Cet article provient du site du syndicat CFDT.
L’équipe CFDT de Scania se bat depuis plusieurs années pour améliorer les conditions de travail sur la chaîne de production. En 2016, un processus a été négocié avec la direction pour maintenir un maximum de salariés dans l’emploi.
« Je ne me vois pas faire ce travail jusqu’à 62 ans ! » Sur la chaîne de montage des camions Scania, à Angers, cette phrase est dans toutes les têtes des ouvriers en production. Inaugurée en 1992, cette usine d’assemblage du constructeur suédois a, à l’époque, recruté des jeunes de toute la région. Vingt-cinq ans plus tard, beaucoup d’entre eux ont les tempes grisonnantes et une moindre capacité de récupération après leur journée de travail. Au fil des années, les troubles musculo-squelettiques (TMS) se sont multipliés, tout comme les licenciements pour inaptitude, poussant la direction comme les organisations syndicales à réagir. « L’âge moyen dans l’usine est aujourd’hui de 44 ans, explique Cyril Duval, délégué syndical CFDT. Plus de la moitié des salariés ont entre 45 et 55 ans. La question de la prévention est devenue centrale ces dernières années afin d’éviter que les collègues les plus âgés ne soient poussés hors de l’entreprise en raison de leur état de santé. » Les chiffres révèlent l’ampleur de la tâche : en 2016, sur 400 salariés rattachés à la production, 90 sont touchés par des maladies professionnelles des membres supérieurs (poignet, coude, épaule) et le CHSCT dénombre 193 pathologies dorsales. Chaque année, une ou deux personnes sont ainsi licenciées pour inaptitude.
« Nous travaillons sérieusement sur cette question depuis 2006 avec l’arrivée d’un ergonome dans l’entreprise,souligne la directrice des ressources humaines, Karine Desgages. C’est un sujet particulièrement complexe car nous devons à la fois gagner en compétitivité en vue de pérenniser l’activité du site tout en faisant face au vieillissement des salariés. Cette problématique n’est d’ailleurs pas propre à notre usine. Elle se pose dans l’ensemble du groupe Scania en Europe, et nous multiplions les partages d’expériences afin de diffuser les bonnes pratiques. »
Une culture de la prévention
Progressivement, la culture de la prévention s’est donc mise en place. Avec des résultats probants. L’année 2010 marque une étape importante. Un accord entre la direction et les représentants du personnel donne alors naissance à trois CHSCT locaux, un pour chaque pôle de fabrication (production, test et logistique) afin de permettre le suivi le plus fin possible des conditions de travail des salariés. Ces instances se réunissent tous les mois et l’entreprise a prévu une dotation de cinq heures aux salariés qui y siègent. Le secrétaire du CHSCT central dispose également de dix heures supplémentaires par rapport au minimum légal. « Nous avons mis les moyens mais, en contrepartie, nous sommes très exigeants vis-à-vis des salariés qui siègent dans ces nouvelles instances afin qu’ils apportent une réelle plus-value à leurs collègues, précise la DRH. Nous incitons ainsi les managers à solliciter les CHSCT locaux afin de nouer des partenariats et de réfléchir à la meilleure organisation du travail possible. En matière d’ergonomie et de prévention, je pense que nous sommes en train de grandir collectivement. »
Un an plus tard, la création d’un pôle santé au sein de l’usine, avec la présence d’un médecin du travail, a permis de franchir une nouvelle étape. Ce dernier, rattaché à la direction centrale en Suède dans le souci de garantir aux salariés son indépendance vis-à-vis de la direction française, assure un suivi des salariés et sensibilise les cadres intermédiaires à la question de la prévention et des conditions de travail. Chaque mois, il fait un point avec la direction. « Certaines organisations syndicales, notamment la CGT, n’acceptaient pas la création d’un pôle santé parce qu’elles estimaient que les personnels seraient trop proches de la direction. Mais, dans les faits, c’est un vrai plus bénéficiant aux salariés, constate Jimmy Leboucher, élu CFDT au comité d’entreprise. C’est une chance d’avoir un médecin à temps plein qui nous connaît, ainsi que les contraintes de nos métiers. Ses avis sont forcément plus écoutés par la direction. Il suffit d’observer ce qui se passe ailleurs pour se féliciter que ce pôle santé ait pu voir le jour. »
Enfin, en 2016, un processus de maintien dans l’emploi a été mis en œuvre, largement discuté avec les organisations syndicales, même s’il ne s’est pas conclu par un accord à proprement parler. Ce processus s’organise en quatre étapes. D’abord, est prévue une phase de veille. Tout salarié qui s’est arrêté plus de cinq fois dans les douze derniers mois ou qui a été absent plus de trois mois consécutifs fait l’objet d’une attention particulière afin de déterminer s’il existe un risque pour son employabilité. L’objectif est de s’assurer que le retour à son poste se fasse dans les meilleures conditions possibles (entretien de « réaccueil » par la hiérarchie, rencontre avec l’assistante sociale, les ressources humaines ou le médecin, etc.). S’il s’avère que le salarié ne peut plus réintégrer son emploi, s’enclenche alors une deuxième étape dite d’aménagement du poste de travail de manière temporaire ou de recherche de poste compatible avec les restrictions constatées par le médecin du travail. Si aucune solution n’est trouvée, vient la troisième étape : la recherche d’un nouveau métier en interne. La direction s’engage à mobiliser tous les outils à sa disposition, notamment à travers le plan de formation. Un avenant au contrat de travail (temporaire puis définitif) peut ainsi être proposé au salarié. En cas de nouvel échec, une ultime étape consiste à accompagner la personne vers un changement de métier en externe. Cette dernière va d’une recherche de poste au sein du groupe Scania et Volkswagen (propriétaire à 100 % de Scania) au licenciement pour inaptitude. « Ce nouveau processus complète toutes les initiatives qui ont été prises ces dernières années et participe à la baisse des licenciements pour inaptitude que nous constatons ces derniers temps », souligne la CFDT, qui milite aussi en faveur d’une plus grande mixité sur la chaîne de production.
Le rôle des salariés tuteurs
« Le taux d’emploi féminin n’est aujourd’hui que de 15 % alors que la présence des femmes fait incontestablement progresser les conditions de travail, comme elle fait progresser la culture de la prévention », explique Cyril Duval. La section souhaite également une plus grande reconnaissance des salariés tuteurs car c’est à eux qu’il revient d’apprendre aux nouveaux les bons gestes tout en les sensibilisant aux risques des TMS. « Lorsque je reçois un jeune en entretien d’embauche, je l’alerte sur la difficulté physique du métier et sur la nécessité de ménager son corps mais, à vingt ans, c’est un conseil qui n’est pas souvent entendu, complète la DRH. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur l’importance du travail en commun avec les représentants des salariés afin d’obtenir des résultats tangibles. » Un message bien reçu par la CFDT, qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
Volonté de dialogueLes discussions sur les conditions de travail ont longtemps été très conflictuelles entre la direction et les organisations syndicales. Consciente que cette situation de blocage portait préjudice aux salariés, la section CFDT a fait partie des organisations qui ont renoué le dialogue, permettant finalement d’aboutir à de réelles avancées. « Nous avons mis du temps pour parvenir à travailler ensemble sur ce sujet », reconnaît également la direction.
Prise en charge précoceL’un des points essentiels du processus de maintien dans l’emploi négocié en 2016 est l’accent mis sur la détection et la prise en charge précoce des salariés qui connaissent des problèmes de santé. Cela permet de se donner du temps en vue de trouver une solution qui convienne au salarié et ainsi éviter qu’il ne soit progressivement conduit vers la sortie de l’entreprise.
Action sur le long termeLa culture de la prévention a été longue à se diffuser dans l’entreprise. Les élus ont dû faire preuve de persévérance quand il s’est agi de convaincre la direction, mais également leurs collègues, de l’enjeu. Aujourd’hui encore, les opérateurs les plus jeunes n’utilisent pas naturellement tous les outils à leur disposition permettant d’éviter de porter des charges trop lourdes ou de protéger leur dos.
Repères
• Créée en 1992, l’usine Scania d’Angers emploie 630 salariés en CDI et 220 intérimaires. Quotidiennement, 65 camions sont assemblés.
• La ligne de montage fait 500 mètres de long et mobilise quelque 300 salariés, qui changent d’opération toutes les deux heures afin d’éviter les gestes répétitifs.
• Depuis les dernières élections professionnelles, en 2014, la CFDT pèse 16,11 % des voix, derrière Solidaires (24,55 %), la CFE-CGC (23,78 %), FO (21,99 %) et devant la CGT (13,29 %).