Les affaires liées à l’exposition des salariés à l’amiante refont surface en ce début d’année. Après 2 décisions rendues conjointement le 20 janvier 2023 par la Cour de cassation, cette dernière vient de prendre 3 décisions opposant la SNCF à 3 salariés de sous-traitants auxquels elle a eu recours.
Dans les 3 affaires (accessibles ici pour le pourvoi n° 20-23.313, là pour le pourvoi n° 20-23.315, et ici pour le pourvoi n° 20-23.317) les salariés sont employés par la même entreprise et sous-traités à la SNCF pour y travailler. L’un a commencé à travailler en 1995 tandis que les 2 autres ont commencé dès 1975 et 1979. Ils ont tous été licenciés pour motif économique en 2012 après que la SNCF a mis fin à la prestation à la fin de l’année 2011. Les salariés ont alors décidé de demander aux prud’hommes la réparation de leur préjudice d’anxiété lié à leur exposition à l’amiante. Cette demande de réparation est déposée à l’encontre de leur employeur mais aussi à l’encontre de la SNCF, entreprise utilisatrice.
La SNCF estime qu’elle n’a pas à indemniser le préjudice d’anxiété des salariés car cela ne relève pas de sa responsabilité. Selon elle c’est l’employeur initial qui devrait être tenu responsable de la sécurité et de la santé de ses salariés qu’elle sous-traite. Au contraire, les salariés estiment que la SNCF est responsable des conditions de travail des travailleurs qu’elle utilise et que, en l’occurrence, ces conditions sont de nature à générer un préjudice d’anxiété qui doit être réparé. La cour d’appel et la Cour de cassation penchent toutes deux en faveur des salariés.
La SNCF a commis des fautes dans la gestion de l’exposition des travailleurs à l’amiante
Dans les développements des 3 arrêts de cassation, le raisonnement suivi par la cour d’appel est rappelé afin d’étudier son bien-fondé. La cour d’appel indique ainsi que l’entreprise qui utilise des travailleurs employés par un sous-traitant est notamment “responsable de l’application des mesures de prévention nécessaires à la protection de son personnel“. De plus, le juge d’appel ajoute que le code du travail permet “au salarié de l’entreprise extérieure de rechercher la responsabilité de l’entreprise utilisatrice, s’il démontre que celle-ci a manqué aux obligations mises à sa charge par le code du travail et que ce manquement lui a causé un dommage“. Ce premier rappel étant fait, il convient de vérifier deux points. D’abord, la SNCF a-t-elle manqué à ses obligations de protection du personnel ? Ensuite, ces manquements ont-ils causé un dommage aux travailleurs concernés ?
Sur le manquement aux obligations de protection des salariés utilisés, la Cour de cassation rappelle plusieurs éléments importants. En premier lieu, elle indique qu’aucun plan de prévention n’a été mis en place avec les différents sous-traitants avant l’année 2003. La SNCF n’a même jamais informé les travailleurs utilisés sur les dangers de l’amiante et sur les précautions à prendre (tant dans la façon de travailler que dans le matériel de protection à utiliser). Les 3 décisions rappellent pourtant qu’un décret daté de 1992 imposait à la SNCF de signaler à l’entreprise sous-traitante que ses salariés couraient un danger grave lié à “une exposition durable aux poussières d’amiante sans protection“.
Ensuite, le juge revient sur les tâches effectuées par les salariés qui demandent la réparation de leur préjudice d’anxiété. Ceux-ci intervenaient, sans aucune protection individuelle, pour la manutention ou le nettoyage dans des ateliers où des matériaux amiantés étaient utilisés. Or, l’équipement utilisé pour nettoyer les ateliers ainsi que pour les chauffer favorisait la dispersion des poussières d’amiante. Les salariés concernés ont même suivi, pour deux d’entre eux des examens médicaux spécialement mis en place dans le cadre des risques propres à l’amiante. Le 3e salarié produit uniquement des attestations d’exposition à l’amiante.
Pour tenter de contrecarrer ce raisonnement, la SNCF met toutefois en avant le fait que c’est la société sous-traitante, employeuse des salariés utilisés, qui devrait voir sa responsabilité engagée. Or, la cour d’appel indique que la responsabilité de l’employeur initial n’est pas engagée car il n’a pas manqué à son obligation de sécurité. Partant, la SNCF brandit le fait que sa responsabilité d’entreprise utilisatrice ne peut être recherchée si l’employeur initial n’a pas vu sa responsabilité engagée au titre du préjudice d’anxiété. Nous allons voir que cet ultime argument n’est pas retenu par le juge.
L’employeur sous-traitant n’a pas besoin d’être condamné pour que la responsabilité de la SNCF soit engagée
L’ultime défense développée par la SNCF pour ne pas être tenue responsable du préjudice d’anxiété subi par les salariés utilisés ne convainc pas la Cour de cassation. En effet, à partir du moment où l’entreprise utilisatrice est soumise à une obligation particulière de prévention en vue de protéger son personnel, il importe peu que le sous-traitant qui emploie les salariés utilisés soit mis hors de cause.
En outre, les éléments relevés par la cour d’appel et analysés par la Cour de cassation démontrent, selon les 3 arrêts pris conjointement, que la SNCF est bien l’auteure de fautes et négligences dans l’exécution de ses obligations d’entreprise utilisatrice. C’est l’absence de mises en place de mesures de prévention et de protection qui caractérise les fautes de la SNCF. De fait, la Cour conclut que les plaignants connaissent un préjudice d’anxiété directement à leur exposition prolongée et sans protection à l’amiante, ce qui génère un risque élevé de développer une pathologie grave.
En conclusion, le juge rejette le pourvoi de la SNCF dans les 3 affaires et la condamne à indemniser le préjudice d’anxiété subi par les salariés concernés. Plus largement, ces décisions impliquent que toutes les entreprises qui ont eu recours à des salariés sous-traités dans le cadre de travaux liés à l’amiante peuvent voir leur responsabilité engagée si elles n’ont pas, à l’époque, pris les mesures de prévention et de sécurité nécessaires.