Alors que le gouvernement est engagé dans l’élaboration de la réforme des retraites, les signaux se multiplient d’une dégradation du climat social français.
D’un côté, les organisations salariales les plus opposées à la réforme durcissent le ton. De l’autre, les organisations salariales plus modérées que sont la CFE-CGC et la CFDT font elles aussi de plus en plus clairement entendre leur mécontentement à l’égard de la politique sociale de l’exécutif.
La CGT et FO vers une grève interprofessionnelle ?
Réunies lundi en intersyndicale, aux côtés de Solidaires et de la FSU – ainsi que de certaines organisations syndicales lycéennes et étudiantes – la CGT et FO ont réfléchi à la manière d’organiser une riposte à la réforme des retraites. L’intersyndicale a ici jugé nécessaire de “réaliser une unité d’action syndicale la plus large et de construire des propositions alternatives à cette réforme”.
Plus précisément, la CGT, FO, Solidaires et la FSU ont, pour la première fois, évoqué la “perspective” d’un mouvement de grève inteprofessionnel. En effet, ils “proposent de mettre en discussion la perspective d’une action de grève interprofessionnelle pouvant s’appuyer sur les appels lancés”. Ainsi en vient-on à des considérations belliqueuses du côté des organisations salariales traditionnellement turbulentes.
Les transports en mouvement social
Les “appels lancés” à la mobilisation – pouvant servir d’appui à une éventuelle grève interprofessionnelle – dont il est question dans le propos de l’intersyndicale CGT-FO-Solidaires-FSU concernent notamment le secteur des transports.
Rappelons d’abord qu’à la RATP, cinq syndicats – l’Unsa, la CFE-CGC, SUD, FO et Solidaires – ont d’ores et déjà appelé à l’organisation d’une grève illimitée à compter du 5 décembre contre la réforme des retraites. En recevant, lundi soir, l’UNSA RATP et la CFE-CGC RATP, l’exécutif – notamment représenté par Jean-Paul Delevoye – espérait sans doute s’éviter ce nouveau mouvement social dans les transports franciliens. Le pari est, semble-t-il, raté, puisque la réunion n’a pas du tout conduit les responsables syndicaux à revoir leur position.
FO-Transports et Sud-Rail, qui avaient décidé de se saisir de cette échéance du 5 décembre prochain et d’appeler leurs propres troupes à la grève illimitée à compter de cette date, apprendront cette nouvelle non sans intérêt. Leur mobilisation est toujours d’actualité. Par ailleurs, étant donné l’opposition farouche des représentants des personnels navigants aériens à la réforme des retraites et aux évolutions conventionnelles de leur secteur, encore réaffirmée hier, il est tout à fait concevable que cette profession en vienne à se joindre à la mobilisation sociale en cours de structuration dans les transports.
La CFE-CGC hors de la “case réformiste”
Dans cette ambiance pas vraiment sereine, la CFE-CGC, qui prépare son prochain congrès – qui doit se tenir la semaine prochaine à Deauvile – commence à tenir des propos bien plus offensifs qu’à l’accoutumée. S’exprimant lors d’une conférence de presse de présentation des grands enjeux qui sont actuellement ceux de la CFE-CGC, François Hommeril, son président, a en effet tenu à se placer hors de la “case” des organisations salariales “réformistes”. Le “réformisme” signifie que “quoi qu’il arrive, on s’enlève une capacité à critiquer tel ou tel projet de réforme, ce qui ne nous paraît pas aller dans le bon sens” s’est-il justifié. Il a même estimé que “le réformisme est un gros mot”, “une assignation à résidence”. La CFDT, la CFTC et l’Unsa apprécieront sans nul doute ce propos de M. Hommeril !
Quoi qu’il en soit, on notera que la centrale de l’encadrement, traditionnellement peu sujette aux poussées de fièvre contestataires, envoie pourtant au gouvernement un signal clair de défiance. Le camp des potentiels partenaires syndicaux sur lequel l’exécutif peut compter afin de mener à bien ses réformes – et, en particulier, la réforme des retraites – se trouve ainsi amputé d’un membre.
La CFDT en proie au désabus
Or, hélas pour le Président de la République, le membre le plus important de ce camp, la CFDT, semble lui aussi s’interroger sur les perspectives réelles de son credo réformiste. Dans le cadre d’une conférence de presse organisée hier au sujet des effets sur le dialogue social en entreprise de la mise en place des comités économiques et sociaux (CES), introduits par les ordonnances Travail afin de remplacer l’ensemble des instances de représentation du personnel, la première organisation salariale de France a dressé un état des lieux pour le moins sévère.
Elle estime, en l’occurrence, que les CES se sont traduits par “un réel appauvrissement du dialogue social”. “Nombre d’employeurs profitent de la mise en place des CES pour réduire les moyens des représentants du personnel” a dénoncé Philippe Portier, secrétaire confédéral de la CFDT – la diminution du nombre de représentants du personnel qui accompagne l’institution des CES est chiffrée entre 30 et 40 %. De ce fait, toujours selon M. Portier, il apparaît de manière croissante que “les seules remontées de ce qu’il se passe dans les établissements” sont le fait des “chefs d’établissement” – ce qui, bien entendu, n’est pas tout à fait anodin… Enfin, et ceci interpelle quelque peu après l’incendie de l’usine Lubrisol de Rouen, la CFDT estime que la mise en place des CES a pour conséquence une “minimisation de la dimension santé et sécurité” du dialogue social en entreprise.
En somme : après avoir accompagné le gouvernement dans le cadre de la réforme du Code du Travail, la CFDT fait part de son désabus quant à l’application de cette réforme. En plein débat sur les retraites, le gouvernement devrait prendre très au sérieux ces inquiétudes cédétistes.