La décision rendue hier par la CEDH concernant la surveillance des mails personnels d’un salarié par son employeur a fait beaucoup de bruit dans la sphère médiatique. Cette décision est venue affirmer le droit du salarié au respect de sa vie privée dans le cadre de son travail. Si, en Roumanie, pays d’où vient le litige, la solution de la Cour peut avoir un impact significatif, en France, elle vient juste confirmer un état de fait déjà présent.
Les mails privés des salariés français protégés par principe
En France, la décision de la CEDH n’aura pas d’impact significatif car le droit à la protection de la vie privée existe déjà au sein même du code du travail. Ainsi, les salariés ont un droit, même dans le cadre de leur travail, au respect de leur vie privée et au secret de leurs mails personnels.
Deux articles du code du travail peuvent notamment être signalés. Le premier précise que “nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles [dont fait partie le droit au respect de la vie privée] et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché“. Autrement dit, ce n’est que dans le cas où cela serait justifié que les mails personnels d’un salarié peuvent être consultés.
Le second dispose qu’ “aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance“. En France, le salarié doit nécessairement être mis au courant, avant le début de la surveillance des mails personnels, que ses échanges privés vont faire l’objet d’une collecte. Dans le cas sur lequel la CEDH a dû se prononcer, le salarié n’a découvert que ses mails privés avaient été surveillés qu’à l’issue de ce contrôle. La CNIL indique que l’information des employés doit leur permettre de connaître les finalités de la surveillance, les destinataires des informations collectées, l’existence de leur droit d’opposition pour motif légitime, et l’existence de leurs droits d’accès et de rectification. Une entreprise peut par exemple mettre en place, après en avoir informé ses employés, un outil destiné à mesurer la fréquence d’envois de mails ou le volume des communications.
Rappelons qu’outre ces dispositions du code du travail, la violation du droit à la vie privée peut être punie d’une amende allant jusqu’à 300 000€ accompagnée de 5 ans de prison au maximum. La consultation frauduleuse de mails personnels par l’employeur n’est donc pas un acte pris à la légère par le droit français.
L’existence de conditions cumulatives et de mesures pénales incite donc au respect de la vie privée, et donc des communications personnelles des salariés. Cependant, des exceptions existent et permettent aux employeurs d’accéder, dans des cas bien précis, aux messages privés de leurs employés.
A quel moment l’employeur peut-il surveiller les mails privés des salariés ?
Avant d’évoquer les exceptions au contrôle des messages électroniques personnels du salarié par l’employeur, il est important de faire une distinction. Il faut bien différencier la messagerie personnelle (propre au salarié) et la messagerie professionnelle (mise à disposition par l’entreprise). La messagerie personnelle est intégralement sanctuarisée et protégée par le droit au respect de la vie privée : l’employeur ne peut à aucun moment y avoir accès. En revanche, tous les mails reçus ou envoyés par le salarié depuis sa messagerie professionnelle sont par défaut des messages à caractère professionnel. Or, l’employeur a toute latitude pour consulter les mails professionnels de ses employés.
Pour qu’un mail envoyé ou reçu par le biais de la messagerie professionnelle revête le caractère privé, il est impératif que son intitulé le montre bien. C’est ainsi que la jurisprudence française a tranché en 2010 en précisant que des mails envoyés avec l’outil informatique mis à disposition par l’employeur sont présumés avoir un caractère professionnel sauf si le salarié les identifie comme personnels. L’objet du mail devrait donc être “Privé” ou “Personnel” pour que l’employeur soit soumis au respect du droit à la vie privée de ses salariés.
L’interdiction de principe de consulter les mails privés peut toutefois être écartée en cas de “risque ou d’événement particulier”. Le juge considère en effet que si des circonstances particulières sont démontrées, les messages privés des salariés peuvent être consultés en l’absence des salariés. En revanche, en dehors de toute situation particulière, il est nécessaire de procéder à l’accès aux messages privés du salarié qu’une fois celui-ci présent, ou dûment appelé.
Deux autres cas permettent à l’employeur de surveiller les mails privés de ses salariés : en cas d’enquête judiciaire, ou si la justice a spécialement autorisé l’employeur à accéder aux messages personnels.
Finalement, l’arrêt de la CEDH vient seulement confirmer que la surveillance des messages privés des salariés ne peut intervenir qu’en dernier recours et ne peut être qu’une exception au principe du respect de la vie privée. Sa portée est plus européenne que française : en effet, les législations nationales non conformes vont devoir s’adapter à ce cadre protecteur.