Cet article a été publié sur le site du syndicat de salariés CFDT
Le 16 avril dernier, le Parlement européen a adopté une directive relative aux « conditions de travail prévisibles et transparentes ». Tout en tenant compte du développement de nouvelles formes de travail, ce nouveau texte vise à offrir une meilleure protection aux travailleurs en leur garantissant non seulement des informations plus précises sur leurs conditions de travail mais aussi de nouveaux droits pour davantage de prévisibilité et de sécurité dans leur travail.
Désormais, même les coursiers de Deliveroo, chauffeurs Uber et autres travailleurs de plateformes bénéficieront des apports de la nouvelle directive. Adoptée par le Parlement européen le 16 avril dernier, la directive relative aux conditions de travail transparentes et prévisibles opère un dépoussiérage et une modernisation d’une première directive dite « déclaration écrite » datant de 1991 (1).
La directive relative aux conditions de travail transparentes et prévisibles concrétise les grands principes consacrés dans le socle européen des droits sociaux soutenu par la CFDT et proclamé à Göteborg le 17 novembre 2017. Il s’agit plus précisément de deux principes : – le principe 5 relatif aux emplois sûrs et adaptables qui garantit aux travailleurs un traitement égal et équitable dans les conditions de travail, l’accès à la protection sociale et l’accès à la formation « indépendamment du type et de la durée de la relation de travail » ;- et le principe 7 portant sur les informations concernant les conditions d’emploi et de protection en cas de licenciement, lequel garantit notamment aux travailleurs le « droit d’être informés par écrit, lors de leur entrée en fonction, des droits et obligations qui résultent de la relation de travail, y compris durant la période d’essai ».
Ce nouveau texte apporte de nombreuses avancées importantes au sein de l’Union. Faisons le point sur les apports de ce texte.
- Un champ d’application de la directive élargi
La présente directive établit des droits minimaux qui s’appliquent à tous les travailleurs dans l’Union « liés par un contrat de travail ou une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives ou de la pratique en vigueur dans chaque État membre, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice ».
Si le premier texte de 1991 ne s’appliquait qu’aux seuls salariés, la nouvelle directive vient désormais étendre son champ d’application personnel au « travailleur », au sens de la définition retenue par la Cour de justice (2). En ce sens, les nouvelles dispositions établissent des droits minimaux applicables « à tous les travailleurs dans l’Union liés par un contrat de travail ou une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives ou de la pratique en vigueur dans chaque État membre, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice »(3).
– Définition du « travailleur » : Pour la Cour, la caractéristique essentielle d’une relation de travail est la circonstance qu’« une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération »(4).
Au-delà des salariés, une telle définition permet ainsi de couvrir d’autres catégories de travailleurs comme les travailleurs domestiques, les travailleurs à la demande, les travailleurs intermittents, les travailleurs effectuant un travail basé sur des «chèques», les travailleurs des plateformes, les stagiaires et les apprentis…
Cependant, la directive n’englobe pas tous les travailleurs puisqu’elle permet aux Etats membres d’exclure :
– les travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail dont la durée est inférieure ou égale à une moyenne de « trois heures par semaine au cours d’une période de référence de quatre semaines consécutives » ;
– en s’appuyant sur des motifs objectifs, les fonctionnaires, les services publics de secours, les forcées armées, la police, les juges, les procureurs, les enquêteurs ou autres services chargés de l’application de la loi,de l’application du chapitre III de la directive portant sur les exigences minimales concernant les conditions de travail (c’est-à-dire la durée maximale de période d’essai, droit à une prévisibilité minimale de travail, droit à la formation gratuite sur le temps de travail…).
La CFDT regrette l’introduction de ces exclusions, d’autant que la proposition initiale de la Commission englobait tous les travailleurs, à l’exception des indépendants.
- Les informations obligatoires de l’employeur envers le travailleur
Parmi les apports de la directive, l’un concerne les nouvelles modalités et le contenu des informations que l’employeur doit remettre au travailleur au début de la relation de travail puisqu’elle modernise l’ancien texte de 1991 en complétant la liste des informations à transmettre.
Sur la forme : la remise de l’information doit se réaliser par écrit, sur papier, à condition que le travailleur puisse avoir accès à ces informations et qu’elles puissent être stockées et imprimées et que l’employeur conserve un justificatif de la transmission et de la réception sous format électronique (5).
Le délai de remise des informations : désormais, le délai pour la transmission des informations au travailleur n’est plus fixé à 2 mois suivant le début de la relation de travail. La nouvelle directive vient réduire ce délai, mais curieusement, elle distingue deux délais selon que les informations à remettre sont essentielles ou non essentielles (6).
1) Pour les informations dites essentielles, la remise de celles-ci doit avoir lieu entre le 1er jour et le 7ème jour de travail. Ces informations portent sur :
– l’identité des parties ;
– le titre, le grade, la qualité ou la catégorie d’emploi ;
– la date de début de la relation ;
– le lieu de travail ;
– s’il s’agit d’un contrat de travail temporaire, la durée prévisible du contrat de travail ;
– la durée et les conditions de la période d’essai
– la rémunération (montant de base initial, éléments constitutifs, périodicité et mode de son versement) ;
– si le rythme de travail est entièrement ou majoritairement prévisible, la durée de la journée ou semaine de travail normale du travailleur et toute modalité concernant les heures supplémentaires et leur rémunération ainsi que, le cas échéant, toute modalité concernant les changements d’équipe;
– si le rythme de travail est entièrement ou majoritairement imprévisible, l’employeur informe le travailleur : i) du principe selon lequel l’horaire de travail est variable, le nombre d’heures rémunérées garanties et la rémunération du travail effectué au-delà de ces heures garanties; ii) des heures et jours de référence durant lesquels le travailleur peut être appelé à travailler; iii) du délai de prévenance minimal auquel le travailleur a droit avant le début d’une tâche et, le cas échéant, le délai d’annulation de cette tâche ;
– les informations sur le ou les systèmes de sécurité sociale percevant des cotisations.
2) Pour les informations non essentielles, celles-ci doivent être transmises dans un délai d’un mois à compter du premier jour de travail. Ces informations concernent :
– le droit à la formation octroyé par l’employeur ;
– la durée du congé payé auquel le travailleur a droit ;
– en cas de cessation de leur relation de travail, la procédure à observer par l’employeur et le travailleur, y compris les conditions de forme et les délais de préavis, ou, si la durée des délais de préavis ne peut être indiquée au moment de la délivrance de l’information, les modalités de détermination de ces délais de préavis ;
– toutes les conventions collectives régissant les conditions de travail du travailleur.
Pour la CFDT, distinguer deux délais selon que l’information est essentielle ou non est critiquable. De plus, il n’est pas sûr que cela simplifie les démarches pour l’employeur…
- Les droits minimaux garantis
Parmi les avancées qui méritent d’être soulignées, le nouveau texte introduit des « exigences minimales », c’est-à-dire des droits minimaux que les Etats membres doivent garantir aux travailleurs. Ainsi, sont garantis au travailleur :
– une période d’essai limitée à 6 mois maximum sauf exception justifiée, ou une durée proportionnée en cas de CDD. Sur ce point, la France devra se mettre en conformité car certaines périodes d’essai peuvent aller au-delà (notamment s’agissant de la période de 4 mois renouvelable pour les cadres);
– le droit d’exercer un emploi auprès d’autres employeurs. L’employeur ne peut fixer une exclusivité d’emploi au travailleur, sauf « motifs objectifs tels que la santé et la sécurité, la protection de la confidentialité des affaires, l’intégrité de la fonction publique ou la prévention de conflits d’intérêts » ;
– le droit à une prévisibilité minimale de travail : si le travailleur a un rythme de travail entièrement ou majoritairement imprévisible, il n’est pas obligé de travailler pour l’employeur sauf si les deux conditions suivantes sont satisfaites : 1) le travail s’effectue durant des heures et des jours de référence prédéterminés ; 2) le travailleur est prévenu par son employeur d’une tâche dans un délai de prévenance raisonnable ;
– le droit à compensation lorsque la tâche est annulée au dernier moment, c’est-à-dire après l’expiration d’un délai raisonnable ;
– le droit de demander une nouvelle forme d’emploi comportant des conditions de travail plus prévisibles et plus sûres lorsque le salarié a 6 mois d’ancienneté et l’obligation de réponse justifiée de l’employeur, dans un délai d’un mois;
– le droit à la formation gratuite sur le temps de travail.
Les Etats membres auront 3 ans pour transposer le texte en droit interne.
La CFDT, se félicite de l’adoption de ces nouvelles dispositions. Le champ d’application relativement large et la reconnaissance de nouveaux droits minimaux permettent une réelle prise en considération des nouvelles formes de travail et de la précarité de certains travailleurs. A l’approche des élections européenne, l’adoption de cette directive marque à nouveau un signe fort pour une Europe plus sociale et porteuse de progrès pour les travailleurs ! (voir notamment l’adoption de la nouvelle directive pour une meilleure conciliation vie professionnelle et vie privée)
(1) Directive 91/533 du 14.10.91 relative à l’obligation de l’employeur d’informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail.
(2) CJCE, 03.07.86, Deborah Lawrie-Blum, aff. 66/85; CJUE, 17.11.16, Ruhrlandklinik, aff. C-216/15.
(3) Art. 1§2 de la Directive.
(4) CJUE 17.11.16, Ruhrlandklinik, aff. C-216/15, point 27.
(5) Art. 3 de la Directive.
(6) Art. 5 de la Directive.