Comment suivre l’organisation du forfait jours ?

Cette publication est parue initialement sur le site du syndicat de salariés CFDT.

 

Les accords collectifs instituant le recours aux forfaits jours doivent fixer les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés, de l’amplitude de leurs journées et de la charge de travail qui en résulte. Ils assurent le respect des durées de repos et des durées maximales de travail. Mais comment matérialiser ce contrôle ? Dans un récent arrêt, la Cour de cassation a considéré que ce suivi pouvait valablement être effectué via un relevé déclaratif mensuel. Cass.soc. 08.09.16, n° 14-26256. 

  • Faits

Embauché par la société SGD depuis 2010, un directeur du plan stratégique et des analyses est licencié pour motif économique le 30 octobre 2012. Bien que soumis à une convention de forfaits en jours sur l’année, le cadre réclame un rappel d’heures supplémentaires. Selon lui, le dispositif conventionnel mis en place dans l’entreprise et permettant le recours aux forfaits jours, n’est pas de nature à garantir que l’amplitude de travail reste raisonnable et bien répartie dans le temps. Pour résumer, le dispositif n’assure pas la protection de la sécurité et de la santé du salarié. Face au refus de son employeur, il saisit la juridiction prud’homale. 

  • Conventions de forfait jours et droit à la santé et au repos des salarié

Quand elles sont créées en 2000 par la loi Aubry II (1), les conventions de forfaits jours sur l’année constituent alors un mode dérogatoire à l’organisation classique du temps de travail. En effet, ce dispositif, réservé à certaines catégories de salariés qualifiés d’autonomes dans la gestion de leur emploi du temps, permet de décompter le temps de travail non pas en heures, mais en journées ou demi-journées. Leur activité (et leur rémunération) est donc prédéfinie sur l’année. 

Pour être mises en place au sein d’une entreprise, les conventions de forfait jours doivent être prévues par un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche, dont le contenu se limite à fixer (2): – les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait jours, – et la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi et qui ne peut excéder 218 jours par an. Outre cet accord collectif, une convention individuelle de forfait jours doit être établie par écrit et signée par le salarié. 

Les salariés en forfaits jours sont donc exclus des dispositions relatives à la durée légale du travail (35heures), à la législation sur les heures supplémentaires, ainsi qu’aux durées maximales du travail quotidiennes ou hebdomadaires (10h par jour et jusqu’à 48h par semaine)(3). Ils bénéficient en revanche des durées minimales de repos quotidien (11heures par jou(4)) et hebdomadaire (35h par semaine(5)). 

Or, étant placés en dehors de toute limite horaire et de tout contrôle de la durée du travail, les salariés en forfait jours, qui ne sont plus que soumis aux repos minimum obligatoires, peuvent ainsi être amenés à travailler jusqu’à 78 heures par semaine ! 

C’est la raison pour laquelle depuis 2011, la France a été maintes fois épinglée par le droit de l’Union européenne pour qui, ce dispositif peut aboutir à une durée du travail « manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable ». Le droit européen impose aux accords collectifs de garantir les principes généraux de protection de la santé et de la sécurité de ces salariés. 

L’insuffisance des dispositions légales sur ce point, a donc conduit la Cour de cassation à poser une nouvelle exigence (6) : Pour être valable une convention de forfait jours doit être prévue par un accord collectif dont les dispositions sont de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés et notamment les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés, l’amplitude de leurs journées de travail et la charge de travail en résultant. Les stipulations conventionnelles doivent en outre garantir le respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires.  

Entre 2011 et 2015, au visa tant des dispositions constitutionnelles qu’européennes, la Cour de cassation a donc prononcé l’annulation de dispositions de plusieurs accords collectifs non conformes. Ces décisions sont lourdes de conséquences puisque les conventions de forfait jours conclues sur la base de ces accords sont privées d’effet et le salarié (par conséquent soumis au droit commun) est en droit de réclamer le paiement des heures supplémentaires qu’il aurait effectuées au-delà de 35 heures. 

Et c’est précisément ce que fait le salarié en l’espèce. Il considère que les dispositions conventionnelles permettant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours ne comportent pas de mesures propres à garantir que l’amplitude et la charge de travail sont raisonnables. 

  • Un relevé déclaratif mensuel comme dispositif de contrôle et de suivi

Dans cette entreprise, l’accord collectif qui instaure les conventions de forfaits jours fixe les « conditions de contrôle et de suivi de l’organisation du travail, de l’amplitude des journées d’activité et de charge de travail des cadres au forfait jours ». Elles consistent en un relevé déclaratif mensuel co-signé par le salarié et son N+1 et validé par le service RH. A ce relevé est joint un tableau calendaire dans lequel le salarié confirme sa présence par une croix et dont les absences sont matérialisées par les initiales du motif de ces absences. Le relevé comporte également une zone de commentaire spécifique permettant au cadre d’alerter sa hiérarchie en cas de difficulté quant au suivi et contrôle de la charge de travail avec possibilité de demande d’entretien auprès du service RH. 

Pour le salarié licencié, ce dispositif est insuffisant car il ne garantit ni le contrôle du respect des durées maximales de travail, pas plus que celui de la durée minimale de repos. 

La Cour d’appel accueille favorablement la demande du salarié. Elle retient pour cela : – Que le relevé ne porte que sur le nombre de jours travaillés ou non chaque mois mais qu’il n’existe pas de réel dispositif permettant de contrôler effectivement la durée maximale du travail puisque rien dans l’accord n’oblige à déclarer la durée de travail tant quotidienne qu’hebdomadaire, – Que si le contrôle du repos journalier de 11h minimum, s’effectue par l’indication du non-respect de cette durée de temps de repos sur le relevé déclaratif, ce dispositif ne prévoit rien pour le contrôle effectif de l’amplitude de travail, – Que les commentaires susceptibles d’être apposés sur le relevé ne portent pas sur la durée du travail et ne constituent en réalité qu’un dispositif d’alerte. 

La cour d’appel en conclut que le dispositif conventionnel mis en place « n’est pas de nature à garantir à tout le moins que l’amplitude de travail reste raisonnable et assure une bonne répartition dans le temps de travail de l’intéressé et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié ». Elle considère la convention de forfait nulle et de nul effet et condamne l’employeur. 

Suite à un pourvoi en cassation de la société, la question suivante est posée à la Haute juridiction :  

Le dispositif de suivi de la charge de travail consistant en un relevé déclaratif mensuel des temps de présence suffisait-il à assurer le respect des durées maximales raisonnables de travail et des repos minimum ? 

  • Une protection garantie par ce relevé déclaratif mensuel

La Cour de cassation désapprouve les juges du fond et énonce que « répond aux exigences relatives au droit à la santé et au repos, l’avenant du 10 novembre 2008 (accord applicable dans l’entreprise) dont les dispositions assurent la garantie du respect des repos, journalier et hebdomadaire, ainsi que des durées maximales raisonnables de travail en organisant le suivi et le contrôle de la charge de travail selon une périodicité mensuelle par le biais d’un relevé déclaratif signé par le supérieur hiérarchique et validé par le service de ressources humaines, assorti d’un dispositif d’alerte de la hiérarchie en cas de difficulté, avec possibilité de demande d’entretien auprès du service de RH ». 

Il n’y avait pas donc lieu de déclarer nulle la convention de forfait conclue en application des accords collectifs en question. 

  • Une jurisprudence reprise dans la Loi Travail

La loi Travail(8) est venue compléter le contenu des accords en intégrant la jurisprudence de la Cour de cassation. D’une manière générale, l’employeur a l’obligation de s’assurer régulièrement que la charge de travail est raisonnable et permet une bonne répartition du travail dans le temps. A cette fin : 

soit l’accord collectif comporte certaines dispositions relatives aux : – modalités d’évaluation et de suivi régulier de la charge de travail ; – modalités de communication périodique entre l’employeur et le salarié ; – modalité d’exercice du droit à la déconnexion. 

– à défaut, l’employeur doit unilatéralement : – établir un document de contrôle du temps de travail du salarié ; – s’assurer de la compatibilité de la charge de travail avec les temps de repos ; – organiser un entretien par an afin d’évoquer la charge de travail, l’organisation de son travail, et l’articulation entre son activité professionnel et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération ; – définir les modalités d’exercice du droit à la déconnexion, sachant que dans les entreprises d’au moins 50 salariés, ces modalités doivent être conformes à la charte visée par L. 2242-8 du Code du travail. 

Certes, la loi Travail améliore le contrôle de la charge de travail des salariés, mais une réserve doit toutefois être émise. En effet, en donnant la possibilité à l’employeur de pallier unilatéralement aux lacunes des accords collectifs, sans jamais le contraindre à renégocier ceux-ci, la loi n’en donne finalement pas tous les moyens et améliore à peine les exigences jurisprudentielles. L’effectivité de ce nouveau cadre légal en principe plus protecteur, risque au final de s’en trouver compromise. 

 

(1) Loi Aubry II , n° 2000-37 du 19.01.00 relative à la réduction négociée du temps de travail. 

(2) Art. L. 3121-39 du C. trav. 

(3) Art. L.3121-43 et 44 du C. trav. 

(4) Art. L. 3131-1 du C. trav. 

(5) Art. L . 3132-2 du C. trav. 

(6) Cass.soc. 29.06.11, n°09-71107. 

(7) Loi n° 2016-1088 du 08.08.16 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. 

 

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