Les projets de Muriel Pénicaud en matière de formation professionnelle sont-ils à la hauteur des problématiques actuelles de l’emploi? On peut craindre le contraire: le déficit en formation des chômeurs est colossal et on voit mal en quoi le projet de loi en cours de discussion à l’Assemblée Nationale le corrigera.
Dans la problématique du chômage en France, la question de la formation professionnelle prend une place de plus en plus sensible. La persistance d’un chômage de masse en France pose en effet question, et c’est probablement un phénomène complexe auquel nous sommes confrontés – complexe au sens où plusieurs facteurs d’explication interviennent pour éclairer sa compréhension, loin des solutions toutes faites auxquelles les politiques aiment parfois se raccrocher. N’en déplaisent à ceux qui font du chômage un problème moral où de gentils chômeurs victimes du grand capital subiraient une condition indigne d’une démocratie moderne.
Le niveau des allocations pose-t-il problème?
Il existe un tabou dans les « milieux sociaux » sur le lien systémique entre chômage de masse et niveau d’indemnisation. En France, l’indemnisation est plutôt longue et à un niveau relativement élevé. Elle est, pour simplifier, équivalente à 57% du salaire, avec un minimum proche du SMIC mensuel. Cette somme est versée pendant deux ans au maximum, sans dégressivité.
Dans la pratique, il est devenu impossible d’interroger l’impact de ce mode de rémunération sur le chômage de masse. La susceptibilité des « partenaires sociaux » sur cette question est immense.
Pourtant, on peut imaginer qu’entre un travail précaire payé au SMIC et une indemnisation par le chômage, beaucoup de profils faiblement diplômés préfèrent le chômage. Le système d’indemnisation permet cette solution de « fortune »: un salarié qui a travaillé quatre mois ouvre droit à quatre mois d’indemnisation. Dans la pratique, ce système offre un revenu net plus important au chômeur qu’au salarié employé à temps partiel payé au SMIC.
Il n’y a ici aucune considération morale ou stigmatisante. C’est un simple calcul de rationalité économique. Dans de nombreux cas, la France a créé une préférence pour le chômage.
Les défaillances du système scolaire au centre du jeu
Parallèlement, l’école publique en France fabrique, depuis de nombreuses années, un très important taux de décrochage scolaire, qui constitue probablement la plus grande injustice sociale de ce pays, sur laquelle les bienveillants de gauche font preuve d’une passivité constante. On estime à 20% d’une classe d’âge le nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme. Autrement dit, sur environ 55 milliards annuels de budget pour l’école, 11 milliards sont dépenses en pure perte.
Pour les autres, l’absence d’orientation scolaire structurée débouche sur un excès de « mauvais diplômes » (les facultés de psychologie regorgent d’étudiants qui sont autant de futurs chômeurs) et une dramatique pénurie de diplômés (y compris dans les métiers industriels ou manuels) là où les besoins de l’appareil productif sont vivaces. On n’épiloguera pas ici sur la difficulté de trouver des développeurs informatiques compétents en France…
L’enjeu de la formation professionnelle
Dans cet ensemble, la formation professionnelle pourrait être considérée comme un atout pour lutter contre ce qu’on appelait à une époque le « chômage d’inadéquation » et qu’on appelle parfois le « chômage technologique ». L’importante différence entre la masse des compétences requises sur le marché du travail et la masse des incompétences issues de notre système scolaire et universitaire constitue en effet un gisement de main-d’oeuvre important, et probablement d’emplois pérennes.
Cette conviction macro-économique, dominante dans les élites parisiennes, est devenue, au fil des ans, une sorte de Graal. L’engagement de former 500.000 chômeurs par an aux métiers numériques constitue même un gimmick du discours public depuis Nicolas Sarkozy. François Hollande l’avait repris à son compte, avant qu’Emmanuel Macron n’y fasse écho.
C’est dire à la fois la conscience que le pouvoir exécutif peut avoir des faillites du système, et l’impuissance d’y remédier. Les années passent, les formations au forceps financées par Pôle Emploi ou par les branches professionnelles se suivent, et le chômage de masse demeure.
L’échec prévisible d’Emmanuel Macron sur le sujet
Le projet de loi présenté par Muriel Pénicaud, et annoncé en son temps comme un big bang de la formation professionnelle se révèle très déceptif au regard des promesses qu’il portait, et ne devrait pas échapper à la loi de l’impuissance qui a frappé toutes les lois en matière de formation professionnelle depuis 10 ans.
Dans la pratique, la mesure essentielle de ce projet consiste à transformer les crédits d’heures de formation professionnelle en crédits monétaires. Les entreprises devront provisionner une somme de 500 euros par an par salarié pour financer des formations. Ce droit sera portable d’une entreprise à une autre, ce qui ne manquera pas de poser un problème comptable encore non-identifié par les têtes pensantes de la haute administration. Au moment du départ du salarié, l’entreprise devra en effet verser cette somme à l’organisme chargé de porter les droits.
Mais nous ne sommes plus à une complication près dans la vie de nos chefs d’entreprise… taxés de tous les maux fiscaux par ailleurs!
Cette mesure permettra-t-elle d’éradiquer le chômage de masse? Non, bien entendu, pas plus que les autres mesures du projet de loi, qui évitent soigneusement de repenser l’architecture de notre système de formation professionnelle. Non que cette mesure soit mauvaise en elle-même, mais elle n’est pas à la hauteur de l’enjeu systémique qui se pose au pays, avec ses plus de 3 millions de chômeurs dont on voit mal quel métier ils pourront exercer demain.
Le traitement des détails techniques pour oublier l’essentiel?
Assez triomphalement, Muriel Pénicaud annonce qu’à l’avenir les contributions diverses et variées au financement de la formation professionnelle seront collectées par les URSSAF. L’idée mérite d’être débattue et là encore, n’est pas toxique en elle-même. Simplement, on peine à mesurer quel impact concret elle peut avoir sur le salarié dont l’emploi est menacé et qui aurait tout intérêt à suivre une formation pour éviter un chômage prolongé.
On retrouve ici le biais technocratique avec lequel la question de la formation professionnelle est traditionnellement traitée. Les hiérarques s’interrogent sur l’amélioration de la tuyauterie incompréhensible qui s’est mise en place au fil des années pour dissimuler les médailles en chocolat, les prébendes et les financements discrets des organisations syndicales. Ce serait d’ailleurs intéressant de faire la liste des voyages outre-mer payés aux syndicalistes qui président les organismes paritaires collecteurs sur les deux ou trois dernières années. On découvrirait à quel point l’île de la Réunion, la Guadeloupe ou la Martinique et leurs chômeurs en mal de formation passionnent des titulaires de mandat par ailleurs beaucoup moins curieux de ce qui se passe à Roubaix, à Sedan ou à Dijon.
Ce marché hyper-réglementé de la formation professionnelle a en réalité un besoin majeur: celui du big bang que Muriel Pénicaud avait annoncé, mais qu’elle a renoncé à produire. Il faut laisser les salariés choisir librement les formations nécessaires à leur reconversion économique et arrêter de vouloir guider leurs choix. Dans tous les cas, l’action « rationnelle » aboutit à des échecs qui favorisent le chômage.