Des débats très ciblés autour du projet de loi santé

L’Assemblée nationale est à nouveau en train de débattre du projet de loi relatif à la modernisation du système de santé. 

Le dernier texte en date est celui de la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale. Les débats entre députés ont commencé le 25 novembre et devraient se terminer le mardi 1er décembre. Les modifications apportées par le Sénat ont, en grande partie, été rectifiées par la commission, et ce, dès l’article 1. Après 3 jours de débat, les députés n’en sont qu’à l’examen de l’article 5 terdecies alors que la loi comporte 59 articles. Voici un récapitulatif de ce qu’il s’est dit au cours de ces séances. 

 

Des désaccords sur la stratégie nationale de santé

Dès l’article 1 relatif à la mise en place d’une stratégie nationale de santé, les députés montrent leur désaccord sur le contenu du texte. M. Lurton déplore que la version simplifiée du Sénat ait été réécrite. Selon lui, l’écueil de l’article est qu’il demande à toutes les parties prenantes d’adhérer au dispositif : cela lui semble difficile au regard de l’opposition des professionnels de santé contre ce projet de loi. 

M. Dumont souligne quant à lui la vacuité du texte qui ne répondrait pas aux besoins locaux des territoires et des populations rurales. 

Après ces considérations, l’examen des amendements débute. 

Mme Khirouni commence par présenter l’amendement n°560 qui prévoit, avant tout projet de loi relatif à la santé, de proposer une consultation préalable de tous les acteurs. L’amendement pose aussi le principe de la création d’une union nationale des associations d’usagers du système de santé. Cet amendement est adopté. 

Plusieurs députés proposent divers amendements qui ne sont pas adoptés : M. Aboud, M. Tian, M. Richard. D’après la commission et le Gouvernement, les amendements proposés sont déjà satisfaits par le contenu de l’article. 

D’autres amendements de Mme Le Callennec sont aussi écartés. Elle proposait notamment de traiter du cannabis dans le projet de loi en plus de l’alcool et du tabac. L’amendement en question n’est pas adopté car M. Sebaoun estime que l’article 1er tend à définir le cadre de la politique de prévention et n’a pas pour finalité de détailler toutes les actions de prévention qui peuvent être menées. 

Plusieurs amendements identiques, présentés par Mme Boyer, Mme Poletti, M. Robiliard et M. Moignard, sont adoptés. Ils visent à remplacer la consultation de l’UNOCAM par la consultation de chacune des trois familles qui la composent. Mutuelles, institutions de prévoyance et compagnies d’assurance seront ainsi consultées séparément. 

La prévention et la promotion de la santé peu débattues

La question de la prévention est importante, surtout en milieu scolaire. Plusieurs députés tentent de proposer des dispositions supplémentaires comme Mme Massonneau qui propose de créer un parcours éducatif de santé, ou M. Richard qui souhaite ajouter, dans les actions de promotion de la santé tout le long de la scolarité, une formation aux gestes de premiers secours. 

Seul un amendement rédactionnel à l’article 2 sera adopté. Tous les autres amendements seront refusés ou retirés par leurs auteurs. 

 

L’œnotourisme : un sujet délicat !

Avant les discussions autour de l’article 4 du projet de loi santé, les députés se succèdent pour défendre le texte qui avait été voté au Sénat et qui permettait de promouvoir l’œnotourisme. Mme Le Dain souhaite redonner “à notre vin ses heures de gloire, en liaison avec notre culture”. 

M. Richard rappelle que l’oenotourisme est visé par l’article 4 ter et que l’article 4, lui, a pour objectif de lutter contre la consommation massive d’alcool. Les députés, en anticipant la question, ont sans doute “vu rouge” d’après M. Benoît

Mme Allain renchérit sur l’article 4 ter en se montrant scandalisée que l’on puisse “associer cette promotion de nos territoires et de leur patrimoine culturel à l’alcoolisme”. Elle termine sa tirade en [blasphémant] : “Bordeaux ! Cognac ! Bergerac ! Monbazillac ! Le département du Calvados ! La région Champagne !”. Ce à quoi répondent M. Fromion, et M. Straumann “Et Sancerre !”, “Et l’Alsace !”. 

Quand finalement vient le moment d’examiner le fameux article 4 ter, les intervenants sont nombreux à rappeler que l’amendement qui a introduit cet article était initialement présent dans la loi Macron mais en avait été retiré. Les débats sont longs et l’on remarque rapidement que la défense du vin et du territoire est chère à beaucoup d’élus, ce que note la ministre Marisol Touraine en déclarant “il est peu de débats qui mobilisent autant sur les bancs de cet hémicycle”. 

Parmi les arguments avancés pour défendre l’article, les dérives de la loi Evin sont dénoncées par Mme Quéré, l’article 4 ter permet de définir clairement, selon elle, ce qui relève de la publicité. 

M. Plisson rappelle aussi que le Président de la République lui-même s’était engagé auprès des viticulteurs “à défendre ce patrimoine national”. Cet engagement fait, d’après lui, que le débat n’a pas lieu d’exister. 

Mme Touraine tente alors de défendre le retrait de cet article 4 ter en rappelant que l’alcool est l’une des deux principales causes de mortalité évitables, d’après l’INCA (institut national du cancer). Selon elle, l’article 4 ter “ne se contente pas de clarifier la loi Évin : il déverrouille, comme dit M. Robinet, la publicité sur internet et à la télévision. Il ouvre donc de nouveaux champs. Il ne respecte pas l’équilibre de la loi Évin originelle mais le modifie profondément”. 

Vient ensuite le vote de l’amendement de suppression, 102 députés se prononcent contre l’adoption de l’amendement et 32 députés se prononcent pour. L’article 4 ter est donc maintenu. 

Voici le texte de l’article 4 ter adopté à l’Assemblée : “Article L. 3323-3-1 du Code de la santé publique : Ne sont pas considérés comme une publicité ou une propagande, au sens du présent chapitre, les contenus, images, représentations, descriptions, commentaires, ou références relatifs à une région de production, à une toponymie, à une référence ou à une indication géographique, à un terroir, à un itinéraire, à une zone de production, au savoir-faire, à l’histoire ou au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d’une identification de la qualité ou de l’origine, ou protégée au titre de l’article L. 665-6 du code rural et de la pêche maritime”. 

 

Les enjeux nutritionnels dans le projet de loi santé

Mme Fraysse commence par présenter l’article 5 comme un texte permettant aux industriels de l’agroalimentaire et à la grande distribution de procéder à un étiquetage nutritionnel. Elle affirme que “l’industrie agroalimentaire et la grande distribution sont fermement opposées à cette mesure et multiplient les actions de lobbying pour la torpiller”. Elle estime que ce type d’étiquetage est indispensable pour l’intérêt général. 

M. Richard, quant à lui, admet l’utilité du dispositif mais demande à ce qu’une expérimentation soit menée afin de mesurer l’impact et les effets de l’étiquetage nutritionnel en termes d’information du consommateur. 

Mme Touraine s’oppose à cette idée d’expérimentation au motif que l’article a pour objectif immédiat d’informer les consommateurs en leur donnant les moyens de “mieux choisir” et de “mieux consommer”, ce qui, in fine, leur permettra de “mieux protéger leur santé”. 

Des discussions s’ensuivent sur les impacts de l’étiquetage qui pourrait notamment avoir pour effet extrême de pousser à ne plus consommer d’aliments dont les pastilles seraient négatives comme du fromage (le maroilles défendu par M. Bricout par exemple). 

Dans la même optique, les discussions passent sur l’article 5 bis A qui concerne l’interdiction des fontaines à boissons sucrées en libre service dans les lieux recevant du public. Mme Touraine soutient un amendement améliorant la rédaction de l’article afin d’harmoniser l’encadrement des différentes offres de boissons à volonté. L’amendement est adopté et l’article également. 

Vient ensuite l’article 5 quinquies A qui crée un délit d’incitation à la maigreur excessive. Mme Lemorton propose d’emblée de supprimer l’article car il ne vise que l’anorexie : elle estime qu’axer le texte uniquement sur l’anorexie serait une erreur. Malgré l’avis défavorable de la commission, l’amendement est adopté et l’article est donc supprimé. 

Enfin, l’article 5 quinquies D est traité. Il prévoit qu’un médecin atteste par un certificat médical que l’indice de masse corporelle (IMC) de la personne considérée est compatible avec l’exercice de l’activité de mannequin. Le seul amendement adopté est soutenu par Mme Touraine, il fait passer l’IMC du rang de critère unique à celui de critère parmi d’autres pour l’autorisation d’exercer le métier de mannequin. Plusieurs députés, dont M. Lurton ou M. Bapt estiment que le maintien de l’IMC parmi les critères “risque d’avoir des conséquences négatives sur l’emploi des salariés français dans le domaine d’activité” du mannequinat. Malgré cela l’article est adopté avec cet unique amendement. 

 

Les débats ardents sur le tabac

L’article 5 quinquies du projet de loi relatif à la modernisation du système de santé vise à interdire les produits du tabac mentholés. Dès les premières prises de paroles, certains députés, comme M. Dumont, en appellent ironiquement à l’interdiction pure et simple du tabac : “si le tabac est dangereux, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement et en venir à sa prohibition”. 

M. Tian rappelle les enjeux économiques et annonce que l’interdiction des cigarettes mentholées mettrait notamment en danger les 250 emplois de la société Mane, leader mondial dans le secteur. 

Les débats portent surtout sur l’interprétation d’une directive européenne qui précise, le rappelle M. Sebaoun, dans un article 7 que les États membres doivent interdire « la mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant » ainsi que « la mise sur le marché de produits du tabac contenant des arômes dans l’un de leurs composants tels que les filtres, le papier, le conditionnement et les capsules, ou tout dispositif technique permettant de modifier l’odeur ou le goût des produits du tabac concernés ». 

L’alinéa 14 du même article prévoit cependant une dérogation : “En ce qui concerne les produits du tabac contenant un arôme caractérisant particulier, dont le volume des ventes à l’échelle de l’Union européenne représente 3 % ou plus dans une catégorie de produits déterminée, les dispositions du présent article s’appliquent à compter du 20 mai 2020”. 

Le texte reporte donc l’interdiction des cigarettes mentholées, qui représentent plus de 3% du marché européen au 20 mai 2020. 

Mais cela n’empêche pas les Etats de se conformer à la directive avant cette date, ce que soulignent M. Sebaoun et Mme Touraine. L’article est donc adopté sans être amendé. 

Les débats se portent ensuite sur l’article 5 sexies qui concerne la cigarette électronique. M. Tian souhaite retirer les dispositions relatives à l’interdiction de la publicité pour la cigarette électronique hors des débits de tabac, ce à quoi M. Sebaoun répond que la publicité est toutefois autorisée à l’intérieur des débits de tabac, ce qui est plus favorable que dans le cas du tabac dont la publicité est interdite quel que soit l’endroit. L’article est adopté sans être amendé. 

L’article 5 septies A qui prévoit que le client doit prouver qu’il est majeur pour acheter du tabac est ensuite adopté, tout comme l’article 5 septies qui interdit toute installation de bureaux de tabac près des établissements scolaires, l’article 5 nonies qui prévoit que “les fabricants, les importateurs et les distributeurs de produits du tabac, ainsi que les entreprises, les organisations professionnelles ou les associations les représentant adressent chaque année au ministre chargé de la santé un rapport détaillant l’ensemble des dépenses liées à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts” est aussi adopté. 

 

Vient alors l’article qui fâche : l’article 5 decies qui impose le paquet de tabac neutre. M. Lazaro s’oppose à la mesure au motif que cela facilitera grandement la contrefaçon et le trafic illégal de tabac. Il fait partie des nombreux députés qui demandent la réalisation d’une étude d’impact avant le vote d’une telle mesure. M. Huet avance également que les débits de tabac sont déjà nombreux à disparaître (1 041 ont fermé depuis le début 2015 selon lui), il estime que le paquet neutre est “inutile pour la santé publique, et dangereux pour la profession des buralistes”. Les députés se succèdent pour prendre la parole, chacun ayant son avis bien tranché sur la question. Le rôle de la prévention est aussi évoqué et M. Lebœuf rappelle que le paquet neutre “n’est pas « la » solution” et que la réflexion doit se poursuivre. 

A l’issue des discussions, 8 amendements de suppression sont présentés sans être adoptés. Aucun autre amendement de modification n’est adopté et l’article sur l’instauration du paquet neutre est adopté. 

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