Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.
Tout salarié a légalement droit à un temps de pause d’une durée minimale de 20 minutes consécutives dès lors que son temps de travail quotidien atteint 6 heures[1]. Enoncer la règle, c’est déjà en comprendre l’objet : permettre au salarié de brièvement se déconnecter après de longues heures de travail… et avant de s’y remettre. Au cours de ce temps généralement non rémunéré, le salarié devrait pouvoir être libre de ne plus penser à son activité.
Mais alors que se passe-t-il si une contrainte professionnelle devait malgré tout perdurer ? Comme par exemple le port obligatoire d’un uniforme… Dans ce cas, la requalification du temps de pause en temps de travail effectif s’impose-t-elle ?
C’est à cette délicate question que la Cour de cassation est venue répondre le 3 juin dernier. Cassation sociale, 03.06.2020, n° 18-18.836, publiée au Bulletin.
[1] Art. L.3121-16 C. trav.
Tenue correcte exigée. L’employeur a le droit d’imposer le port d’une tenue de travail à ses salariés et d’ainsi apporter des restrictions à leur liberté de se vêtir comme ils le souhaitent, dès lors que ces restrictions sont tout à la fois justifiées par l’activité professionnelle et proportionnées au but recherché[1].
En l’espèce, une salariée exerçait en qualité d’agent d’exploitation de sûreté aéroportuaire pour le compte de la société Arcosur. L’exercice de son métier comprenant une part de représentation de la société vis-à-vis du public, il était exigé d’elle qu’elle revête en permanence un uniforme. Ce qu’elle faisait d’ailleurs sans sourciller.
· Des temps de pause très encadrés
La pomme de discorde, c’est donc ailleurs qu’il fallait la chercher… Non pas à proprement parler dans le temps de l’exécution du travail, mais dans celui des temps de pause qui lui étaient régulièrement octroyés. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que l’employeur n’y relâchait pas vraiment la pression. Il exigeait de ses agents d’exploitation qu’ils demeurent et en tenue et sur leur lieu de travail. Obligations qui pouvaient d’ailleurs faire l’objet de contrôles inopinés au cours desquels une inspection de « leur tenue durant les pauses à la vue des usagers » et de leur comportement demeurait envisageable. A cette occasion, des documents de contrôle étaient d’ailleurs parfois élaborés et des « mesures correctives » décidées.
Ainsi, l’employeur gardait-il clairement la main sur le contrôle de ses agents d’exploitation alors qu’ils étaient pourtant… en pause ! Certainement pour des raisons d’image (des agents d’exploitation se laissant un peu trop aller aux yeux et au su du public susceptibles de véhiculer une image par trop négative de la société), mais aussi, des dires de la salariée, pour des raisons de gestion (des agents constamment en uniforme pouvant à tout moment être mobilisés « en raison notamment de l’arrivée retardée d’un avion ou de celle d’un collègue de travail »).
· Port de l’uniforme versus temps de pause
Pour la salarié, la problématique était plus large que la simple obligation qui lui était faite de porter l’uniforme pendant son temps de pause. Comme nous venons de le voir, elle s’étendait aussi à ses conséquences.
Pour elle en effet, les temps de pause octroyés ne l’étaient pas vraiment puisque, même au cours de ces moments-là, les critères caractérisant l’existence d’un temps de travail[2] étaient satisfaits : elle demeurait en effet « à la disposition de l’employeur » (puisque pouvant être mobilisée pendant ses pauses) ; devait « se conformer à ses directives » (puisque ne pouvant pas se libérer de son uniforme) et ne pouvait « vaquer librement à ses occupations personnelles » (puisque ne pouvant pas quitter l’espace aéroportuaire).
Tirant les conséquences de cette analyse, elle demandait que ses temps de pause soient requalifiés en temps de travail et qu’ils lui soient payés sous forme d’heures supplémentaires.
· La salariée déboutée de ses demandes
Bien qu’argumentées, les prétentions de la salariée ont pourtant été rejetées. D’abord le 25 avril 2018 par la Cour d’appel de Bastia, puis le 3 juin 2020 par la Cour de cassation auprès de laquelle elle avait formé un pourvoi.
Pour la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, il est apparu que la salariée était libre de circuler où bon lui semblait dans l’aéroport pendant ses temps de pause et que la seule obligation qui pesait sur elle était de « présenter un comportement irréprochable et de rester en tenue de travail », ce qui à l’en croire ne l’empêchait nullement d’en profiter pleinement.
On peut ici regretter que l’argumentation de la salariée sur le pourquoi de son maintien obligatoire en uniforme et sur les interventions qui pouvaient en découler ait été écarté d’un revers de main sans plus d’explication.
Mais la décision rendue ne surprend guère tant elle s’inscrit dans le sillon de positionnements déjà bien ancrés en jurisprudence.
Il avait certes déjà été jugé qu’ « au cours de la pause, les salariés sont libres de vaquer à leurs occupations personnelles sans avoir à rendre de compte à leur employeur quant à l’emploi qu’ils font de leur temps libre »[3] et que, sous couvert d’une telle appréciation, la salariée aurait pu faire valoir son point de vue. Mais d’autres décisions précédemment rendues allaient dans le sens du rejet de ses prétentions.
Ainsi : l’obligation de porter une tenue de travail[4] comme celle de ne pas quitter le lieu de travail[5] pendant un temps de pause n’avait pas encore permis de requalifier un temps de pause en temps de travail effectif. Pas davantage que des interventions requises pendant ce même temps de pause dès lors que celles-ci demeurent « éventuelles » et « exceptionnelles »[6].
Nous pouvons en conclusion affirmer que les temps de pause demeurent mal délimités ; certainement en raison de leur brièveté et de leur réalisation sur le lieu de travail et au contact direct du travail. Cette difficulté à les cerner peut donc assez facilement se comprendre, mais elle demeure pénalisante pour les salariés qui ne peuvent toujours en tirer les bénéfices escomptés. Et disons-le, cet arrêt rendu le 3 juin dernier ne nous aidera malheureusement pas à sortir du flou…
[1] Art. L.1121-1 C. trav. et Cass. soc. 18.02.98, n° 95-43.491.
[2] Art. L.3121-1 C. trav.
[3] Cass. soc. 18.12.01, n° 01-41.036.
[4] Cass. soc. 30.05.07, n° 05-44.396 : « (…) que la seule circonstance que le salarié soit astreint au port d’une tenue de travail durant la pause ne permet pas de considérer que ce temps constitue un temps de travail effectif ».
[5] Cass. soc. 05.04.06, n° 05-43.061 : « (…) ni la brièveté des temps de pause, ni la circonstance que les salariés ne puissent quitter l’établissement à cette occasion, ne permettent de considérer que ces temps de pause constituent un temps de travail (…) ».
[6] Cass. soc. 16.05.07, n° 05-42.639.