Le dialogue social est-il comme le sexe? Plus on en parle, moins on le pratique? En tout cas, après de longues diatribes hollandaises sur les bienfaits de la méthode, sur les vertus du dialogue, etc., un véritable hiver semble s’être installé entre les partenaires sociaux interprofessionnels. Le climat est tel qu’on peut s’interroger sur la tournure que les événements vont prendre dans les prochaines semaines.
Le poker du compte personnel d’activité
Une première mesure de la glaciation est donnée par la négociation sur le compte personnel d’activité (CPA), qui a fait chou blanc mardi dernier. Les syndicats ont unanimement rejeté la proposition du MEDEF, conduit par le président de l’UIMM Alexandre Saubot, qui n’incluait pas le compte pénibilité dans le compte personnel d’activité, brutalement réduit au seul compte formation. Une prochaine réunion le 8 février devrait conduire à une nouvelle proposition patronale, alors qu’une réunion en janvier avait déjà été annulée faute, pour les employeurs, de pouvoir se mettre d’accord sur une proposition acceptable.
L’incapacité du patronat à s’unir est une malédiction qui semble poursuivre Alexandre Saubot, déjà victime du même phénomène dans la première négociation qu’il avait conduite sur la rénovation du dialogue social en entreprise. Bis repetita!
Sur le fond, on ne sera guère surpris par le patinage artistique qui entoure la négociation sur ce fameux compte d’activité, formule moderne du livret ouvrier combattu au dix-neuvième siècle par les syndicats. Personne ne sait exactement à quoi il servira, en dehors de suivre les salariés tout au long de leur carrière. Les organisations syndicales, et singulièrement la CFDT, se battent comme de beaux diables pour lui donner un contenu autre qu’anecdotique, mais la transcription du concept dans la réalité reste pour le moins fumeuse.
Face au risque de voir créer une nouvelle usine à gaz, le patronat se rebiffe. Le refus d’inscrire le compte pénibilité dans le projet de CPA a directement répondu à la publication unilatérale par le gouvernement des décrets sur le compte, pendant la trêve des confiseurs. Une fois de plus, derrière l’encouragement au dialogue entre partenaires sociaux, le gouvernement cultive sa propension à procéder par décrets sans grande concertation avec les victimes de sa réglementation. Forcément, tout ceci n’aide pas…
Du sport annoncé pour la convention assurance-chômage
Le même autoritarisme du gouvernement devrait considérablement durcir les négociations sur la nouvelle convention assurance-chômage. Alors que 2015 a permis à François Hollande de battre un nouveau record de chômage (il n’y a jamais eu autant de chômeurs en France qu’aujourd’hui – une belle performance), le Président a d’ores et déjà annoncé les résultats de la prochaine convention: durée d’indemnisation réduite et mise en place d’une dégressivité des allocations.
Petit problème: le régime chômage est totalement paritaire et, n’était l’inscription des comptes de l’UNEDIC dans le périmètre de Maastricht, l’Etat en serait totalement déchargé. Que l’Etat monnaie sa garantie en intervenant dans la gestion du régime n’est pas forcément choquant. Simplement, la cohérence du discours gouvernemental échappe dans ce domaine. Comment vanter les vertus du dialogue entre partenaires sociaux tout en pratiquant un interventionnisme à tous crins qui ne leur laisse aucune marge de manoeuvre sur l’équilibre global d’un accord très sensible?
Sur le fond, il est loin d’être sûr que les syndicats de salariés acceptent facilement, en pleine explosion du chômage, un texte qu’ils ont toujours refusé jusqu’ici. La dégressivité n’est en effet pas en odeur de sainteté auprès d’eux, et le désaveu infligé par Valls aux dispositions applicables aux intermittents du spectacle signées lors de la dernière convention risque de refroidir beaucoup d’ardeur.
Rappelons ici que l’appel à la fermeté pour le régime applicable à tous les salariés lancé par François Hollande a fait l’objet… d’une démonstration contraire il y a un an sur les intermittents du spectacle. Vérité une année, erreur l’année suivante.
Y a-t-il un pilote dans l’avion?
Reste que la cohérence de la politique gouvernementale est difficile à suivre. François Hollande a fait des annonces triomphales sur le futur compte personnel d’activité, mais il serait bien à la peine s’il devait en préciser le contenu. Il est acquis que ce CPA se fera contre les employeurs, épuisés par l’expansion permanente de la réglementation sociale et par l’exigence contradictoire d’une entreprise socialement très responsable et économiquement de plus en plus soumise à la concurrence, ou par celle tout aussi contradictoire d’une entreprise qui doit dialoguer face à des départements ministériels qui réglementent sans dialogue.
En intervenant directement dans la négociation chômage, François Hollande soulève une autre contradiction. Alors qu’il demande aux syndicats de salariés de porter des droits nouveaux face aux organisations d’employeurs, il demande aux organisations d’employeurs de porter une restriction des droits des salariés face à leurs syndicats. Jusqu’où mènera cet exercice?
Le printemps nous le dira.