Gaby Bonnand, Bernard Devy, Sophie Mandelbaum, Philippe Hourcade : les exemples ne manquent pas d’anciens syndicalistes reconvertis dans le secteur de l’assurance. Sont-ils uniquement mus par un intérêt matériel ? Et que recherchent et réussissent à obtenir les assureurs qui les accueillent ? BI&T revient sur les enjeux de ce débouché professionnel à la mode.
Un sujet délicat à aborder
Gaby Bonnand, ancien de la CFDT passé chez Harmonie Mutuelle, l’assure : “Un parcours comme le mien n’a rien d’étrange ou d’anormal. Passer du syndicalisme au mutualisme peut être assez naturel”. Des quatre acteurs que nous souhaitions interroger, il est pourtant le seul à avoir accepté de nous répondre. Bernard Devy, le commandeur FO des institutions paritaires ? Sans doute trop occupé à passer le relais de ses multiples engagements. Sophie Mandelbaum, transférée de la CFDT à Axa ? Elle a préféré nous rediriger vers la CFDT Banques et Assurances. Et Philippe Hourcade, l’ancien cégétiste désormais consultant proche de Mutex ? Bien que présidant l’association Dialogues, destinée à promouvoir le dialogue social, il n’a pas souhaité échanger avec BI&T.
La reconversion des syndicalistes dans l’assurance serait-elle tabou ? Les années 1990 et les attaques brutales de Denis Kessler contre le paritarisme et les régimes par répartition ne sont pourtant plus qu’un lointain souvenir. En réalité, ce sont les accusations d’opportunisme de carrière qui semblent inquiéter certains de ces anciens responsables syndicaux. Gaby Bonnand l’assure pourtant : “Mon salaire n’est pas plus élevé qu’auparavant !” et, d’après nos informations, ceci est également vrai pour la plupart des reconvertis. Des craintes se font également jour quant aux accusations de copinage : “Je ne suis pas recasé dans l’assurance : cela correspond à de vrais choix. J’aurais pu faire autre chose… ou même partir à la retraite !”, explique M. Bonnand.
La suite logique d’un parcours syndical ?
Ces “vrais choix” évoqués par l’ancien cédétiste se sont construits durant son parcours syndical. Longtemps responsable du pôle santé et protection sociale à la CFDT, il y était très régulièrement en lien avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire. “Je rencontrais souvent des responsables issus du monde de la mutualité. On travaillait sur l’accès aux soins, la lutte contre l’exclusion” précise M. Bonnand. Par conséquent, quand il s’est agi pour lui de quitter la confédération, c’est “naturellement” qu’il s’est engagé dans une collaboration avec Harmonie Mutuelle, dont il connaissait plusieurs responsables – avec qui il avait été amené à travailler sur certains dossiers. “J’apprécie la Mutualité, avec qui mes accroches sont personnelles et organisationnelles” explique Gaby Bonnand. “C’est un campagnonnage, qui bénéficie à tous. Je ne serais pas allé ailleurs que dans la Mutualité”, conclut-il.
Cette “logique de parcours” se retrouve ailleurs. Dans le cas de M. Devy, les choses sont claires : est-il réellement nécessaire de rappeler le lien entre syndicalisme et paritarisme assurantiel ? Concernant Sophie Mandelbaum, la cohérence peut sembler moins évidente, puisqu’à la CFDT, elle s’occupait notamment des questions féminines. Toutefois, avant ce poste, elle a travaillé chez Ideforce, cabinet de droit social et de relations sociales rattaché à la CFDT. Enfin, pour expliquer la reconversion de Philippe Hourcade, certains souligneront qu’il a longtemps officié à la fédération CGT des organismes sociaux. Le cas de cet ancien cégétiste chargé de la défense du service public de la santé devenu promoteur de sa prise en charge par le privé, laisse certes quelque peu perplexe…
Des assureurs à la recherche de syndicalistes
Ces enjeux de parcours personnel ne suffisent pas à expliquer les phénomènes de reconversion à l’oeuvre. Il faut se demander pourquoi les assureurs recourent si volontiers au service d’anciens syndicalistes. Un élément de réponse essentiel est à chercher du côté de la restructuration actuelle du marché de la protection sociale complémentaire. Entre la généralisation de cette dernière à l’ensemble des salariés du secteur privé et la fin des clauses de désignation, les compagnies privées et les mutuelles, jusqu’à présent moins investies dans le collectif que les assureurs paritaires, tentent de refaire leur retard. “Bien sûr, ce que j’incarnais s’accordait bien avec la volonté d’Harmonie de mieux pénétrer le monde syndical, d’y améliorer ses relations”, confie Gaby Bonnand.
Au-delà de la constitution de réseaux, les assureurs qui débauchent d’anciens syndicalistes s’attachent également des compétences. Daniel Kayat, responsable de la CFDT Banques et Assurances évoque cet aspect : “Les anciens confédéraux ont à la fois une vision générale, politique des problèmes et une expertise approfondie dans leur domaine : ça peut être directement utilisable en entreprise, y compris d’un point de vue commercial. Comme en outre, ils ont de multiples contacts ici ou là…” Tout en admettant cela, Gaby Bonnand tient à ajouter que les assureurs apprécient également le fait que les anciens responsables syndicaux sont très souvent d’anciens syndicalistes de base, qui connaissent le monde de l’entreprise. Alors que l’entreprise est un échelon privilégié de négociation, cela a tout son intérêt.
Le responsable de la CFDT Banques et Assurances peut ainsi résumer : “Concernant les anciens confédéraux, c’est un intérêt commun, en termes de compétences, qui est bien compris. Les institutions se règlent entre elles”. Dans un prochain article, BI&T montrera que dans le cas d’anciens syndicalistes qui sont restés au niveau des entreprises ou des fédérations, les reconversions s’avèrent bien moins évidentes…