UFC-Que Choisir? fait le buzz avec un dossier approximatif sur l’évolution des tarifs des complémentaires santé depuis 2006. Ces tarifs auraient augmenté de 47% en 11 ans. Une simple lecture raisonnée du dossier montre que les chiffres énoncés servent plus de prétexte à plaider pour une étatisation du secteur qu’à informer le consommateur.
On connaît la rengaine, servie en son temps par Marine Le Pen dans le débat pour la présidentielle: les complémentaires santé ont un train de vie fastueux, avec des frais de gestion importants financés par les assurés. UFC-Que Choisir? tente de façon douteuse d’étayer ce préjugé en livrant une série de chiffres manifestement mal maîtrisés. Et cette expression est indulgente vis-à-vis de ce qui ressemble à une opération de désinformation en bonne et due forme.
Le mythe du tarif moyen de la complémentaire santé
Méthodologiquement, d’abord, le dossier en lui-même pose un problème puisqu’il calcule l’évolution du prix moyen d’une complémentaire santé. Celui-ci serait passé de 468 euros en 2006 à 688 euros en 2017, soit 47% d’augmentation, rapportés à l’inflation moyenne bien inférieure sur la même période. On s’étonnera de cet étrange présupposé.
En effet, entre 2006 et 2017, plusieurs centaines d’organismes complémentaires santé ont disparu. Pour calculer un prix moyen de contrat, Que Choisir? a-t-elle récupéré tous les contrats commercialisés à l’époque par ces défuntes mutuelles? Ou bien le prix moyen est-il le fruit d’une sélection forcément arbitraire entre certains contrats?
On voit tout de suite le biais de la méthode. Il n’existe en réalité pas plus de prix moyen d’une complémentaire santé qu’il n’existe de prix moyen d’une automobile, d’un rasoir électrique ou d’un ordinateur. Il existe une fourchette de prix indicative (une voiture coûte entre 5.000 et 100.000 euros), mais il est absurde de calculer le prix moyen d’une automobile en faisant la somme de tous les prix de tous les modèles vendus sur le marché, divisée par le nombre de modèles (sans tenir compte du volume des ventes de chaque modèle), sauf à vouloir accorder le même poids, sur le marché, aux Logan ou aux Clio vendues à plusieurs millions d’exemplaires qu’aux Ferrari et aux Maserati vendues à une élite groupusculaire.
Il en va de même pour la complémentaire santé. La notion de tarif moyen reflétant les milliers de contrats différents proposés en France n’a aucun sens.
Un pourcentage bidon livré en pâture aux consommateurs
Cette réserve méthodologique étant faite, c’est le résultat même des calculs publiés par Que Choisir, qui relève d’une inquiétante et peu sérieuse approximation dont les motivations finales posent question.
Reprenons le propos de l’association. L’augmentation de 47 points en 11 ans, s’expliquerait pour 14 points par une hausse de la fiscalité, et pour 33 points par une hausse des frais de gestion.
On ne contestera même pas ici le poids de la fiscalité et on reprendra ces chiffres bruts de décoffrage. Il n’est pas inutile qu’une association rappelle que la santé des Français est effectivement taxée, et que ces taxes ont fortement augmenté depuis plus de 10 ans. On relèvera, avec Que Choisir? que, hors fiscalité, la hausse prétendue des tarifs serait “seulement” de 33%. Cela semble peut-être beaucoup. Il n’en reste pas moins que cela fait déjà beaucoup moins que 47%…
L’impasse complète sur la hausse des remboursements de la sécurité sociale
Les rédacteurs de Que Choisir ont cru utile de rapporter ces 34% de hausse à l’inflation durant la même période. Or, il suffit de lire un contrat de complémentaire santé pour savoir que celui-ci n’est pas indexé sur l’inflation, mais bien sur les remboursements de la sécurité sociale. Disons même que les complémentaires santé remboursent (et c’est leur définition même) en complément des actes de la sécurité sociale. Il suffit donc que les dépenses maladie de la sécurité sociale augmentent, pour que les remboursements des complémentaires santé (et donc leurs tarifs) augmentent conséquemment.
Si on reprend précisément les chiffres des dépenses de l’assurance maladie durant la même période, que trouve-t-on?
En 2006, en se concentrant sur le seul objectif national de dépenses de l’assurance-maladie (ONDAM), les dépenses s’élevaient à 140 milliards. En 2017, les dépenses des régimes obligatoires de sécurité sociale étaient fixées à près de 187 milliards d’euros. Autrement dit, en 11 ans, l’objectif de dépenses a varié de… 33%, soit à peu près autant que les cotisations des complémentaires santé.
Si l’on examine les recettes des régimes obligatoires d’assurance maladie sur la même période (c’est-à-dire l’équivalent des “cotisations” pour les organismes complémentaires), les résultats sont encore plus accablants. En 2006, les reccettes des régimes obligatoires étaient fixées à 146 milliards d’euros. En 2017, elles sont passées à 207 milliards. La hausse des recettes de ces régimes est donc de 46%… soit l’équivalent de la hausse prétendue des complémentaires santé fiscalité comprise.
En réalité, les cotisations des complémentaires santé ont augmenté beaucoup moins vite que les recettes de l’assurance maladie
On le voit, le dossier de Que Choisir? comporte d’importantes lacunes qui plombent fortement sa crédibilité. Certes, les tarifs des complémentaires santé ont augmenté, mais l’explication de ce phénomène regrettable ne se trouve pas dans une “explosion” de dépenses somptuaires. Il s’explique très simplement par la hausse gloable des dépenses de santé en France, à laquelle les complémentaires santé participent comme c’est leur mission. Manifestement, cette corrélation pourtant évidente et fondamentale n’a pas effleuré les auteurs du très contestable rapport de Que Choisir?
Si l’association avait voulu informer le consommateur, elle aurait même précisé que les complémentaires santé ont augmenté leurs prix beaucoup moins vite que la sécurité sociale. On verra là l’un des bienfaits de la concurrence. La sécurité sociale est monopolistique et peut se permettre d’accroître fortement ses tarifs (notamment à travers une augmentation massive de la CSG dont nos retraités ont senti l’effet cette année) sans que personne ne puisse choisir un autre opérateur.
Parce qu’ils sont en concurrence, les opérateurs complémentaires sont obligés de maîtriser leurs tarifs en plus forte proportion que l’opérateur monopolistique. Au demeurant, cette information est parfaitement connue, puisque le ministère de la santé a publié un rapport détaillé sur la question à la fin du mois de mai. Les marges des assureurs complémentaires et les frais de gestion y sont parfaitement exposés.
On regrettera que, sur un sujet rendu public et exposé au Parlement par les pouvoirs publics, des publications anxiogènes contribuent à désinformer les assurés sociaux.