Mardi se tenait une réunion de la chaire TDTE, sous les auspices du sémillant Jean-Hervé Lorenzi, consacrée à l’épargne-retraite et à ses nécessaires évolutions. Même si notre Lorenzi national a bien pris soin de ne pas poser frontalement les questions qui fâchent, les intervenants n’ont pas pu éviter le sujet qui s’est posé à l’Allemagne il y a dix ans, et qui ne se pose pas encore explicitement en France aujourd’hui: peut-on développer une épargne retraite d’avenir quand le marché de l’épargne est saturé par une assurance vie bénéficiant d’avantages fiscaux?
L’épargne retraite, en France, c’est combien?
En réalité, le sujet des choix stratégiques en matière d’épargne se pose dès lors que l’on cherche à évaluer le montant exact des en-cours d’épargne-retraite. Officiellement, les Français ont placé, sur ce type de produit, moins de 200 milliards d’euros (environ 150 milliards), avec un flux annuel de l’ordre d’une grosse dizaine de milliards. Ces volumes font de la France un “nain” en matière d’épargne-retraite, avec une multiplicité de produits que le public a du mal à décoder.
La perspective sur le sujet change, bien évidemment, lorsque l’on prend en compte les en-cours de l’assurance-vie, qui avoisinent aujourd’hui les 75% de PIB (soit 1.500 milliards d’euros). Même en considérant que, selon les chiffres officiels, environ 40% des contrats d’assurance-vie sont déclarés comme préparatoires à la retraite, il faut réintégrer environ 600 milliards d’euros de volume aux en-cours français d’épargne-retraite, dont une minorité placée sur des produits ad hoc, et une majorité noyée dans le grand bain “polyvalent” de l’assurance-vie. Le poids de l’épargne-retraite n’est dès lors plus tout à fait le même, et la façon de poser le sujet change sensiblement: il ne s’agit plus de savoir si l’épargne retraite doit être développée, mais si et comment elle doit être réallouée.
Une logique d’antilope au milieu de lions endormis
Jusqu’ici, les assureurs sont parvenus à éviter le pire en contenant la question et en détournant l’attention du public sur d’autres sujets. Il s’agit d’une véritable prouesse, puisque tout concourt aujourd’hui à rendre la cécité française de plus en plus complexe à préserver.
Au premier chef, la dégradation du système de retraites complémentaires pose avec une acuité intense le problème de l’allocation de l’épargne vers la prise en charge de l’un des effets du vieillissement. L’allongement de l’espérance de vie des cadres est un défi majeur pour la retraite par répartition, qui ne peut plus, financièrement, assumer des taux de remplacement satisfaisants au-delà de la tranche A de cotisation. Assez logiquement, la société française est donc prête pour chercher des solutions de substitution à ce naufrage programmé du pacte social en faveur des classes moyennes.
Tôt ou tard, et même si les assureurs conservent la prudence de l’antilope fourvoyée au milieu d’un troupeau de lions endormis, le débat public s’interrogera forcément sur une équation magique reposant sur une allocation de l’épargne vers des produits d’épargne retraite défiscalisés au profit des cadres dont le revenu de remplacement est en baisse. Pour les assureurs, la tactique à suivre est épineuse, car trois solutions existent: soit on évite d’y penser, et quand le sujet tombera, il sera incontrôlable et se terminera probablement par un troisième étage géré paritairement, soit on l’anticipe frontalement et on s’expose au risque de partir trop tôt devant une opinion publique peu préparée à entendre la vérité, soit on continue les manoeuvres d’approche en préparant la mutation des business models vers une appropriation bien comprise de l’épargne retraite.
L’exemple allemand
Tous les acteurs du dossier ont évidemment en tête, sur ce point, l’exemple allemand qui s’est posé dans les mêmes termes il y a dix ans, et que le Sénat a très bien résumé en sont temps:
“Le troisième pilier constitue à proprement parler les retraites « Riester ». Depuis le 1er janvier 2002, les assurés sont encouragés à souscrire un contrat individuel de prévoyance vieillesse par capitalisation, appelé « contrat Riester ». Le principe consiste à verser sur un contrat d’épargne retraite certifié une contribution dont le montant est égal à une fraction des revenus bruts du travail.
Cette fraction est définie selon des règles précises fixant un minimum et un maximum, pour profiter pleinement des aides publiques qui complètent la contribution individuelle. Le taux de contribution, initialement fixé à 1 % des revenus bruts en 2002 et relevé à 2 % au 1er janvier 2004, atteint 3 % en 2006 et passera à 4 % en 2008.
Les aides de l’Etat sont constituées de subventions forfaitaires et éventuellement d’un crédit d’impôt rendu possible par la déduction fiscale extraordinaire (« Sonderausgabenabzug ») plafonnée de la contribution. Quand le souscripteur ne respecte pas les minima définis pour la contribution personnelle, les subventions sont ajustées en proportion.
(…)
En dépit d’un subventionnement massif (de l’ordre de 10 milliards d’euros par an), à fin 2004, le nombre de contrats souscrits n’aurait atteint que 4,2 millions, contre 3,9 millions fin 2003 et 3,4 millions fin 2002, ce qui correspondait à une montée en puissance inférieure aux attentes du Gouvernement (8 millions de contrats attendus dès la première année du dispositif sur un potentiel de 31 à 32 millions de bénéficiaires).
De surcroît, selon un sondage publié en 2003, 72 % des Allemands interrogés ne souhaitaient pas souscrire de « retraite Riester », la plupart jugeant le produit trop complexe et insuffisamment attractif par rapport à d’autres formes d’épargne à long terme (notamment les produits d’assurance-vie).
Conscient de l’enjeu, le Gouvernement allemand a produit un important effort afin de simplifier l’accès à cette forme de capitalisation, cependant que les avantages relatifs des produits d’assurance-vie disparaissaient.”
Il serait évidemment illusoire de croire que, face aux mêmes causes, la France ne connaisse pas les mêmes effets. Même si l’influence des assureurs sur la négociation sur les retraites complémentaires garantit une durée de vie supplémentaire à l’assurance-vie sous sa forme actuelle, nul ne peut être sûr que le silence continuera dans ce domaine.
Mais nul ne sait quand il sera rompu…