A peine élu président de la République, Emmanuel Macron doit faire face à un mouvement spontané de contestation sociale, dit “front social”. Si les hiérarques syndicaux tentent de canaliser la mobilisation afin d’en tirer profit, il n’en demeure pas moins que leur situation pourrait rapidement devenir inconfortable.
“Front social” contre M. Macron
Dès le soir de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, quelques rassemblements, d’ampleur limitée, ont spontanément eu lieu dans plusieurs grandes villes françaises, comme Paris, Nantes, Grenoble ou Strasbourg, afin de dénoncer son programme social et économique.
Le lendemain, de nouveaux rassemblements ont eu lieu, à Paris, Nantes, Lyon ou Caen. A la différence de ceux qui s’étaient tenus la veille, ils ont été organisés, en l’occurrence par certains syndicats, certaines fédérations syndicales et certaines unions territoriales affilités à la CGT et à Sud (pour une liste, non exhaustive, voir ici). Plusieurs organisations politiques liées à la gauche radicale étaient également impliquées. En outre, les rassemblements du 8 mai ont réuni bien plus de manifestants que ceux du 7 mai : entre 1500 et 10000 à Paris, selon les sources. Ces manifestants ont proclamé former un “front social” contre les futures orientations politiques probables de l’exécutif.
Présents sur les réseaux sociaux, comme ici sur Facebook, ils commencent à y évoquer de nouvelles dates de mobilisations. Ainsi, à Marseille, ceux qui le souhaitent sont conviés à se réunir le lundi 15 mai afin d’organiser un “front social” local.
Une contestation chronique
Bien qu’il ne faille pas surestimer la portée de ces expressions de mécontentements, il ne faut pas non plus verser dans l’excès inverse. Après le long mouvement social contre la loi Travail – qui a largement contribué à vider cette loi d’une part essentielle de sa substance – après le mouvement “Nuit Debout” et après les près de 20 % obtenus par Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, les manifestations qui ont fait suite à l’élection de M. Macron indiquent que les militants syndicaux et politiques les plus mobilisés n’attendent qu’une occasion pour en remettre une bonne couche. Or, ce sont généralement eux qui permettent aux cortèges d’exister et de prendre forme.
Fanfaronnades confédérales
Bien décidés à ne pas se laisser déborder par la base, les hiérarques des trois principales confédérations syndicales françaises semblent avoir adopté stratégie commune : ils font mine de maîtriser la situation, sous-entendant par conséquent que la mobilisation naissante est inutile. Ainsi, lorsque Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, a demandé aux responsables de son organisation de ne pas partir trop loin en vacances cet été, on a pu découvrir en lui un général d’armée serein et prêt à parer à toute éventualité.
Contraint de faire mieux que M. Mailly, Philippe Martinez a tapé fort. Le secrétaire général de la CGT, s’est d’abord fait le porte-parole des manifestants des 7 et 8 mai : “Descendre dans la rue ? On y est déjà”, a-t-il en effet affirmé au Point. Bandant les muscles, M. Martinez a promis à M. Macron une belle rentrée de septembre : “On sait rapidement se mobiliser, on sera là pour la rentrée sociale”. Tout à fait sûr de ses propres forces, il s’est même permis d’appeler tout le monde à rentrer sagement à la maison : “Je n’ai pas demandé, comme Jean-Claude Mailly, aux cadres de la CGT de prendre des vacances remboursables, chez nous, les congés payés sont sacrés”. En somme : pour M. Martinez, inutile de mener le combat, il est gagné d’avance !
Pouvant difficilement être suspecté de souhaiter se positionner sur le terrain de la radicalité syndicale, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, s’est néanmoins lui aussi, à sa manière, mis en scène comme un meneur d’hommes sur lequel le petit peuple turbulent peut compter et avec lequel le nouveau président de la République va nécessairement devoir compter. Dans une lettre ouverte à M. Macron publiée par le Monde, M. Berger n’hésite pas à se faire menaçant, le prévenant qu’il ne bénéficiera “d’aucun état de grâce”. Face à une messe si brillamment dite, Emmanuel Macron n’a qu’à bien se tenir. Le “front social” peut regagner ses pénates.
La ficelle est grosse ? Ca ne coûte, certes, rien de la tirer.
Vers une addition salée ?
Les dirigeants des trois principales confédérations syndicales françaises auraient d’ailleurs tort de bouder le plaisir immédiat que peuvent procurer ces quelques forfanteries. L’addition de l’élection d’Emmanuel Macron a en effet, pour eux, toutes les chances de s’avérer plutôt salée.
Sauf à ce que le nouveau président de la République se discrédite tout seul en l’espace de quelques semaines seulement, en renonçant à l’une des promesses-phares de son programme : la libéralisation rapide du marché du travail, il y a fort à parier que cette réforme va être menée, énergiquement, durant l’été.
Afin de ne pas laisser au “front social” le contrôle des opérations, les apparatchiks confédéraux vont devoir battre, tout aussi énergiquement, le rappel de la mobilisation générale. Il leur faudra alors – et, tout particulièrement, à Philippe Martinez et à Laurent Berger, qui ont oeuvré à l’élection de M. Macron – tenter de rester crédibles lorsqu’ils expliqueront aux salariés français qu’il est désormais temps de lutter contre la politique de M. Macron. Autant dire que leur message risque d’être franchement moins percutant et tout aussi moins audible que celui des responsables du “front social”…
Dès lors, l’heure n’en sera plus aux rodomontades faciles, mais aux gages à donner aux fractions les plus mobilisées du mouvement syndical.