Discrimination au travail et action de groupe : la CFDT sceptique

Cet article a été, initialement, publié sur le site du syndicat CFDT.

 

La loi Justice du XXIe siècle, après avoir été présentée il y a plus d’un an en Conseil des ministres par Christiane TAUBIRA, alors ministre de la Justice, a été définitivement adoptée le 12 octobre 2016. Cette loi contient de nombreuses dispositions, notamment la création d’un cadre général à l’action de groupe, laquelle pourra être utilisée en matière de discrimination dans le monde du travail.  

Dernière minute : les députés du groupe parlementaire Les Républicains de l’Assemblée nationale ont saisi le Conseil constitutionnel sur le texte du projet de loi Justice du XXIe siècle. Ils denoncent un manque de précision des termes employés et l’absence de garantie du principe de sécurité juridique. 

  • Champ d’application de l’action de groupe

La loi Justice du XXIe créé un cadre général à l’action de groupe qui est décliné dans les matières suivantes : discrimination, environnement, santé et protection des données à caractère personnel. 

Plus précisément, en ce qui concerne l’action de groupe en matière de discrimination, la loi distingue deux domaines : 

Les discriminations dans tous domaines, hors relation de travail, comme par exemple les discriminations dans l’accès au logement, dans l’accès à l’éducation ou encore dans l’accès à la santé. Dans ce premier cas, l’action de groupe n’est ouverte qu’aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap. 

– Les discriminations dans les relations relevant du Code du travail. 

  • L’action de groupe en matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail
  • Quand l’action peut-elle être engagée ?

L’action de groupe en matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail est possible lorsque plusieurs salariés ou candidats à l’emploi, placés dans une situation similaire, subissent un dommage causé par un même employeur, ayant pour cause une discrimination. 

  • Quel est l’objet de l’action ?

L’objet de l’action est d’établir l’existence d’une discrimination collective, directe ou indirecte, commise à l’encontre de plusieurs candidats candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou à l’encontre de plusieurs salariés. 

Puis, une fois la responsabilité de l’employeur reconnue, l’action peut tendre à la cessation du manquement, ou, le cas échéant, à la réparation du préjudice. 

  • Qui engage l’action de groupe ?

L’action de groupe peut être engagée par une organisation syndicale représentative. Les salariés ne peuvent donc pas être à l’initiative de l’action de groupe, même si dans les faits, ils peuvent bien entendu alerter les organisations syndicales, lesquelles peuvent alors décider du moyen à utiliser pour combattre la discrimination dévoilée. 

La loi prévoit également que les associations régulièrement déclarées depuis 5 ansintervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap ont la faculté d’engager une action en matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail. Toutefois, cette action ne sera possible qu’en ce qui concerne les défenses des intérêts de plusieurs candidats à un emploi ou à un stage en entreprise. 

  • Existe-t-il un préalable à l’action de groupe ?

La loi impose à l’organisation syndicale représentative ou à l’association, préalablement à l’introduction de l’action devant les juges, de demander à l’employeur de faire cesser la situation de discrimination alléguée. Cette demande peut se faire par tout moyen conférant date certaine à la demande. 

Dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande, l’employeur doit informer le CE, ou à défaut les DP, et les OS représentatives présentes dans l’entreprise, de cette demande. 

Si le CE, à défaut les DP, ou les OS le demandent, une discussion doit s’engager avec l’employeur sur les mesures permettant de faire cesser la situation de discrimination collective alléguée. 

Puis, c’est seulement à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter de la demande tendant à faire cesser la situation de discrimination ou à compter de la notification par l’employeur du rejet de la demande que l’action de groupe peut être engagée. 

  • Quelles sont les conséquences d’une action tendant à la cessation des manquements ?

Si le juge constate l’existence d’une discrimination collective, alors il enjoint à l’employeur de la faire cesser et de prendre, dans un délai qu’il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin (au besoin avec l’aide d’un tiers). 

  • Quelles sont les conséquences d’une action tendant à la réparation du préjudice ?

En préalable, il est important de noter que la loi prévoit que seuls peuvent être réparés les préjudices nés après la réception de la demande de faire cesser le manquement (cf ci-dessus). Cependant, lorsque l’action concerne les discriminations visant les candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation, la réparation de l’entier préjudice sera possible. 

L’action tendant à la réparation des préjudices se déroule en plusieurs temps à compter de la reconnaissance de la responsabilité de l’employeur : 

Tout d’abord, le juge doit définir le groupe de personnes discriminées en fixant les critères de rattachement au groupe. Il doit également définir les préjudices susceptibles d’être réparés. Il fixe enfin le délai dans lequel les personnes répondant aux critères de rattachement peuvent adhérer au groupe pour obtenir la réparation de leur préjudice. Des mesures de publicité doivent être ordonnées afin que les personnes concernées puissent avoir connaissance de la décision de reconnaissance de la discrimination et de la possible indemnisation. 

Ensuite, chaque personne concernée peut décider de rejoindre le groupe. Pour cela, elle doit adresser une demande de réparation soit directement à l’employeur, soit au demandeur à l’action (l’OS ou l’association) qui reçoit alors mandat aux fins d’indemnisation. 

Enfin, si la demande de réparation d’un salarié n’est pas satisfaite, celui-ci a la possibilité de saisir le tribunal de grande instance afin d’obtenir cette réparation. 

  • Quel est le juge compétent ?

La loi ne fait qu’évoquer le juge judicaire, sans plus de précision quant au tribunal compétent pour connaître des actions de groupe en matière de discrimination. 

Cependant, la loi précise que c’est le TGI qui est compétent pour connaître des situations dans lesquelles les demandes d’indemnisation n’auront pas été satisfaites. La loi précise aussi que c’est le juge ayant statué sur la responsabilité qui connaît des situations où la demande d’indemnisation n’est pas satisfaite. C’est donc le même juge qui traite de la responsabilité et de ses conséquences. 

On peut en déduire que c’est le TGI qui sera compétent. 

A noter d’ailleurs que l’action de groupe suspend la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices résultant d’une discrimination. 

Attention, il est important de souligner que le CPH reste compétent pour toute action individuelle engagée par un salarié à l’encontre de son employeur en cas de discrimination. Par ailleurs, le CPH est également compétent pour connaître des demandes d’indemnisation individuelles exclues de l’action de groupe (à savoir l’indemnisation pour le préjudice subi avant l’action de l’OS ou de l’association). 

 

  • Quel regard de la CFDT sur l’action de groupe, version finale ?

Globalement, cette dernière version reprend certains points importants portés par la CFDT lors des différentes auditions et lors des travaux du groupe interpartenaires de lutte contre les discriminations. En effet, la crainte de la CFDT était qu’avec la création d’une action de groupe en matière de discrimination dans le monde du travail, le contentieux ne soit favorisé au détriment du dialogue social dans l’entreprise. La CFDT avait en effet émis le vœu que soit privilégié, lors de la suspicion d’une discrimination collective, le dialogue social dans l’entreprise afin notamment que des solutions soient apportées par l’entreprise, en lien avec les organisations syndicales. 

En imposant un préalable indispensable à l’action via la demande par les OS de faire cesser la discrimination, cela permet d’éviter d’aller directement au contentieux, cela permet aux employeurs qui le souhaitent de corriger en amont plutôt que d’être sanctionné a posteriori. Cela permet surtout d’amorcer du dialogue dans l’entreprise sur ces questions. 

Cependant, la CFDT reste sceptique quant au succès de cette nouvelle action. Plusieurs actions contentieuses existent déjà, mais elles sont très peu utilisées. Pourquoi cette nouvelle action le serait-elle plus ? De plus, le système semble assez compliqué, notamment en ce qui concerne l’articulation avec les procédures pouvant être engagées devant le CPH, imposant en effet de recourir à plusieurs juridictions pour obtenir l’indemnisation de l’intégralité du préjudice.  

Surtout, la CFDT considère que tant que les organisations syndicales n’auront pas accès aux mêmes informations que l’employeur, il sera difficile pour elles de détecter une possible discrimination collective, et par conséquent, difficile d’amorcer dans l’entreprise un dialogue social constructif et efficace sur le sujet.  

 

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