Cet article provient du site du syndicat FO.
Quel pourrait être l’impact des mesures fiscales et budgétaires prévues par l’État d’ici 2022 d’une part sur l’économie –notamment le taux de croissance- mais aussi au plan des effets redistributifs ? Dans une étude publiée en ce mois de juillet, l’OFCE a cherché à évaluer les conséquences pour les ménages, les entreprises et les comptes publics de différentes mesures (réforme de l’ISF, du CICE, baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, hausse du taux de CSG, réforme de la fiscalité du diesel, suppression de la taxe d’habitation…) annoncées ou envisagées par l’exécutif. Verdict des quatre économistes auteurs de l’étude ? Ces mesures fiscales impacteront le PIB et la croissance. Elles profiteront aux entreprises et aux ménages très aisés mais pas aux ménages modestes. Sur fond d’un nouveau recul massif des dépenses publiques, ces mesures participeront à accroître les inégalités assure l’OFCE.
Dans une étude publiée à la mi-juillet (le 12 juillet juste après le discours de politique générale du Premier ministre M. Édouard Philippe) quatre économistes de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) ont voulu évaluer l’impact de mesures fiscales et budgétaires programmées par l’exécutif.
Etablissant un scénario macro-économique, ils ont cherché à savoir quels effets auraient les mesures annoncées sur l’économie, notamment sur la croissance, mais aussi au plan de leurs capacités redistributives.
Pour cette étude, les auteurs se sont penchés notamment sur l’impact d’un nouveau recul de la dépense publique. L’exécutif a en effet prévu un plan d’économies de 60 milliards sur cinq ans. Ces économies seraient moindre pour atteindre plutôt à 50 milliards note l’OFCE. Elles pourraient aussi être « tempérées » par la dépense correspondant à un plan d’investissement de dix milliards d’euros en moyenne annuelle sur l’ensemble du quinquennat. Mais relèvent-ils alors que « les dépenses publiques se réduiraient de 2,3 points de PIB sur la période 2017-2022 », le plan d’investissement « reste incertain dans son calendrier ».
Les auteurs ont étudié aussi l’impact de mesures fiscales s’adressant aux ménages et aux entreprises. Parmi ces mesures, la réforme de l’ISF, du CICE, la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, la hausse du taux de CSG, la réforme de la fiscalité du diesel ou encore suppression de la taxe d’habitation. Pour l’OFCE « les mesures fiscales envisagées auraient des conséquences redistributives marquées principalement par la réforme de la fiscalité du capital ».
CICE : un poids décidément lourd
Cette réforme soulignent les économistes revient sur le choix « d’égaliser la fiscalité du capital à celle du travail ». Plus largement dans ce programme proposé par l’exécutif « le respect des engagements européens, la sortie du bras correctif de la procédure de déficit excessif sont prioritaires ». Le chef de l’État et le gouvernement ont ainsi souligné à maintes reprises –et notamment depuis la publication le 29 juin de l’audit alarmiste de la Cour des comptes- la nécessité de ramener le déficit public (État, collectivités territoriales, sécurité sociale) sous la barre des 3% de PIB (produit intérieur brut). Seuil requis par l’engagement européen.
Le précédent gouvernement tablait sur un déficit public à 2,8% du PIB en 2017. La Cour des comptes a assuré qu’en l’absence de mesures drastiques, il s’élèverait en réalité à 3,2%. Le gouvernement de M. Édouard Philippe a annoncé des mesures d’économies, notamment à l’État, pour ce deuxième semestre 2017. Mesures censées permettre de ramener ce déficit public à 3% en fin d’année. Il s’agira de poursuivre les efforts, dès 2018, pour accentuer encore le recul du déficit public.
Selon le scénario macro-économique et les mesures prises en compte par l’OFCE, ce déficit public « passerait de 3% du PIB en 2017 à 1,4% en 2022, avec une année 2019 où le déficit franchirait la barre des 3% pour une année, atteignant 3,5% du PIB en raison de la transformation du CICE en baisse de cotisations »… La réforme du CICE (le crédit d’impôt compétitivité emploi) pèsera en effet sur les comptes publics. Elle « anticiperait la comptabilisation de la créance des entreprises accumulée en 2018 alors même que la baisse des cotisations prendrait forme en 2019, ce qui conduirait à une double année en termes budgétaires, pour un coût exceptionnel d’un point de PIB ».
Les entreprises à la fête
Les auteurs du rapport se penchent aussi sur la mesure, toujours destinée aux entreprises, consistant à poursuivre la politique de baisse (lancée en 2017) appliquée au taux de l’impôt sur les sociétés (IS). Le taux de taxation sur les bénéfices des sociétés serait ainsi ramené à 25% d’ici cinq ans. Au total sur cette période, cette mesure induirait un manque à gagner de près onze milliards pour les caisses de l’État.
Pour les entreprises, cette mesure serait cependant atténuée car la transformation du CICE en baisse de cotisations induirait une augmentation de l’assiette fiscale soumise à l’IS. « Ce retour d’IS augmenterait la fiscalité sur les entreprises de 0,2 point de PIB » indique l’OFCE rappelant qu’en ce qui concerne les mesures fiscales destinées aux entreprises il faut aussi prendre en compte celles décidées lors du précédent quinquennat (telle la montée en charge de 6% à 7% du taux de CICE).
Au total estiment les économistes de l’Observatoire « les mesures fiscales sur les entreprises, hors fiscalité écologique (dont la hausse de la fiscalité sur le diesel, Ndlr) conduiront à une baisse de prélèvement obligatoire (PO) de 0,3 point de PIB en 2018 pour atteindre 0,5 point de PIB en 2022, avec une année exceptionnelle en 2019 où les PO sur les entreprises baisseraient de 1,1 point de PIB » via la transformation du CICE en baisse de cotisations.
L’OFCE, citant un rapport de France Stratégie, rappelle que le CICE représente 22,7 milliards d’euros de créance effective prévue au titre des salaires versés en 2017 soit 1,1 point de PIB. Pour 2018, le CICE représenterait 22,4 milliards. Actuellement souligne encore l’OFCE l’ensemble des dispositifs à destination des entreprises (allègements de cotisations et CICE) « conduit à une baisse du coût du travail équivalente à 37,29 points de cotisations sociales patronales au niveau du Smic ». Ces dispositifs « représentent 51,9 milliards d’euros transférés aux entreprises au titre de l’année 2017 ». Cette somme rondelette représente aussi « 8% des salaires et traitements bruts versés aux salariés du secteur marchand ». Dans les années 1990, les allègements ne représentaient que 2% des salaires. Dans les années 2000, 4% à 5% des salaires…
Décrue du chômage mais risque ensuite de croissance ralentie
Dans le scénario macro-économique établi par l’OFCE sur la base des indicateurs et prévisions économiques et du programme envisagé par l’exécutif, les prélèvements obligatoires (sur les ménages et les entreprises) « baisseraient de seize milliards d’euros » sur cinq ans.
Sur cette période l’économie structurelle sur la dépense publique atteindrait 1,6 point de PIB c’est-à-dire 41 milliards d’euros. La croissance quant à elle devrait atteindre 1,6% en moyenne sur ces cinq années. Toutefois indique l’OFCE si la croissance va connaître une « accélération » entre 2019 et 2020 s’établissant entre 1,5% et 1,8% « en lien avec la montée en charge des mesures fiscales et du plan d’investissement » (cinquante milliards sur 5 ans), en revanche entre 2021 et 2022, cette croissance « ralentirait sous l’effet de l’intensification de la consolidation budgétaire au-delà de 2020 ».
Concrètement la « dynamique » de croissance induirait une « lente décrue du taux de chômage –de 9,2% en 2017 à 7,6% en 2022- cependant l’effort de réduction des dépenses en vue de la résorption du déficit public pèserait sur la croissance. Par ailleurs les mesures fiscales et budgétaires impacteraient le PIB (la richesse produite) en le réduisant de 0,2 point en 2018 et 2019, de 0,1 point en 2020, de 0,3 point en 2021 et de 0,4 point en 2022.
Fiscalité du capital : la réforme profitera aux très riches
Les mesures à destination des ménages et notamment la réforme de la fiscalité appliqué au capital sont au cœur du phénomène d’impact du PIB. Ainsi l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune dont s’acquittent 340 000 ménages) qui a apporté à l’État en 2016 des recettes fiscales à hauteur de 4,8 milliards d’euros serait transformé dès 2018 en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Toujours en matière de taxation du capital, le gouvernement prévoit aussi de sortir la taxation des revenus mobiliers de l’impôt sur le revenu. Serait créé un Prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% sur les revenus mobiliers, cela en remplacement des divers prélèvements actuels auxquels sont assujettis ces revenus (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, prélèvement forfaitaire…).
« De façon assez contradictoire » remarque l’OFCE « cette mesure est annoncée à la fois comme avantageuse pour les ménages et neutre budgétairement ». Calculette en main, l’OFCE estime au contraire que la mesure PFU « devrait réduire la fiscalité de l’ordre de quatre milliards d’euros et cette baisse sera largement concentrée sur les ménages les plus aisés ». Concrètement, par cette mesure les ménages aisés bénéficiant du niveau de vie le plus élevé (280 000 ménages) pourraient profiter d’un gain de 4 500 euros par an…
Pour rendre « neutre » budgétairement cette mesure estime l’OFCE, le taux du PFU aurait dû être porté à 41,5%. Ce n’est pas le cas. Au total analysent encore les économistes, la réforme de la fiscalité du capital (ISF et PFU) induirait 6,5 milliards des recettes fiscales en moins en cinq ans. Le PFU pèserait pour quatre milliards dans ce recul.
Taxe d’habitation : une suppression pas si simple
Autre réforme annoncée par le gouvernement, celle de la taxe d’habitation (18,8 milliards en moyenne de recettes par an en tenant compte des dégrèvements accordés). Initialement selon les annonces de l’exécutif, cette taxe devait être supprimée (sur trois ans) pour 80% des ménages. Dans un second temps, le 17 juillet, le chef de l’État a annoncé la suppression progressive mais totale de la taxe.
Selon le premier scénario étudié par l’OFCE, le coût total de cette mesure d’exonération pour 80% des ménages s’élèverait à dix milliards d’euros sur la période 2018-2020. La mesure de suppression partielle de la taxe pèserait pour 0,44 point sur le PIB. Cette mesure d’exonération qui vise à redistribuer du pouvoir d’achat aux classes moyennes devrait toutefois « avoir des effets différenciés selon les zones géographiques car les montant de la taxe varient selon les collectivités » rappelle l’OFCE. De plus, « les ménages étant inégalement répartis sur le territoire selon leur niveau de vie, la part de la population éligible à cette nouvelle exonération varie sensiblement selon les zones ».
« Enfin » explique encore l’Observatoire, « les municipalités seront compensées par l’État de cette perte de recette fiscale (un tiers des recettes aujourd’hui) via le budget national, ce qui entraînerait des transferts implicites importants entre les résidents des communes ». Le 17 juillet, le chef de l’État a annoncé qu’une compensation de la perte pour le bloc communal des recettes de la taxe pourrait se faire via une part de CSG ou CRDS.
CSG : la hausse du taux aura un coût
En 2018, le taux de CSG (contribution sociale généralisée) sera revu à la hausse. De 1,7 point. Cette augmentation se réalisera via la suppression des cotisations sociales maladies et chômage pour les salariés du secteur privé, ce qui devrait permettre de dégager du pouvoir d’achat assure le gouvernement. La hausse de la CSG concernera aussi les retraités (les 60% de retraités non exonérés actuellement de la CSG) et les fonctionnaires.
Pour l’OFCE sauf à déclarer que « les fonctionnaires et les indépendants ne seraient compensés que de la hausse de 1,7% de la CSG », il est « incohérent » de soutenir que la réforme devrait être neutre pour les finances publiques. Si les fonctionnaires et les indépendants bénéficient d’un gain de pouvoir d’achat équivalent à celui des salariés du secteur privé, le mécanisme de substitution de ces deux cotisations par l’impôt CSG aurait « un coût budgétaire de l’ordre de 4,2 milliards d’euros ».
Au risque de renforcer les inégalités
Selon l’OFCE, quinze millions de ménages dont la personne de référence est un actif bénéficieraient d’un gain de 274 euros par an. Par la hausse de la CSG encore, les retraités eux seront à la peine : onze millions de ménages subiront une perte de pouvoir d’achat de l’ordre de 375 euros par an. Plus largement, l’étude de l’impact de la hausse de la CSG en termes de gains de pouvoir d’achat selon les différents niveaux de revenus montre que les « gains moyens sont relativement faibles ». Enfin « si l’augmentation de la CSG pesant sur le capital impacte fortement le dernier décile de niveau de vie (les ménages les plus aisés, Ndlr), cet impact doit être relativisé compte tenu de l’impact très positif pour ces ménages de l’instauration du PFU ».
Les ménages aisés seraient donc les grands gagnants des mesures fiscales envisagées par l’exécutif dès l’an prochain. L’OFCE estime ainsi que les 10% de ménages les plus riches vont concentrer 46% des gains des mesures fiscales à destination des ménages. Ces ménages richissimes tireront grand profit de la réforme de la taxation du capital insiste l’OFCE notant qu’un financement de ces mesures au travers de la dépense publique « accentuerait de façon significative la hausse des inégalités engendrée par la mise en place de ces mesures ».
Parmi les mesures fiscales d’ores et déjà prévues par l’exécutif on compte aussi la hausse prévue de la fiscalité sur le diesel et la hausse du prix du tabac…. Deux mesures qui s’adressent à tous les citoyens mais qui impactent particulièrement les ménages modestes.
Le danger d’un recul de l’État
« La réduction de la dépense publique pèsera sur le revenu des ménages » souligne l’OFCE rappelant qu’en 2016, 58% des dépenses des administrations publiques correspondaient à des prestations et autres transferts. Le revenu disponible brut des ménages était complété par 344 milliards d’euros en transferts en nature des administrations, notamment dans la santé et l’éducation. Une réduction de ces dépenses publiques pourraient donc impacter fortement les revenus des ménages, notamment modestes.
Quant à l’impact sur le niveau de vie de ces ménages, tout dépendra de l’ajustement analysent les économistes. Depuis 2010 expliquent-ils l’impact du ralentissement des transferts sociaux en nature est en quelque sorte atténué par une maîtrise des prix (par exemple dans le secteur de la Santé) nés notamment de gains de productivité. Pour l’OFCE, cette « stratégie » ne pourra pas forcément perdurer car elle produit déjà ses effets négatifs : les administrations publiques et leurs agents peinent de plus en plus à assurer « le même volume d’activité mais avec moins de moyens financiers ».
Si cette stratégie de maîtrise des prix s’avérait insuffisante pour « atteindre les objectifs d’économies budgétaires, il serait nécessaire de revoir le champ d’intervention des administrations publiques » indique l’OFCE. Concrètement, il serait nécessaire de réduire la voilure de l’État. En transférant certaines missions au secteur privé ?