L’avocat général Juliane Kokott a soumis le 1er mars 2017, ses conclusions dans l’affaire C-605/15 concernant l’exonération de TVA pour des activités d’intérêt général. Il est demandé à la CJUE de statuer sur l’interprétation à donner à l’article 132, paragraphe 1, f) de la directive TVA.
L’article 132 de la directive TVA prévoit en effet des exonérations de TVA en faveur de certaines activités d’intérêt général. L’affaire soumise à la CJUE porte spécifiquement sur l’application de ces dispositions aux prestations de services d’assurance.
Le groupe Aviva au cœur de l’affaire soumise à l’avocat général
Les conclusions de l’avocat général interviennent dans le cadre d’une affaire opposant le groupe Aviva, société d’assurance, à l’autorité fiscale polonaise.
Aviva envisage de créer une série de centres de services partagés dans des Etats membres de l’UE et d’exercer cette activité sous la forme d’un groupement européen d’intérêt économique (GEIE). Les membres de ce GEIE seront exclusivement des sociétés du groupe qui exercent une activité économique dans le domaine des assurances, parmi lesquelles, entre autres, la société Aviva Pologne.
Ces centres de services partagés fourniront les prestations de services directement nécessaires à l’exercice des activités d’assurance des membres du GEIE notamment des services en ressources humaines, des services financiers et comptables, informatiques ou encore administratifs.
Le droit polonais a transposé, mot pour mot, l’article 132, par. 1, f) de la directive TVA qui prévoit que les Etats membres de l’UE exonèrent de la TVA « les prestations de services effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité, lorsque ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence ».
Voulant se prévaloir de ces dispositions, Aviva a demandé à l’autorité fiscale polonaise de procéder à une interprétation écrite sur le point de savoir si cette activité de GEIE sera exonérée de la TVA.
Dans sa décision d’interprétation du 14 mars 2013, l’autorité fiscale polonaise a déclaré erroné ce point de vue. Elle a considéré que la condition de l’absence d’atteinte aux conditions de concurrence ne serait pas remplie par le GEIE.
Selon l’autorité fiscale polonaise, si le GEIE appliquait une exonération, il se procurerait une position privilégiée sur le marché. Cela créerait un risque réel de provoquer des distorsions de concurrence.
L’affaire est arrivée devant la Cour suprême administrative polonaise qui a décidé de surseoir afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la CJUE.
La finalité de l’exonération : compenser le désavantage concurrentiel des petites sociétés face aux grands groupes
La Cour suprême administrative polonaise souhaite savoir de quelle manière il convient d’interpréter le critère d’absence de « distorsions de concurrence » et celui de « groupement » lorsque celui-ci fournit des prestations de services transfrontalières à ses membres.
Selon l’avocat général, cette question suppose de déterminer si un groupement de sociétés d’assurance telle qu’Aviva relève du champ d’application de la disposition d’exonération de TVA figurant à l’article 132, par.1, f) de la directive TVA.
L’avocat général considère que la réponse à cette question se déduit du sens et de la finalité de l’exonération. Selon la jurisprudence de la CJUE, l’exonération prévue par la directive TVA a pour finalité d’éviter à celui, qui, faute d’avoir une entreprise de taille suffisante, doit acheter des prestations de services, un désavantage concurrentiel par rapport à celui qui peut faire effectuer les prestations de services par ses propres employés ou dans le cadre d’un « groupe TVA ».
Ainsi, l’exonération sert à compenser le désavantage concurrentiel.
L’avocat général considère également qu’une exonération en amont de la prestation fournie par le GEIE ne s’impose pas et n’est pas pertinente puisqu’en aval, les prestations de services d’assurance sont exonérées de la TVA car ces opérations sont déjà grevées d’une taxe sur les assurances qui pèse également sur les consommateurs.
L’intérêt général, condition sine qua none pour bénéficier de l’exonération TVA
L’avocat général souligne que les exonérations de TVA prévues par l’article 132 de la directive TVA dont Aviva veut se prévaloir concernent spécifiquement certaines activités d’intérêt général notamment des prestations qui profitent à des personnes nécessiteuses (telle que l’aide sociale).
Il rappelle également qu’un élargissement du champ d’application de cet article au secteur des banques et des assurances n’était pas souhaité par le Conseil.
Selon l’avocat général, la différence de traitement des groupements dans ou hors du champ d’application de l’article 132 de la directive TVA se base sur leur activité d’intérêt général. Il considère que ce critère de distinction n’est pas critiquable et que le principe de neutralité en matière de TVA ne fait pas obstacle au refus d’exonérer des groupements de compagnies d’assurance.
L’avocat général déduit de ce raisonnement que l’article 132, par. 1, f) de la directive TVA doit être strictement interprété et qu’il ne s’applique pas à un groupement d’entreprises d’assurance tel qu’Aviva.
On retrouvera, ci-dessous, l’intégralité des conclusions de l’avocat général