Hier, la Cour des Comptes a publié un rapport, support d’une communication à la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale, sur les régimes de couverture complémentaire de frais de santé – rapport intitulé “Les complémentaires santé : un système très protecteur mais peu efficient”.
Formulant de curieuses critiques à l’encontre des complémentaires santé, ainsi que nous l’expliquons par ailleurs dans nos colonnes, ce rapport esquisse trois pistes de réforme pour le financement du système de soins dont les assureurs seraient bien inspirés de s’inquiéter quelque peu.
Le “bouclier sanitaire” à la belge
En premier lieu, la rue Cambon juge opportun de réfléchir à l’instauration d’un système de “bouclier sanitaire” semblable à celui qui existe en Belgique. Dans ce système, un montant maximal annuel de reste à charge est défini par assuré social, en fonction de son niveau de revenu et de son profil sanitaire. Au-delà de ce montant, la prise en charge des dépenses de soins par l’assurance maladie est intégrale. Les types de dépenses entrant dans le périmètre de ce système n’épuisent pas nécessairement l’ensemble des domaines de dépenses de santé : en particulier, les dépenses dentaires, d’optique ou d’audioprothèse sont inégalement concernées par le bouclier sanitaire.
Comme l’indiquent sans détour les rapporteurs de la Cour des Comptes, si un tel dispositif devait guider l’évolution du financement du système de soins en France, le champ d’action des organismes complémentaires d’assurance maladie serait réévalué. “Le rôle des assurances complémentaires serait donc profondément redimensionné par l’introduction d’un bouclier sanitaire”. Plus précisément, ce champ d’action diminuerait : “La taille du marché des assurances santé pourrait se réduire”. Le marché consisterait en effet surtout à couvrir des assurés engendrant des dépenses d’un montant proches du seuil maximal d’enclenchement du bouclier sanitaire ou des dépenses n’entrant pas dans le cadre du bouclier sanitaire. Il évoluerait, autrement dit, d’un marché bien mutualisé vers un marché à la mutualisation nettement plus complexe.
“Un nouveau partage des rôles”
Reconnaissant que la mise en place d’un bouclier sanitaire ne peut avoir lieu dans l’immédiat en France – du fait de la structuration des systèmes d’information – la Cour des Comptes envisage une autre piste d’évolution du financement du système de soins. Elle consisterait en un “nouveau partage des rôles entre les assurances maladie obligatoire et complémentaire”. “À l’assurance maladie obligatoire, outre le champ hospitalier, pourraient être confiés les paniers sans reste à charge, aux assurances complémentaires les paniers libres. Dans un tel scénario, resteraient seuls partagés les soins de ville (honoraires des professionnels de santé, produits de santé)” propose le rapport. Cette solution suppose, en d’autres termes, une montée en puissance de l’assurance maladie dans le financement des soins.
Les rapporteurs n’analysent, certes, pas cette piste de réflexion tout à fait de la même manière, insistant sur le fait qu’au contraire, elle “permet de préserver un rôle important pour les assurances santé privées en les faisant passer d’une fonction de complémentaire santé à celle de supplémentaire santé, centrée sur la prise en charge de champs désormais non remboursés par l’assurance maladie obligatoire (y compris par exemple les dépassements d’honoraires), suivant le modèle qui est le plus répandu en Europe”. Dans les faits, ils doivent toutefois reconnaître que ce scenario suppose un rétrécissement immédiat de 5,6 à 5,8 milliards d’euros du marché des complémentaires santé. Il n’est pas certain que les assureurs apprécieront tous le sens de l’euphémisme de la rue Cambon, qui parle de “nouveau partage des rôles” pour désigner un tel désenflement des portefeuilles.
La “régulation accrue” des complémentaires santé
La piste précédente n’ayant pas la préférence de la Cour des Comptes – notamment parce que la séparation des domaines d’intervention pose problème en matière de régulation des dépenses dans chaque domaine – elle en avance une troisième. Elle consiste en “l’approfondissement de la régulation des complémentaires santé”. Au menu ici ? Maîtrise des coûts de gestion – la proposition n’étonnera guère – mais également “une transparence des offres à améliorer et une concurrence entre organismes à accroître”. On l’a bien compris, c’est d’une nouvelle complexification des conditions d’action sur le marché des complémentaires santé dont il est ici question.
Sous ce vocable d’allure générale, il s’agirait d’appliquer un sérieux tour de vis à l’environnement règlementaire des complémentaires santé. “Le législateur, dans le prolongement du panier 100 % santé et du référencement des contrats ACS, imposerait aux complémentaires santé de proposer des offres au contenu prédéfini” avance le rapport qui se veut toutefois rassurant pour les OCAM : “Chaque organisme resterait toutefois libre de ses prix et pourrait continuer de proposer, à côté de celles-ci, d’autres types d’offres”. On s’interrogera toutefois sur la réalité de la liberté des prix dans une configuration d’offre imposée…
D’ailleurs, à ce sujet, la rue Cambon juge opportun de faire le ménage dans les offres des complémentaires santé : “Le législateur pourrait, à cette occasion, poursuivre le recentrage des prises en charge sur le besoin médical, en se situant dans la suite des efforts déployés dans le cadre des contrats responsables et du 100 % santé, de manière à réduire le champ des prestations couvertes, écartant celles lui paraissant de moindre intérêt, comme il a pu le faire avec l’assurance maladie obligatoire s’agissant de l’homéopathie”. En somme, pour la rue Cambon, la liberté est une bonne chose, à la condition qu’elle soit très étroitement encadrée ! Cette proposition d’une règlementation accrue de l’activité des complémentaires santé paraît avoir la faveur des rapporteurs, qui n’y voient pas d’inconvénient – alors qu’ils en ont décrits dans le cas des deux pistes précédentes.
Un rapport qui peut légitimement inquiéter
Prenant connaissance de ce rapport, les assureurs devraient nourrir quelque inquiétude à son endroit et à celui de ses conséquences potentielles. A première vue, dans un contexte de crise où les autorités, en quête de boucs-émissaires, suspectent les assureurs de vivre un peu trop largement, les préconisations générales de la Cour des Comptes pourraient tout à fait appeler de nouvelles restrictions règlementaires de l’activité des complémentaires santé – activité pourtant déjà particulièrement règlementée – voire de nouvelles ponctions financières.
De manière plus structurelle, il pourrait en outre servir d’appui aux pouvoirs publics, qui n’en demandent d’ailleurs pas tant, pour renforcer leur mainmise sur le financement du système de soins – et, plus généralement du système de protection sociale. A l’heure où l’Etat veut intégrer l’ensemble des dépenses de protection sociale dans les lois de financement de la Sécurité sociale, le propos de la Cour des Comptes n’est pas anodin. S’il est possible que la FFA escompte ici réfréner certaines ardeurs étatiques avec sa proposition d’intégrer une garantie dépendance aux contrats santé responsables, il y a, hélas, tout lieu de questionner les chances de réussite de cette tentative – qui même, pire encore, pourrait favoriser l’extension de l’emprise publique sur le financement de la protection sociale.
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