Certains le regrettent pendant que d’autres, qui subissaient chaque matin Patrick Cohen pour faire plaisir à leur conjoint et préserver la paix du ménage, s’en félicitent: Radio France et ses différentes chaînes sont sans voix depuis une semaine. La grève fait rage contre les économies demandées par le ministère de la Culture, soit 50 millions d’euros. Ce plan devrait déboucher sur plusieurs centaines de départs.
On passera ici sur les désagréables attaques portées contre le directeur général du groupe, Matthieu Gallet, qui avait dépoussiéré l’INA avant de se casser les dents sur Radio France. Les révélations dans le Canard Enchaîné sur la rénovation de son bureau et le recrutement d’un conseiller en communication ont suffisamment fuité pour ne pas être redites ici.
C’est surtout la méthode utilisée pour réduire les coûts et associer les salariés à la réorganisation de la structure qui pose question. L’Etat adore en effet donner de grandes leçons aux entreprises privées sur la gestion de leurs rapports sociaux. Il n’y a encore que quelques jours, le ministre de l’Agriculture avait par exemple déclaré, à propos de l’affaire Sanofi: “Il faut qu’il y ait des règles qui soient réaffirmées, un peu de morale.” Et Ségolène Royal, experte en bravitude sociale, avait ajouté: “En apprenant cette nouvelle, je venais juste de recevoir les ouvriers de l’abattoir près du Mont Saint Michel, d’AIM, qui étaient vraiment désespérés, humiliés, méprisés et qui n’avaient aucune information sur ce qu’ils allaient devenir (…). Il n’y avait même pas eu le respect de les réunir pour leur expliquer ce qui allait se passer. (…) C’est inadmissible de traiter les ouvriers de cette façon-là !”
Il est toujours très facile de dénoncer la façon “inadmissible de traiter les ouvriers” dans les entreprises. Mais il n’en demeure pas moins que l’attitude de l’Etat vis-à-vis de ses collaborateurs, au sens large, reste toujours un motif de stupéfaction.
Dans le cas de Radio France, le plan de réduction d’environ 8% du budget, suscite un double étonnement.
Premier étonnement: la méthode employée pour associer le personnel à l’effort de réduction des dépenses n’a manifestement rien à envier aux techniques patronales les plus dures. Alors que la réfection des locaux ne cesse de voir ses coûts déraper, l’annonce d’un plan de départs volontaires portant sur 300 salariés seniors, lachée à l’occasion d’un comité d’entreprise extraordinaire, a fait l’objet d’une gestion minimaliste et pour le moins autoritaire, dans une maison où les syndicats sont prompts à débrayer. Ajoutons ici que de nombreux animateurs sont des intermittents du spectacle: là encore, le recours massif à la précarité (qui explique largement l’audience dont les intermittents bénéficient dans les medias) ne semble jamais avoir gêné l’Etat, pourtant très friand de normes protectrices applicables par les entreprises.
Deuxième étonnement: la gestion du dossier par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin. Cette ancienne présidente du Club du XXIè siècle, qui appartient à un gouvernement très soucieux d’imposer des règles dans la protection des sous-traitants contre les entreprises donneuses d’ordre, mène un dialogue sans concession avec Radio France. Cette entreprise publique sous tutelle de l’Etat délivre pourtant un service quotidien (et financé par la redevance et l’impôt) à plusieurs millions de Français. Dans la pratique, on aimerait entendre la ministre exprimer quelques-unes de ses idées sur la satisfaction des contribuables, qui sont tous obligés de payer aujourd’hui pour un groupe de presse qui ne délivre aucun service. La ministre se sent-elle concernée par le conflit? Souhaite-t-elle le régler? Considère-t-elle que le donneur d’ordre appelé Etat peut agir de cette façon avec ses sous-traitants?
Bref, après avoir abondamment accablé les entreprises de leçons de morale tous azimuts sur la bonne façon de gérer les rapports sociaux, l’Etat démontre une fois de plus qu’il appartient à la catégorie des employeurs les moins doués de sa génération.