Cet article est également publié sur le site du Figaro.fr
Il y a quelques jours, le Premier Ministre Manuel Valls expliquait à des lycéens qu’ils devaient s’habituer au terrorisme comme à une donnée immédiate de leur existence. Au vu des chiffres qui ont été, comme chaque mois, publiés, il aurait pu ajouter que notre jeunesse doit aussi s’habituer à un autre compagnon de triste augure: le chômage de masse.
Comme à l’accoutumée, a-t-on envie d’ajouter, Pôle Emploi et la DARES ont annoncé des chiffres cataclysmiques pour l’emploi. Ce mois-ci, le chômage indemnisé a encore augmenté de 8.000 unités. C’est à la fois beaucoup et peu de choses par rapport à la forêt que cet arbre cache. La France compte désormais près de 5,9 millions de demandeurs d’emploi, dont près de 3,5 millions sont indemnisés (pour la seule métropole). Autrement, près d’un Français sur dix se déclare demandeur d’emploi, et un Français sur dix-neuf est indemnisé.
Bien entendu, il n’y a pas mort d’homme, mais un parallèle mérite d’être dressé entre le traumatisme du terrorisme, qui tue les libertés publiques et contre lequel la France semble impuissante, et le traumatisme du chômage, qui tue à sa manière les libertés individuelles et contre lequel la France est tout aussi impuissante. Il faut quand même finir par se demander dans quelle mesure l’un n’est pas le terreau de l’autre, et dans quelle mesure l’impuissance publique face à l’un ne nourrit pas la même impuissance publique face à l’autre.
Redisons-le, au-delà du chiffre générique sur le solde net du chômage, la réalité du chômage est pire que les Français ne peuvent l’imaginer.
La physionomie globale du chômage est en soi tout à fait effrayante. En 4 ans, le nombre total de demandeurs d’emplois a augmenté de 25%, soit 1,2 millions de personnes. Si l’on se souvient que chaque année, 700.000 jeunes environ arrivent sur le marché du travail, l’évolution globale de la demande d’emplois montre qu’en 4 ans, près de la moitié de jeunes n’a pas pu trouver sa place sur le marché du travail. Cette proportion effrayante explique largement la désespérance qui s’est emparée des forces vives du pays: pendant ce temps, insiders en CDI et fonctionnaires continuent à déblatérer comme si de rien n’était sur la défense de leurs acquis.
On ne dira jamais assez que cette rupture entre une jeunesse promise à la précarité, qui doit quand même cotiser au nom de la solidarité pour la santé et la retraite des insiders en CDI, et ses insiders eux-mêmes (CDI, fonctionnaires) qui ne se préoccupent que d’eux-mêmes, cette rupture-là est le germe de troubles sociaux à répétitions dont nous nous repentirons tôt ou tard.
D’autres chiffres font froid dans le dos. En un an, la France a « gagné » 200.000 chômeurs indemnisés. Dans le même temps, le nombre de chômeurs indemnisés depuis plus d’un an a augmenté… de 200.000. Pour caricaturer la situation, ceux qui sont entrés au chômage il y a un an n’en sont toujours pas sortis. C’est probablement la meilleure illustration du malaise français: non seulement le chômage gagne du terrain, mais il comporte un effet cliquet: quand on y entre, on en sort de moins en moins facilement.
Ce sombre tableau, qui n’en finit pas de s’assombrir depuis plusieurs années, ne peut être dressé sans souligner l’effondrement dramatique des offres d’emploi collectées par Pôle Emploi. En 2011, Pôle Emploi collectait mensuellement environ 280.000 offres nouvelles. Aujourd’hui, notre agence nationale en collecte moins de 215.000 mensuellement.
C’est peut-être cette désespérance-là qui est la plus critique: rien n’annonce une reprise de l’activité.