La CFDT revient sur la reconnaissance du préjudice d’anxiété

Cette publication est issue du site du syndicat de salariés CFDT.

Après avoir étendu à tous les salariés exposés à l’amiante, la possibilité de faire reconnaître leur préjudice d’anxiété, la Cour de cassation fait un pas de plus, mais pas des moindres, en élargissant la réparation de ce préjudice aux cas d’exposition à des substances nocives ou toxiques générant un risque élevé de développer une pathologie grave autres que l’amiante. Attention, car bien qu’étendue, la reconnaissance de ce préjudice reste malgré tout bien encadrée. Cass.soc.11.09.19, n°17-24879, n°17-26879, n°17-18311. 

Ce n’est pas 1 mais bien 3 arrêts qui ont été rendus ce 11 septembre dernier par la Cour de cassation sur le préjudice d’anxiété. 

  • La confirmation de l’extension de la reconnaissance du préjudice d’anxiété à tous les salariés

Les 2 premiers arrêts(1)« Amiante : vers une reconnaissance du préjudice d’anxiété pour tous les salariés exposés ». 

  • L’élargissement de la réparation à d’autres substances dangereuses

Dans le 3ème arrêt(3), ce sont 732 anciens mineurs de charbon du bassin de Lorraine (ou leurs ayants droits) qui ont saisis la justice pour avoir été exposés, outre l’amiante, à d’autres produits toxiques dangereux (silice, hydrocarbures polycycliques notamment) alors qu’ils travaillaient pour l’entreprise “Charbonnage de France”. Ils réclament réparation pour le préjudice d’anxiété résultant de cette exposition et pour le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. 

Mais leur demande est rejetée par la cour d’appel de Metz(4). Selon elle, cette réparation n’est admise, pour les salariés exposés à l’amiante, qu’au profit de ceux qui bénéficient du dispositif de retraite anticipée (ACAATA), et donc, qui ont travaillé dans un établissement classé « amiante ». Elle considère par ailleurs que l’employeur avait de toutes façons démontré avoir pris toutes les mesures de protection et d’information nécessaires et ce, malgré des attestations de salariés on ne peut plus parlantes… 

La Cour de cassation n’approuve pas la cour d’appel : 

– Elle rappelle que depuis l’arrêt du 5 avril dernier, la réparation du préjudice d’anxiété n’est pas réservée aux seuls travailleurs qui ont exercé leur activité dans des établissements classés ; 

– Mais surtout, et pour la première fois, elle étend la reconnaissance de ce préjudice au cas d’exposition à des substances autres que l’amiante : 

Dès lors que le salarié justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, il peut agir contre l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité. 

Dans cette affaire, la cour d’appel, qui avait débouté les quelques 700 anciens mineurs, n’avait pas suffisamment recherché si l’employeur avait effectivement pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Les Hauts juges la censurent donc et renvoient l’affaire devant la cour d’appel de Douai. 

  • La nécessité d’engager la responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité

S’il s’agit là d’une d’une véritable avancée dans la reconnaissance du préjudice d’anxiété, il n’en reste pas moins qu’en cas d’action en justice d’un salarié, cette reconnaissance sera tout sauf automatique et ce, pour 2 raisons :  

 

D’une part, parce qu’elle repose sur l’engagement de la responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité. Ce qui suppose que le salarié qui aura été exposé démontre : 

  • qu’il a été exposé à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave : il s’agit là de prouver la réalité et la durée de l’exposition, les risques graves pour la santé susceptibles d’en résulter, la date de connaissance de ce risque, etc…
  • et le préjudice d’anxiété qu’il a personnellement subi du fait de la connaissance de ce risque : ce qui nécessitera de produire des attestations de proches quant à l’inquiétude permanente vécue, des certificats médicaux, etc…

Il appartiendra ensuite au juge d’apprécier ces éléments de preuve afin de déterminer l’exposition significative, mais aussi d’évaluer individuellement le préjudice. 

D’autre part, parce que l’employeur conserve la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité en démontrant qu’il a pris toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir et d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs. Pour rappel, depuis 2015(5), l’employeur n’est plus tenu par une obligation de sécurité de résultat, mais seulement par une obligation de moyens renforcée. Cet arrêt ne remet pas en cause ce principe. 

  • L’extension de la réparation, une incitation à la prévention ?

La solution retenue dans cet arrêt n’est pas vraiment surprenante puisqu’elle est dans la lignée de l’arrêt rendu en avril dernier. En effet, celui-ci, en étendant la reconnaissance du préjudice d’anxiété à des salariés ne bénéficiant pas du dispositif d’indemnisation spécifique, a en réalité admis, la possibilité d’une autre indemnisation, mais cette fois, sur le fondement du droit commun de la responsabilité. A partir de là, difficile de continuer de limiter à l’amiante, les produits susceptibles d’entraîner une réparation du préjudice d’anxiété… 

D’ailleurs, la formule employée par la Cour de cassation est, sur ce point, peu précise. Elle ne vise pas une catégorie particulière de produits mais, d’une façon plus générale, les substances “nocives ou toxiques générant un risque élevé de développer une pathologie grave ». Dès lors, un salarié justifiant y avoir été exposé et avoir personnellement subi un préjudice d’anxiété peut agir contre l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité.  

Et c’est bien là que réside l’un des principaux intérêts de cet arrêt. Parce que l’amiante n’est pas la seule substance dangereuse susceptible de nuire à la santé, voire à la vie des travailleurs, cette solution rétablit une forme d’égalité entre les salariés exposés, au moins, en terme de réparation. 

Mais par-delà, le fait pour l’employeur d’avoir la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, en justifiant avoir pris des mesures nécessaires, ne peut que l’inciter à prendre des dispositions en vue de prévenir et de préserver les salariés face à ces expositions, ne serait-ce que dans le but d’échapper aux lourdes condamnations qui pourraient s’ensuivre… On peut légitimement penser que cet élargissement du périmètre du préjudice d’anxiété à d’autres substances toxiques ne peut que tendre à améliorer la prévention des risques professionnels (et pas seulement ceux liés à l’amiante). Pour la CFDT, c’est là l’autre intérêt que présente cet arrêt. 

Finalement, l’encadrement strict du préjudice d’anxiété (limité aux expositions à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave) et le rappel des contours de l’obligation de sécurité de l’employeur, semblent établir un équilibre entre l’exigence de prévention à la charge des employeurs, et la nécessité de réparer le préjudice des salariés victimes de l’inaction, ou de l’insuffisance d’action des employeurs en la matière. Selon la Direction générale du travail, 10% de salariés seraient en effet potentiellement concernés par cet élargissement du périmètre du préjudice d’anxiété.  

 

 

 

 

 

(1) Cass.soc.11.09.19, n°17-18311 (SNCF) ; Cass.soc.11.09.19, n°17-26879 (SNMC). 

(2) Cass. Assemblée Plénière, 05.04.19, n° 18-17442. 

(3) Cass.soc.11.09.19, n°17-24879. 

(4) CA 07.07.17, chambre sociale, section 2. 

(5) Cass.soc.25.11.15, n°14-24444. 

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