Cet article provient du site Décider & Entreprendre.
La Cour s’est utilement intéressée à la fraude à la formation professionnelle. Son rapport reste toutefois très “en surface” et ne détermine pas exactement l’ampleur d’un phénomène qui touche un magot de plus de 10 milliards €.
Des irrégularités et des fraudes difficiles à détecter
Dans les faits, les irrégularités sont de nature très diverse et n’ont pas toutes une incidence financière : absence de comptabilité séparée, absence de règlement intérieur, publicité non conforme, etc. D’autres, en revanche, recouvrent des manœuvres frauduleuses, qui peuvent émaner des prestataires de formation, mais également des entreprises, voire des organismes paritaires agréés eux-mêmes.
1 – Les fraudes émanant des prestataires de formation
Les irrégularités et les fraudes les plus fréquentes émanent des prestataires de formation.
Les procédés de fraude employés ne se caractérisent le plus souvent par aucune complexité particulière. Qu’il s’agisse de fausses listes d’émargement, de surfacturation des heures de stages réellement dispensées ou encore de majoration du nombre d’heures effectuées, les montages utilisés apparaissent la plupart du temps très simples. Les montants unitaires en jeu sont généralement faibles, mais, dans certains cas, ils peuvent porter sur un nombre important de stages. Dans la mesure où les contrôles sont la plupart du temps réalisés sur pièces et a posteriori, la mise au jour d’une manipulation s’avère particulièrement difficile, d’autant qu’il s’agit pour l’essentiel de prestations immatérielles.
Les principaux risques de fraude concernent :
– les formations effectuées au bénéfice de salariés de très petites entreprises, qui connaissent mal le marché de la formation ;
– les formations donnant lieu à paiement direct par les organismes de formation par le biais de la subrogation en lieu et place des entreprises qui achètent les formations ;
– les actions dont le contenu peut aisément s’éloigner du champ de la formation professionnelle (actions dans le champ du développement personnel et du bien-être), ces détournements pouvant aller jusqu’à des dérives sectaires.
Les actions de formation ayant pour contenu le développement des capacités comportementales et relationnelles ou se rapportant à des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique présentent un risque élevé à cet égard, comme le notait la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dans son rapport au Premier ministre pour 2006. Ces pratiques sont d’autant plus préoccupantes qu’elles s’adressent en règle générale aux particuliers. Les fraudes observées dans ce domaine peuvent entraîner des conséquences très graves, tant sur le plan financier que familial ou médical.
Par ailleurs, comme le relevait Tracfin dans son rapport d’activité 2011, la formation professionnelle présente un risque en matière de blanchiment de capitaux, notamment en raison du caractère immatériel des prestations et de la diversité des circuits de financement.
À côté des fraudes isolées et de faible ampleur, il existe des mécanismes de fraude de grande envergure et plus complexes, organisés en réseau. Ces montages sophistiqués ont tendance à se développer, et doivent faire l’objet d’une attention particulière en raison de l’importance des sommes en jeu. Certains dossiers se traduisent en outre par des cumuls de fraudes (travail illégal, fraude à la TVA64 et à la législation fiscale en général) ; ils comportent souvent le recours à une sous-traitance et reposent sur une organisation géographique mise en place dans le cadre d’une véritable stratégie de détournement de fonds.
Une fraude de grande ampleur passant par un réseau de prestataires de formation
En 2013, le service régional de contrôle de la Direccte d’Île-deFrance a saisi le pôle financier du parquet de Paris pour l’informer d’une présomption de vaste escroquerie en bande organisée, assortie de faux et usage de faux et de blanchiment de fraude fiscale, qui serait le fait de plus d’une soixantaine de prestataires de formation. Ceux-ci avaient particulièrement ciblé de très petites entreprises, moins armées pour détecter les fraudes, en n’hésitant pas, dans certains cas, à se faire passer pour des OPCA ou à prétendre disposer d’un agrément de l’État. Les procédés utilisés prenaient la forme de formations fictives avec de fausses facturations en très grand nombre, de fausses conventions et de faux émargements de listes de stagiaires. L’escroquerie a été évaluée par le service régional de contrôle à plusieurs dizaines de millions d’euros pour des faits intervenus entre 2007 et 2012.
2 – Les fraudes impliquant les entreprises
Le contrôle des actions de formation peut se heurter au fait que l’entreprise est elle-même à l’origine de la fraude ou qu’elle en est complice, notamment lorsque les formations sont réalisées au sein de l’entreprise, par exemple dans le cadre d’une préparation opérationnelle à l’emploi au bénéfice d’un demandeur d’emploi.
Plusieurs contrôles ont mis en évidence un procédé de détournement, organisé par des employeurs, consistant à recruter des salariés sous contrat de professionnalisation65, sans que leur soit donnée la formation pour laquelle l’entreprise perçoit un financement. Dans ce cas, la fraude est d’autant plus compliquée à démontrer que les salariés concernés sont en situation d’insertion professionnelle dans l’entreprise et ne se sentent pas libres d’exposer les faits lorsqu’ils sont interrogés sur la réalité des formations dont ils auraient dû bénéficier.
Des formations fictives remboursées à une entreprise
Les dirigeants d’une entreprise ont monté avec un prestataire de formation des dossiers de prise en charge pour des formations destinées à leurs salariés. Ces formations qui devaient être réalisées au sein de l’entreprise n’ont en réalité jamais eu lieu. Le préjudice subi par les deux organismes paritaires financeurs s’élève à 143 000 euros. Le mécanisme de fraude était, en l’espèce, très simple, mais a nécessité une investigation poussée de la part des services de la Direccte et de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) pour établir la preuve matérielle de la manipulation. Cette affaire a fait l’objet d’une saisine du juge pénal.
3 – Des fraudes internes aux organismes paritaires agréés
Enfin, la fraude peut impliquer des complicités internes : il est ainsi arrivé que des salariés d’organismes paritaires agréés créent eux-mêmes des dossiers fictifs de remboursement. Dans ce cas, les montants détournés peuvent être particulièrement élevés.
Une fraude interne à un organisme agréé
À la suite de contrôles réalisés par sondage, l’expert-comptable d’un organisme paritaire agréé a découvert des anomalies se rapportant à plusieurs dossiers fictifs ayant fait l’objet de virements au profit de comptes appartenant au directeur de cet organisme et d’une société, dont ce dernier était également le gérant. Dans ce montage, le directeur a fait apparaître comme bénéficiaires des formations les salariés de la société dont il était le gérant. Le montant des détournements a été évalué à 575 000 euros. L’affaire a été portée devant le juge pénal par les services de la Direccte et l’organisme paritaire agréé s’est constitué partie civile dans l’action contre son directeur.