Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Si un contexte de harcèlement n’empêche pas un salarié et son employeur de conclure une rupture conventionnelle (RC), c’est à la condition que leur consentement n’ait pas été vicié. Ce qui n’est pas le cas de cette salariée, victime de harcèlement sexuel, qui, face à la passivité de l’employeur, n’a eu d’autre choix que d’accepter une telle rupture. C’est la solution récemment rendue par la Cour de cassation. Cass.soc.04.11.21, n°20-16550.
Les faits
Alors qu’elle travaillait depuis plus d’1 an pour le compte de sa société, la salariée et son employeur ont convenu d’une rupture conventionnelle. Quelques temps après, elle saisit le conseil de prud’hommes pour demander la nullité de cette rupture. Ayant fait l’objet d’actes de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique, le tout dans l’inertie totale de l’employeur, pourtant averti quelques jours auparavant, elle estime qu’au moment de la rupture, son consentement n’a pas été libre et éclairé.
Les juges du fond lui donnent raison et déclarent nulle la rupture conventionnelle ainsi signée.
L’employeur se pourvoit en cassation. Il avance que si une rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties, le fait qu’il existe entre elles un différend n’affecte pas en soi la validité de la convention. Il ajoute que la cour d’appel, qui s’est contentée de retenir « l’existence d’une situation de faiblesse de la salariée du fait de la dénonciation des actes de harcèlement sexuel de son collègues et l’inertie du gérant, averti quelques jours auparavant des faits reprochés à ce dernier », n’a en revanche relevé aucune violence ni pression de la part de l’employeur.
La question est donc de savoir si le salarié qui, dans un contexte de harcèlement sexuel face auquel l’employeur averti est resté passif, n’a eu d’autre choix que de signer une rupture conventionnelle, a réellement donné un consentement libre et éclairé à cette rupture.
Le principe : une rupture conventionnelle doit procéder d’une volonté commune de rompre le contrat
Lorsqu’un salarié et un employeur concluent une rupture conventionnelle, leur consentement doit être libre et éclairé. A défaut, la rupture est nulle. D’ailleurs, les dispositions qui gouvernent cette forme de rupture sont principalement destinées à garantir cette liberté du consentement.
Et si, comme le rappelle ici l’employeur, les tribunaux admettent de longue date que l’existence d’un différend entre les parties n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture (1), une rupture conventionnelle « ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties »(2).
S’il s’avère par exemple, que le litige en question est à l’origine de pressions ou de menaces pour contraindre le salarié à signer une rupture conventionnelle, celle-ci ne pourra être que nulle car le consentement de ce dernier aura été vicié.
La possibilité de conclure une rupture conventionnelle dans un contexte de harcèlement
Les tribunaux sont allés plus loin que le simple différend entre les parties en admettant que la seule existence de faits de harcèlement ne rendait pas nulle la rupture conventionnelle. Pour cela, encore faut-il que le salarié prouve que ce harcèlement a bien vicié son consentement…
Si le juge considère que le consentemment a bien été vicié et que le salarié victime de harcèlement a été contraint de conclure une rupture conventionnelle, alors celle-ci est nulle (3).
A l’inverse, en l’absence de vice du consentement, la convention de rupture demeure valable.
Pour résumer, pour demander la nullité d’une rupture conventionnelle conclue dans un contexte de harcèlement, il ne suffit pas pour le salarié d’établir ce contexte particulier, il doit aussi démontrer que son consentement a été vicié (4) : erreur manifeste, comportement dolosif, contrainte morale…
C’est par exemple le cas si le salarié s’est trouvé dans une situation de violence morale en raison du harcèlement moral dont il a fait l’objet, et des troubles psychologiques qui en ont résulté (5).
Une RC contrainte par un harcèlement sexuel est viciée si l’inertie de l’employeur est avérée
C’est la solution retenue ici par la Cour de cassation, qui rejette les arguments de l’employeur selon lesquels les juges n’ont caractérisé aucune violence ni pression de sa part.
Selon elle, à la date de la signature de la rupture, l’employeur, qui avait été informé par la salariée de faits précis et réitérés de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique, n’avait mis en œuvre aucune mesure en vue de prévenir de nouveaux actes et de protéger la salariée.
Celle-ci s’est donc trouvée dans une situation devenue insupportable, dont les effets pouvaient encore s’aggraver si elle se poursuivait, et n’avait finalement « eu d’autre choix que d’accepter la rupture et n’avait pu donner un consentement libre et éclairé ». Il y a donc bien eu une violence morale.
Si cette violence n’a pas émané de l’employeur lui-même, c’est bien son inertie qui a contraint la salariée à accepter de rompre son contrat de travail. La convention de rupture ainsi signée est nulle.
Un arrêt qui s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation…
Si de prime abord cet arrêt apparaît favorable aux victimes de harcèlement sexuel, il ne fait pas exception. Là encore, les juges exigent que le salarié, qui souhaite obtenir la nullité de sa rupture conventionnelle, établisse aussi la preuve que son consentement a été vicié. En l’espèce, cette démonstration a probablement été facilitée par le fait qu’il s’agisse d’un harcèlement sexuel aggravée par l’inertie de l’employeur, mais cela ne sera pas toujours le cas…
(1) Cass.soc.23.05.13, n°12-13865.
(2) Art L.1237-11 C.trav.
(3) Cass.soc.28.01.16, n°14-10308; Cass.soc.08.07.20, n°19-15441.
(4) Cass.soc.23.01.19, n°17-21550.
(5) Cass.soc.29.01.20, n°18-24296.