariée. La chambre sociale retient une analyse identique à celle de la chambre criminelle sur le travail d’appréciation des faits soumis au juge du fond : ils doivent se prononcer sur l’ensemble des faits retenus afin de dire s’ils laissent présumer un harcèlement moral.
Avec une différence toutefois : devant le conseil de prud’hommes, l’employeur à la possibilité, en présence de faits laissant présumer un harcèlement moral, de démontrer que ces faits sont étrangers à tout harcèlement moral et donc d’échapper à la condamnation.
(1) Cass.soc, 13.05.2015, n°14-10854